Le cannabis accapare le tiers de l’électricité d’un programme voué à l’autonomie alimentaire

Avec 124 gigawattheures, la filière du cannabis a représenté 32% de l’électricité achetée avec un tarif avantageux en 2021 dans le cadre de la Stratégie de croissance des serres, une initiative visant à favoriser l’autonomie alimentaire dans la province.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Avec 124 gigawattheures, la filière du cannabis a représenté 32% de l’électricité achetée avec un tarif avantageux en 2021 dans le cadre de la Stratégie de croissance des serres, une initiative visant à favoriser l’autonomie alimentaire dans la province.

Un an et demi après la mise en place de tarifs d’électricité avantageux pour les producteurs en serre, la production de cannabis accapare le tiers de la consommation d’électricité de ce programme voué à améliorer l’autonomie alimentaire de la province, selon les données transmises au Devoir par Hydro-Québec.

Il n’y a donc pas que les producteurs de fruits et légumes en serre qui bénéficient du tarif avantageux de la société d’État — 5,59 ¢ le kilowattheure (kWh) — leur permettant de réduire leur facture d’électricité d’environ 40 %. Vingt-trois producteurs de cannabis profitent aussi de ce programme.

Avec 124 gigawattheures (GWh), la filière du cannabis a représenté 32 % de l’énergie achetée avec ce tarif avantageux en 2021. La production de fruits et légumes a compté pour 67 % des ventes, alors que l’horticulture — dont la production est arrêtée en hiver — n’a occupé que 1 %.

« Je dois avouer que [la part de consommation] du cannabis me surprend. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi élevé, d’autant plus que ce n’est pas l’industrie la plus en santé à l’heure actuelle », observe André Mousseau, président des Producteurs en serre du Québec (PSQ).

Par contre, M. Mousseau n’y voit pas de problème. Lors des discussions qui ont mené à la mise en place de ces tarifs, le PSQ était favorable à l’inclusion de la filière du cannabis, raconte-t-il : « Un producteur met en place des équipements et des infrastructures pour produire quelque chose. Rien ne dit que, dans une couple d’années, ces infrastructures ne serviront pas à un autre type de culture. »

« Je me serais attendu à ce que [la part des producteurs de cannabis] soit encore plus élevée », dit pour sa part Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE), une fois mis au courant des données. Selon lui, l’industrie du cannabis, en plein essor, aurait pu carrément damer le pion aux producteurs maraîchers en serre, qui avaient démontré dans le passé un intérêt limité pour le chauffage électrique.

Possible exclusion ?

 

En 2020, lors des audiences de la Régie de l’énergie portant sur le nouveau tarif pour les serres, plusieurs intervenants s’étaient prononcés en faveur d’une exclusion des producteurs de cannabis. Ils voulaient que le programme bénéficie avant tout aux entreprises contribuant à l’autonomie alimentaire du Québec.

5,59 ¢
C’est le tarif d’électricité, par kilowattheure, dont bénéficient les producteurs en serre au Québec, dans le cadre d’un programme pour favoriser l’autonomie alimentaire. Ce prix leur permet de réduire leur facture d’électricité d’environ 40 %. Vingt-trois producteurs de cannabis profitent de ce programme.

La Régie s’en était néanmoins tenue à la proposition d’Hydro-Québec de ne pas exclure les producteurs de cannabis. Elle invoquait le fait que, de toute manière, des surplus d’électricité seraient disponibles jusqu’à 2027. Toutefois, l’organisme réglementaire recommandait de revoir l’admissibilité des serres de cannabis dès 2025.

« Lorsque la fin des surplus énergétiques sera imminente, lit-on dans la décision, un resserrement du domaine d’application devra s’imposer afin de minimiser l’impact négatif d’une hausse tarifaire pour l’ensemble de la clientèle, sans en affecter l’objectif prioritaire recherché, soit l’autonomie alimentaire. »

Lors des audiences, Hydro-Québec avait pour sa part souligné qu’en encourageant le développement de l’ensemble de l’industrie serricole — dont le cannabis —, la province se dotait de « la flexibilité nécessaire » pour atteindre l’autonomie alimentaire. Cette approche permettrait de « transférer une production de cannabis vers les fruits et légumes en cas de besoin ».

Avant la mise en place du tarif réduit en 2020, les grands serristes (300 kW et plus) pouvaient déjà bénéficier d’un prix avantageux pour l’éclairage (mais pas le chauffage) de leurs serres. En 2019, on comptait 5 producteurs de cannabis parmi les 23 clients abonnés à ce tarif réduit. Les serristes de marijuana consommaient alors 40 GWh, soit 23 % de l’énergie vendue au rabais.

Des résultats encourageants

 

Dans une perspective globale de la production serricole, les tarifs avantageux offerts à un plus grand nombre d’entreprises changent la donne, constate André Mousseau. « Ce qu’on voit sur le terrain, c’est une augmentation des superficies et des capacités de production, dit-il. Quand on pense qu’il y avait environ 20 entreprises qui profitaient du programme [qui ne s’adressait qu’aux grands consommateurs d’énergie] ; ç’a été multiplié par plus de quatre. Il y a un avant et un après. »

L’initiative d’Hydro-Québec s’inscrit dans une initiative plus vaste du gouvernement pour favoriser l’autonomie alimentaire : la Stratégie de croissance des serres. En près de deux ans, 61 nouveaux hectares en fruits et légumes ont été ajoutés, selon les données du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

« L’objectif était de doubler, donc d’atteindre 123 nouveaux hectares [d’ici 2025]. Nous pouvons donc dire que nous sommes à 50 % de l’objectif », indique dans un courriel un porte-parole du MAPAQ.

Le volume de production a quant à lui doublé. Dans le maraîchage, plus de 34 000 tonnes supplémentaires de fruits et légumes de serre ont été commercialisées, ce qui représente une hausse de 81 % par rapport à 2018, selon les chiffres du MAPAQ.

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