La couronne nord plus chère que l’île de Montréal pour les familles locataires

Auparavant perçue comme une solution de rechange abordable, la Rive-Nord dans la région de Montréal est désormais plus chère que la ville pour les familles. À Laval et dans les Laurentides, les loyers mensuels des logements de trois chambres et plus dépassent d’une dizaine de dollars ceux situés sur l’île, révèle une analyse des annonces publiées sur Kijiji par Le Devoir. Un phénomène qui réduit l’accessibilité aux logements pour certains locataires toujours dépourvus d’options à l’approche du 1er juillet.

« La date du déménagement arrive vite, ça fait peur. » Depuis avril, Suzanne Jubinville cherche un appartement pour sa fille, son mari et elle-même. La maison qu’ils louaient à Boisbriand a été achetée par de nouveaux propriétaires, qui l’occuperont à compter de vendredi.

« On n’a toujours rien trouvé après une dizaine de visites, déplore-t-elle. Les appartements sont chers et moi, j’ai un petit chien, un shih tzu, donc c’est encore plus difficile. »



 

Boisbriand, Sainte-Thérèse, Saint-Eustache… et même Saint-Jérôme. La famille a agrandi son secteur de recherche, mais la distance est problématique ; Suzanne est suivie à l’hôpital de Saint-Eustache pour son cancer du sein. Le couple a dû rendre sa voiture au concessionnaire ce printemps, faute de pouvoir payer les quelques centaines de dollars de location mensuelle.

Leur budget de 1200 $, auquel contribuera sa fille de 25 ans qui travaille au salaire minimum, ne leur permet guère de s’offrir un appartement de trois chambres. Dans la MRC de Sainte-Thérèse-de-Blainville, le prix moyen des appartements 5 ½ est de 1924 $, selon l’analyse du Devoir. Même les appartements 4 ½, ce que cherche actuellement la famille, sont au-delà de leur budget, à 1375 $ en moyenne dans la MRC.

« Je ne demande pas un château ! Je veux juste un appartement qui est bien correct », souligne la mère, qui payait « dans les 800 $ » deux ans plus tôt. La municipalité de Sainte-Thérèse l’a renvoyée vers les habitations à loyer modéré (HLM), mais son ménage n’est pas admissible, vu les trois revenus combinés. Et du côté de Boisbriand, elle n’a toujours pas réussi à parler à un agent : « La boîte vocale est toujours pleine ! »

En deçà de l’équilibre

Suzanne n’est en effet pas seule à faire face à cette hausse de prix vertigineuse ; devant un marché de l’immobilier hors de prix, de nombreuses familles se sont tournées vers la location ces trois dernières années, selon Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ce qui a fait fondre les taux d’inoccupation à travers la province.

« C’est la loi de l’offre et la demande, explique M. Gaudreau. Quand plus de gens cherchent un logement et que les logements sont rares, les propriétaires ont l’avantage. Ils peuvent donc sélectionner les plus offrants comme locataires. »

Selon la SCHL, le taux d’inoccupation des appartements de trois chambres et plus est de 2,1 % dans la grande région de Montréal, soit bien en deçà des 3 % équilibrés. Mais dans les banlieues de la métropole, plus particulièrement, c’est encore pire : le taux est toujours en dessous de 1 %, avoisinant parfois même 0 %.

2,1%
C’est le taux d’inoccupation des appartements de trois chambres et plus dans la grande région de Montréal.

C’est l’une des raisons qui expliquent ces prix ahurissants. Dans la zone de recherche de Suzanne Jubinville et sa famille, les logements de trois chambres et plus ont vu leurs loyers croître de 34 % entre octobre 2018 et 2021 (Boisbriand/Blainville/Sainte-Thérèse), de 22 % à Saint-Eustache/Mirabel/Oka et de 16 % à Saint-Jérôme. Des chiffres qui dépassent largement l’inflation.

Parmi les municipalités les plus surprenantes, car historiquement abordables pour des familles sur la Rive-Nord, on trouve Bois-des-Filion, avec des loyers moyens affichés de 2143 $, Mirabel, à 1926 $, Boisbriand, à 1840 $ et Sainte-Thérèse, à 1524 $.

Même du côté de la Rive-Sud dans la région de Montréal, le loyer moyen d’un 5 ½ et plus excède les 2000 $ dans des villes comme Candiac (2197 $) et Vaudreuil-Dorion (2162 $).

Louis Gaudreau avance par ailleurs qu’un logement de trois chambres et plus ne prend pas nécessairement la même forme en banlieue, où on trouve davantage de maisons unifamiliales ou en rangée, ce qui justifie un prix plus élevé. « Quand on sort de Mont-réal et qu’on cherche de grands logements, il y a plus de chances qu’on trouve des maisons en location », dit l’expert. Les données compilées par Le Devoir semblent appuyer cette hypothèse : dans les Laurentides, le tiers des annonces de logements d’au moins trois chambres sur Kijiji comprenaient le mot « maison », contre moins de 4 % pour ceux à Montréal.

Enfin, l’expert évoque deux autres hypothèses pour expliquer ces loyers élevés. Puisque le marché de l’immobilier est devenu explosif ces deux dernières années, certains nouveaux propriétaires tentent de rentabiliser leur investissement en augmentant les loyers de leurs locataires. De surcroît, « à partir du moment où les hausses de loyer se généralisent sur l’île de Montréal, les propriétaires des régions à proximité augmentent eux aussi les loyers », ajoute-t-il.

Initiative citoyenne

 

Au-delà de la construction de nouvelles habitations, on compte parmi les solutions évoquées à moyen terme un plus grand accès aux programmes d’aide au logement, comme les habitations à loyer modéré (HLM) ou encore l’initiative Allocation-Logement, qui ne s’adresse pour l’instant qu’aux familles à faibles revenus et aux 50 ans et plus. Des experts ont aussi mentionné au Devoir qu’une meilleure application du Code civil, qui prévoit plusieurs mesures pour protéger les droits des locataires, améliorerait la situation.

Je ne demande pas un château ! Je veux juste un appartement qui est bien correct.

Mais à Rosemère, des citoyens ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Ils sont plus d’une dizaine à s’être réunis pour fonder la première coopérative d’habitation multigénérationnelle dans la municipalité. « On voyait que plusieurs aînés n’avaient plus les moyens de rester à Rosemère, mais rendus à un certain âge, ça devient très stressant de sortir les gens de leur milieu », explique l’une des fondatrices, Véronique Pierre.

Elle a ainsi suivi un cours auprès de la Fédération des coopératives d’habitation du Montréal métropolitain, et, depuis, les assemblées d’information, le recrutement de bénévoles et les rencontres avec les autorités se succèdent. Même si elle considère que le projet est à l’étape « 1 sur 10 », elle croit réussir à offrir un toit pour une trentaine de ménages d’ici cinq ans.

« Une jeune mère me racontait récemment que, si elle divorçait, elle ne pourrait plus rester à Rosemère. Je sens énormément de soulagement de la population lorsqu’ils apprennent que [la coopérative] est une option, si jamais », raconte la citoyenne.

Méthodologie

Le Devoir a compilé 46 939 annonces d’appartements publiées sur le site Kijiji du 1er avril au 1er juin 2022. Seules les annonces faisant partie de la catégorie « long terme » et dont le prix est compris entre 300 $ et 4000 $ ont été utilisées. Les doublons et celles comprenant le mot « coloc » ont été retirés, pour un total d’environ 30 000 annonces analysées.  Les données de l’Outaouais ne sont pas comprises dans cette analyse puisque Kijiji place Gatineau dans la province de l’Ontario. Les autres municipalités de la région n’ont pas franchi le seuil de trois annonces. Les régions, les MRC, les municipalités et les arrondissements (pour les annonces de Montréal) ont été déterminés à partir des données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement grâce à l’outil de géolocalisation de Mapbox. Ce reportage ne tient pas compte des annonces publiées sur d’autres plateformes, comme Marketplace, Centris ou DuProprio.


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