Neuf joueurs passés entre les mailles du filet de l’enquête d’Hockey Canada

Seuls 10 des 19 joueurs présents à un événement de Hockey Canada en 2018 où serait survenu un viol collectif ont accepté de participer à l’enquête indépendante commandée par l’organisme. Les autres joueurs n’avaient pas été forcés de collaborer.
« Nous avons conclu que les joueurs qui n’ont pas parlé [à l’enquête] ne devaient pas être interviewés tant que la victime n’aura pas été rencontrée », a expliqué mardi l’avocate Danielle Robitaille, associée à Henein Hutchison et embauchée pour mener l’enquête indépendante sur les événements de 2018.
Dans un témoignage tout en anglais devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes, Mme Robitaille a expliqué que deux joueurs étaient en discussion avec elle pour offrir leur collaboration. Sept autres ont catégoriquement refusé de prendre part à l’exercice avant la fin de l’enquête policière.
Le Comité permanent du patrimoine canadien (CHPC) a entamé mardi matin une série de deux jours d’audiences au sujet de l’implication de Hockey Canada dans les allégations de viol collectif envers huit de ses joueurs le 18 juin 2018, lors d’un gala à London, en Ontario.
Hockey Canada devra notamment répondre aux questions des élus pour une seconde fois, après un premier passage le mois dernier. Depuis, un autre scandale de viol collectif a fait surface, impliquant cette fois des membres de l’équipe nationale junior de 2003. L’institution a déjà reconnu que des membres de son personnel ont eu vent d’une rumeur au sujet de « quelque chose de mal qui serait survenu au Mondial junior 2003 ».
Enquête relancée
Au lendemain des faits allégués de 2018, le 19 juin au matin, c’est l’avocate Danielle Robitaille qui a conseillé à Hockey Canada d’appeler la police, ce que des responsables de l’organisation ont fait en soirée.
Elle a précisé avoir ensuite mené son enquête durant plus de deux ans, mais l’avoir fermée en septembre 2020, faute d’avoir pu recueillir le témoignage de la victime alléguée malgré plusieurs tentatives. « J’avais besoin de sa version des événements pour avancer dans le processus », a-t-elle affirmé.
La victime a récemment changé d’avis et a fourni une « version détaillée des événements ». L’enquête est ainsi rouverte. « On est maintenant en mesure d’interroger les joueurs restants », a indiqué Danielle Robitaille, dont le mandat est aussi de déterminer si des problèmes systémiques existent à Hockey Canada.
L’avocate a refusé de répondre à plusieurs questions des élus, citant la confidentialité des informations détenues au nom de son client. Elle n’a par exemple pas voulu dire si elle avait maintenant une bonne idée de qui sont les huit joueurs ciblés par les allégations de viol collectif.
Le fédéral au courant
Des hauts responsables de Sport Canada, une branche du ministère du Patrimoine canadien, ont confirmé mardi avoir été mis au courant dès 2018 d’allégations d’agressions sexuelles survenues « après la portion “golf” du gala » de Hockey Canada.
Le ministère n’aurait pas transmis cette information au ministre de l’époque, ni effectué de suivi particulier pour savoir ce qu’il advenait de cette affaire. Ses fonctionnaires comptaient sur Hockey Canada pour leur annoncer la fin de l’enquête policière ou une entente à l’amiable avec la victime.
« On s’attend à ce que les organismes nous tiennent au courant », a expliqué le directeur principal de Sport Canada, Michel Ruest, provoquant des réactions outrées auprès de députés de l’opposition.
La ministre des Sports, Pascale St-Onge, a plus tard défendu son ministère lors de sa propre comparution. Elle a indiqué que Sport Canada « n’est pas une agence de réglementation, et n’a pas non plus de pouvoir d’enquête ». Depuis, rappelle-t-elle, un code de conduite dans le sport et un poste de commissaire à l’intégrité dans le sport ont été créés pour remédier à ce problème.
La ministre a livré un discours passionné devant le comité, dans lequel elle a critiqué « l’enracinement d’une culture toxique qui permet de protéger des individus » au sein de Hockey Canada.
Elle a promis de revoir entièrement le système de financement public des organismes sportifs dans la prochaine année, et a encouragé Hockey Canada à recruter plus de femmes dans sa haute direction et dans son conseil d’administration.
Audiences sur Hockey Canada
Une première comparution de hauts dirigeants de Hockey Canada, le 20 juin dernier, n’avait convaincu aucun élu membre du comité parlementaire. De hauts responsables n’avaient pas été en mesure de dire combien de joueurs avaient participé à l’enquête, et ont plutôt assuré qu’il était « très commun » pour une telle organisation de régler à l’amiable un litige civil contre une victime présumée de viol.
Le p.-d.g. de Hockey Canada, Scott Smith, avait affirmé que la somme discrètement offerte à la victime était conservée dans un compte de banque distinct, sans lien avec les fonds reçus du gouvernement.
Celui-ci doit donc s’expliquer de nouveau à Ottawa, mercredi, en compagnie d’autres hauts responsables de Hockey Canada : Tom Renney, l’ex-chef de la direction, David Andrews, le président du CA de la Fondation Hockey Canada et Brian Cairo, le dirigeant principal des finances.
D’autres acteurs du milieu du hockey comparaîtront également, comme le commissaire de la Ligue de hockey Junior majeur du Québec (LHJMQ), Gilles Courteau
Sheldon Kennedy souhaitela démission des leaders
L’ancien joueur de la LNH Sheldon Kennedy, défenseur des droits des victimes, a demandé la démission du président et chef de la direction de Hockey Canada, Scott Smith, de son équipe de direction et du conseil d’administration de l’organisation, à la suite d’allégations d’agressions sexuels.
Kennedy a répondu sur Twitter au plan d’action de Hockey Canada pour lutter contre la culture toxique. Il l’a fait après les audiences parlementaires sur le traitement par Hockey Canada d’allégations d’agression sexuelle, impliquant d’anciens joueurs de l’équipe mondiale junior. Kennedy a récemment déclaré qu’une lettre ouverte du 11 juillet de Hockey Canada, promettant des réformes et la réouverture d’une enquête sur une allégation d’agression sexuelle en groupe en 2018, était « un bon premier pas ».
Mardi, il a toutefois dit, à propos de Hockey Canada, que ce sont « les mêmes personnes avec un nouveau plan qui s’attendent à un résultat différent ». Kennedy est devenu une voix pour les victimes à la suite de sa propre expérience d’abus dans le hockey junior par un entraîneur à l’époque, Graham James.
La Presse canadienne