Spéculation et manque de fonds menacent des logements sociaux sur la Rive-Sud

À Longueuil, le manque de terrains disponibles s’ajoute aux défis financiers que connaissent les groupes communautaires du secteur qui tiennent des projets de logements sociaux à bout de bras.
Photo: Darryl Dyck Archives La Presse canadienne À Longueuil, le manque de terrains disponibles s’ajoute aux défis financiers que connaissent les groupes communautaires du secteur qui tiennent des projets de logements sociaux à bout de bras.

La construction de centaines de logements sociaux et abordables sur la Rive-Sud, dans la région de Montréal, est retardée, voire menacée, en raison du manque de fonds et de terrains disponibles, à un prix raisonnable, dans un secteur en plein boom immobilier.

En 2017, le projet des Habitations Josette-Lachance, qui prévoit la construction de 72 logements sociaux financés par le programme provincial AccèsLogis, était alors évalué à 18 millions. Une estimation qui a « explosé » en cinq ans, explique au Devoir la chargée de projet du Groupe de ressources techniques (GRT) de la Rive-Sud, Maude Paquin, qui pilote ce projet avec l’Office municipal d’habitation (OMH) de Châteauguay. « Je ne m’attends pas à un projet en bas de 35 millions, c’est sûr », ajoute Mme Paquin, qui attribue ce bond à « la surchauffe du marché de la construction ».

L’ouverture des soumissions déposées dans le cadre de l’appel d’offres pour ce projet aura d’ailleurs lieu le 21 juillet.

« On est super craintifs », confie le directeur général de l’OMH de Châteauguay, Bertrand Loiselle, qui constate que « les projets qui s’ouvrent en ce moment, c’est très cher la porte ». A priori, l’organisme espère livrer ce projet au printemps 2024. « Mais si c’est retardé parce qu’il n’y a pas assez de sous […] là on parle de 2025. »

Toujours à Châteauguay, la Société locative d’investissement et de développement social (SOLIDES) s’est pour sa part tournée vers le nouveau Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ) pour financer un projet de 96 logements destinés à une clientèle à faible et moyen revenu.

L’organisme dépendra toutefois d’autres types de subventions, notamment en provenance du fédéral, pour assurer le financement de ce projet, au moment où les coûts de construction « augmentent à un rythme fou », explique le directeur général de SOLIDES, François Giguère.

« C’est une situation un peu surréaliste où on doit additionner les programmes pour avoir un projet qui est viable, parce qu’aucun gouvernement ne reconnaît vraiment la valeur de ces projets, lance-t-il. Ils veulent avoir le plus de projets possible pour le moins de coûts possible. »

À l’instar d’autres responsables d’organismes consultés, M. Giguère craint de devoir augmenter les loyers qu’il prévoyait de proposer dans ce futur bâtiment afin que son projet puisse se concrétiser. Une avenue qu’il aimerait ne pas avoir à emprunter.

« Les gens qu’on vise à loger, c’est la caissière du IGA, c’est l’ouvrier d’entretien qui fait du ménage à 16 $ l’heure. Ce sont des gens qui ont des salaires, qui travaillent fort, mais qui ont de la difficulté à se loger », indique le directeur général, qui rappelle que la crise du logement affecte un spectre de plus en plus large de travailleurs.

800 logements en attente

 

À Longueuil, le manque de terrains disponibles s’ajoute aux défis financiers que connaissent les groupes communautaires du secteur qui tiennent des projets de logements sociaux à bout de bras.

« Dans les dernières années, on a déposé énormément de projets, mais l’enjeu, c’est le terrain », résume la directrice générale d’Habitations communautaires Longueuil, Mary Claire Macleod. « Je n’ai jamais eu besoin d’être aussi patiente de ma vie », ajoute-t-elle en référence aux différents projets de logements sociaux que pilote l’organisme.

Jointe par Le Devoir, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, indique que les équipes de la Ville procèdent actuellement à un inventaire de l’ensemble des terrains et des bâtiments municipaux, inventaire qui devrait être achevé cet automne. La Ville souhaite ensuite « développer des projets avec le milieu communautaire » sur certains des sites à sa disposition, en plus d’utiliser son droit de préemption pour acquérir des terrains privés.

« C’est une corde supplémentaire qui va nous permettre d’avoir des terrains pour du logement social », explique la mairesse. Réserver des terrains sera toutefois de peu d’utilité si le financement de Québec et d’Ottawa destiné au logement social n’augmente pas, indique la mairesse. Actuellement, 801 logements sociaux sont en attente d’un financement suffisant pour prendre forme dans l’agglomération de Longueuil, selon un décompte fourni par la Ville. Certains de ces neuf projets, explique Mme Fournier, seraient « prêts à être lancés demain matin », mais « ce qui manque, c’est le financement ».

de

Des loyers pas si abordables

À Saint-Amable, en Montérégie, les membres du milieu communautaire responsables du projet d’une résidence pour aînés de 40 logements abordables ont constaté à la mi-mai que le montant proposé par le plus bas soumissionnaire pour construire ce bâtiment était nettement plus élevé que la somme reconnue par AccèsLogis. Ce projet, évalué à près de 27 millions, se retrouve donc dans une impasse.

« Si la [Société d’habitation du Québec] ne donne pas plus de subventions, il faudra que les locataires paient plus cher » afin d’augmenter la part du financement destiné au paiement de l’hypothèque, soulève le directeur général du GRT de la Rive-Sud, Elie Gravel. Or, ce projet prévoit déjà des loyers de 1086 $ pour un trois et demie et de 1226 $ pour un quatre et demie.

« On veut des loyers en dessous du prix courant, sinon, ça ne tient pas debout », affirme la chargée de projets Maude Paquin, qui envisage de lancer un nouvel appel d’offres public dans l’espoir d’obtenir une soumission plus basse pour ce projet.

« C’est évident que nous sommes sensibles à tout ce qui touche l’habitation, et c’est pourquoi nous avons investi près d’un milliard de dollars depuis 2018 pour faire lever de terre les projets qui se trouvaient dans AccèsLogis Québec », déclare par courriel la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest. Celle-ci rappelle que les coûts de construction admissibles à ce programme ont été rajustés en 2019, puis de nouveau cette année. « Nous demeurons sensibles et à l’écoute. Nous travaillons sur tous les fronts pour augmenter l’offre de logements abordables et sociaux », assure la ministre.

À voir en vidéo