Les angles morts de la crise immobilière

Une chercheuse associée à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) apporte un regard nuancé sur certaines affirmations qui reviennent invariablement lorsqu’il est question de la crise du logement à Montréal et qui éclipsent l’ampleur du problème, dans une analyse qui paraît mercredi.
Montréal est-elle abordable ? Si on pose la question à un élu, on l’entendra bien souvent rappeler que la métropole québécoise demeure abordable, si on la compare à Toronto ou à Vancouver, ce qui n’est pas faux. La chercheuse Marie-Sophie Banville, qui a notamment donné un cours sur la financiarisation du logement à Concordia avant d’entamer un doctorat en droit à l’Université de Victoria, critique toutefois cette comparaison, qui cache des angles morts.
« Le problème avec ça, c’est que Toronto et Vancouver pulvérisent des records d’inabordabilité à l’échelle de l’Amérique du Nord et à l’échelle internationale. Donc, quand on se compare à Toronto et à Vancouver, on se met sur un palmarès où on ne veut absolument pas être », évoque-t-elle en entrevue au Devoir mardi, à la veille de sa première publication pour l’IRIS.
En effet, selon un palmarès établi par Oxford Economics en janvier, dont la chercheuse fait mention, Vancouver est la métropole la moins abordable en Amérique du Nord, tandis que Toronto arrive en quatrième position sur cette liste. Montréal, qui demeure plus abordable que ces deux villes, a pour sa part vu la valeur à la revente des propriétés sur son territoire augmenter de 314 % entre 2000 et 2022, soit à un rythme plus rapide que de grandes villes nord-américaines comme Los Angeles (+296 %), San Francisco (+267 %) et New York (+158 %), relève la fiche socioéconomique de l’IRIS.
« Par conséquent, bien que les prix réels de l’immobilier à Montréal demeurent, à ce jour, inférieurs à ceux des grandes métropoles américaines, on observe néanmoins une flambée fulgurante des prix lorsque les propriétés changent de main », indique l’analyse. Une situation qui affecte en particulier les locataires de la métropole, puisque les propriétaires n’ont souvent d’autre choix que d’augmenter considérablement le loyer des occupants de leurs logements pour rembourser leur hypothèque, estime Mme Banville.
« La trajectoire dans laquelle se trouve Montréal est inquiétante », ajoute la chercheuse, qui estime « qu’on minimise le problème » lorsqu’on compare la situation du logement dans la métropole québécoise à celle qui prévaut à Toronto et à Vancouver.
Construire toujours plus
Si on manque de logements abordables, ne suffit-il pas d’en construire davantage ? C’est la solution première qu’évoque régulièrement la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dans ses rapports. Dans une analyse publiée la semaine dernière, celle-ci prévoit ainsi qu’il faudrait construire 3,5 millions de logements résidentiels et locatifs de plus au pays d’ici 2030 que ce qui est envisagé en se basant sur le taux de construction actuel.
Or, il n’y a pas que l’offre qui doit être prise en considération, mais aussi la demande, note Marie-Sophie Banville, qui estime que le rôle des différents programmes d’aide à l’accession à la propriété pilotés par la SCHL dans la rareté de logements disponibles devrait être pris en compte.
« On a beau répéter qu’il faut augmenter l’offre, si on n’enlève pas le pied sur l’accélérateur de la demande et qu’on ne vient pas changer cette culture de surstimulation de la demande, on est condamné à continuellement répéter qu’il faut augmenter l’offre », illustre la chercheuse. Elle estime que la SCHL devrait réviser ses programmes d’accession à la propriété pour en limiter les impacts sur le resserrement du marché immobilier.
Joint par Le Devoir, l’économiste Francis Cortellino, de la SCHL, reconnaît que « la demande des acheteurs peut jouer un rôle » dans le manque de logements disponibles sur le marché. Il affirme cependant que c’est sur l’offre de logements qu’il faut miser pour contrer une pénurie à long terme. « Il faut pratiquement doubler le nombre de logements par rapport au statu quo », insiste-t-il.