

Les commerces autour de la célèbre basilique se détournent lentement du sacré pour créer une vie de quartier.
Moment historique pour la communauté catholique tout entière. Étape charnière pour le processus de guérison des peuples autochtones. Pour la quatrième fois de son histoire, le Canada accueillera dès dimanche un pape sur son territoire. Une visite qui s’inscrit dans le processus de réconciliation de l’Église catholique avec les communautés autochtones. Mais certains craignent que les excuses du pape François destinées aux survivants des pensionnats pour Autochtones ne soient pas au coeur de la visite papale, ce qui constituerait une erreur à leurs yeux.
« Les excuses, elles ont été faites [au Vatican], fait remarquer en entrevue au Devoir Mgr Raymond Poisson, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC). On va y faire allusion, bien sûr, mais on ne repart pas à zéro. Il faut avancer. »
Au Vatican, en avril, le pape François a reconnu la responsabilité de l’Église catholique « dans les abus et le manque de respect » envers l’identité, la culture et les valeurs spirituelles des Autochtones. Ces excuses étaient survenues au terme d’une visite d’une semaine d’une délégation canadienne, composée de représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits, qui avait raconté sa douleur au souverain pontife.
« Notre perspective et celle du Saint-Père, c’est qu’on n’a pas fait la délégation à Rome pour rien, poursuit Mgr Poisson. C’était l’étape où le pape pouvait écouter avec intimité, humilité et chaleur humaine les témoignages de survivants. Le voyage, c’est une autre étape. »
Au-delà des excuses, il faut bâtir la réconciliation, insiste-t-il. « Ce qu’on veut faire dans le voyage du pape, ce sont des gestes et des actions de réconciliation. Peut-être autant, sinon plus, de réconciliation que d’excuses. »
Mais pour Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), la délégation autochtone à Rome a toujours été claire sur cet aspect : le pape doit prononcer des excuses officielles sur les territoires ancestraux des peuples autochtones canadiens pour les torts causés par le régime des pensionnats.
« C’est vraiment ce qui est recherché à travers la visite papale », dit-il.Une visite qui doit être une source d’apaisement pour tous les survivants des pensionnats, ajoute Mandy Gull-Masty, grande cheffe du gouvernement de la nation crie. « Il s’agit d’un moment qui doit leur être complètement dédié. »
Ce sera ensuite à ces anciens élèves de décider de la réponse qu’ils offriront à la demande de pardon du Saint-Père, souligne Ghislain Picard. Aux côtés de la guérison collective, il y a des milliers de guérisons individuelles qui doivent fleurir. « Il appartient à elles seules [les personnes survivantes] d’accepter les excuses et d’accorder leur pardon et de poursuivre leur démarche de guérison. »
L’APNQL déplore d’ailleurs « l’insensibilité » des autorités catholiques dans l’organisation logistique de l’événement. Le déplacement pour assister à la messe à l’intérieur ou à l’extérieur de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, le 28 juillet, se fera très tôt le matin, en autobus ou en navette. Or, les survivants sont des personnes souvent âgées, parfois malades ou qui ont une mobilité réduite, note Ghislain Picard. « Il aurait fallu que ce soit pris en considération. »
D’autant que ces excuses arrivent bien tardivement. L’Église catholique — qui avait sous sa responsabilité 70 % des pensionnats pour Autochtones du pays — est la dernière institution impliquée dans la gestion de ces écoles à faireacte de contrition. Le gouvernement canadien, l’Église anglicane, l’Église presbytérienne et l’Église unie ont tous déjà présenté des excuses officielles.
Pour la cheffe Mandy Gull-Masty, il est du « devoir » de l’Église catholique de faire de cette visite une réussite. « Tous les survivantes et survivants des pensionnats pour Autochtones méritent de recevoir les excuses qu’elles et ils attendent depuis trop longtemps. »
Par la suite, une des grandes étapes pour avancer sur le chemin de la réconciliation sera l’ouverture, tant réclamée, des archives, ce qui pourrait donner l’occasion de mieux comprendre ce qui s’est produit dans les pensionnats. « C’est en marche. Les armoires sont ouvertes, assure Mgr Poisson. Mais c’est un peu délicat. Il y a toujours une question de vie privée. On marche sur des oeufs. »
Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal, indique toutefois que ces considérations liées au respect de la vie privée ne concernent que les individus — Autochtones ou religieux — toujours en vie. « C’est un droit qui disparaît à la mort de la personne. Lorsqu’on meurt, on n’a plus de droit à la vie privée », explique-t-il.
Idem pour le droit à la réputation. « Il n’existe pas une telle chose qu’un droit qui fait en sorte que lorsqu’une personne meurt, vu qu’elle ne peut plus se défendre, on ne pourra plus jamais parler d’elle », mentionne le professeur.
L’Église ne pourra donc pas cacher des informations touchant ses membres décédés sous prétexte que leur droit à la vie privée ou à la réputation serait entaché. « D’autant plus qu’il y a des enjeux d’intérêt public », analyse Pierre Trudel. Les renseignements personnels, comme le nom d’une personne, pourraient toutefois être caviardés.
Actuellement, le Centre national pour la vérité et la réconciliation, sis à l’Université du Manitoba, s’affaire à centraliser les archives du gouvernement fédéral et des congrégations religieuses ayant trait aux pensionnats pour Autochtones.
La visite du pape François en sol canadien survient un an après la découverte de plus d’un millier de tombes anonymes sur les sites d’anciens pensionnats pour Autochtones. Une nouvelle qui avait fait le tour du monde, et qui avait poussé les évêques canadiens à inviter le pape à se rendre au Canada. Mais bien peu d’informations ont depuis filtré sur cette découverte.
Il a été établi qu’il ne s’agit pas de fosses communes, mais bien de tombes. Mais y a-t-il déjà eu des croix ou des pierres tombales à ces emplacements, qui auraient disparu au fil des ans ? « Avec le temps, si c’était des croix de bois, ça se comprend [qu’elles n’y soient plus], souligne Mgr Poisson. Je ne sais pas [si c’était le cas] partout. Mais en général, c’est la tradition quand quelqu’un décède, de mettre une croix sur sa tombe. »
La professeure d’anthropologie de l’Université de l’Alberta Kisha Supernant — qui a collaboré à titre de chercheuse aux fouilles autour des pensionnats de Muscowequan en Saskatchewan et de St. Bernard en Alberta — convient que des tombes ont pu avoir été marquées. « On peut supposer que certaines d’entre elles ont potentiellement déjà eu de petites croix en bois », dit-elle en entrevue. Des recherches ont cours présentement pour tenter de trouver des photos d’archives des cimetières.
Dans le cas précis du pensionnat de Marieval en Saskatchewan, où 751 tombes anonymes ont été découvertes, il a été déterminé que plusieurs pierres tombales ont été fauchées par un bulldozer dans les années 1960.
Cette information ne change-t-elle pas le discours ayant accompagné, à l’origine, cette découverte ? « D’avoir un marqueur [comme une croix en bois ou une pierre tombale], c’est mieux que de ne pas en avoir, admet Kisha Supernant, également directrice de l’Institut d’archéologie autochtone et des Prairies (IPIA). Mais ça n’enlève pas le fait que ces enfants sont morts loin de chez eux. Et que leurs parents et leurs familles ne savaient parfois pas qu’ils étaient morts et où ils étaient enterrés. »
Il est encore impossible de savoir exactement combien de tombes, parmi les centaines trouvées, contiennent les ossements d’anciens pensionnaires. Certains cimetières accueillaient aussi des défunts des communautés avoisinantes.
« Avec les radars à pénétration de sol, on ne peut pas savoir si c’est la tombe d’un adulte ou d’un enfant », explique Kisha Supernant. Certaines communautés prévoient de procéder à l’exhumation des corps, d’autres ont fermé la porte à cette éventualité. Mais toutes souhaitent connaître la vérité sur ce qui s’est passé.
Selon la Commission de vérité et réconciliation, au moins 4134 enfants autochtones sont décédés dans les pensionnats, dont le dernier en activité, en Saskatchewan, a fermé ses portes en 1996. Les conditions de vie dans ces établissements étaient très difficiles, plusieurs enfants sont morts de maladie, d’autres souffraient de malnutrition ou de mauvais traitements. Selon les époques, le taux de mortalité dans les pensionnats pour Autochtones — où un « génocide culturel » a été opéré — était de deux à cinq fois plus élevé que celui des écoliers canadiens en général.
« Comme humanité, on prend conscience que [le système des pensionnats] était inacceptable et on veut réparer », conclut Mgr Poisson.
Les commerces autour de la célèbre basilique se détournent lentement du sacré pour créer une vie de quartier.
Certains félicitent l’acte de contrition, d’autres déplorent que le pape s’excuse pour des crimes commis par d’autres.
L’Église catholique est la dernière institution impliquée dans la gestion des pensionnats à demander pardon.