Bras de fer à Montréal sur l’insalubrité et la hausse des loyers

Les moyens proposés par l’administration de Valérie Plante pour s’attaquer à l’insalubrité des logements locatifs de la métropole soulèvent les inquiétudes et les critiques de différentes associations de propriétaires et de locataires, dont les propositions sont aux antipodes pour s’attaquer à cet enjeu.
Dans le tourbillon de l’actualité des dernières semaines, la consultation publique de la Ville de Montréal sur son projet de certification « Propriétaire responsable » et de la création d’un registre des loyers à l’échelle de la métropole est passée largement sous le radar médiatique. La trentaine de mémoires déposés sur le site de la Ville par des citoyens et divers organismes témoignent toutefois de l’importance des questions soulevées. Cette démarche a d’ailleurs parfois mené à des échanges corsés lors des deux audiences publiques tenues le 31 mai et le 8 juin dans le cadre de cette démarche.
Concrètement, le projet actuellement analysé par une commission publique de la Ville vise à s’attaquer au problème de l’insalubrité des logements locatifs à Montréal tout en y limitant la hausse du coût des loyers. La certification à l’étude vise ainsi à encourager les propriétaires d’immeubles de huit logements et plus à entretenir leurs bâtiments locatifs et à tenir la Ville informée de l’état de ceux-ci en lui transmettant diverses informations tous les cinq ans. Celles-ci devront comprendre le loyer des logements concernés, qui serait à terme disponible dans un registre public.
Le projet de la Ville, qui prévoit des amendes élevées pour les récalcitrants, sera mis en application graduellement en partant des bâtiments de 100 logements et plus à partir de 2023 pour s’étendre progressivement à ceux de 8 à 11 logements d’ici 2027.
« Des effets pervers »
À l’instar de différents comités logement, la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal juge insuffisante l’intention de la Ville de limiter à terme l’application de cette certification aux immeubles de 8 logements et plus, qui représentent 35 % du parc de logements locatifs de la métropole. Le registre des loyers devrait aussi être indépendant de cette certification afin de s’appliquer à tous les logements locatifs de Montréal sur une base annuelle, estime la DRSP.
Une idée que partage aussi l’ancien conseiller municipal Richard Ryan, qui a pris part à cette consultation publique à titre de citoyen. « L’information, si elle est tous les cinq ans, elle est caduque », lance au Devoir samedi le passionné d’urbanisme et d’habitation. Cet éventuel registre devra aussi être reconnu par Québec afin qu’il puisse être utilisé par des locataires souhaitant faire fixer leur loyer par le Tribunal administratif du logement, relève également M. Ryan.
Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) dit d’ailleurs craindre dans son mémoire qu’une application limitée aux immeubles de huit logements et plus de cette certification ait des « effets pervers » en incitant des spéculateurs immobiliers à miser sur les quartiers de Montréal en périphérie du centre-ville, où se concentre une majorité de bâtiments locatifs de plus petite taille.
« On se retrouverait avec un deux poids, deux mesures », illustre le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, qui craint que la certification proposée par la Ville crée « une forme d’injustice urbaine » si elle n’est appliquée qu’à une fraction de ses logements locatifs.
Santé mentale
Le directeur général de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Benoit Ste-Marie, a pour sa part fait vivement réagir des élus membres de la commission de la Ville responsables des dossiers d’urbanisme et d’habitation le 8 juin dernier. Lors d’une audience publique, il a fait valoir que les locataires — en particulier ceux avec des problèmes de santé mentale ou des troubles du comportement — sont responsables de la grande majorité des cas d’insalubrité dans des logements à Montréal.
Le mémoire de la CORPIQ, qui réclame la mise sur pause de ce projet de certification et la tenue d’une nouvelle consultation publique « objective » a notamment fait sursauter le maire de Rosemont–La Petite-Patrie, François Limoges, qui n’a pas caché son agacement en réplique à M. Ste-Marie.
« Je reste un peu sans mot sur certaines de vos affirmations », a lancé l’élu pendant l’audience publique du 8 juin. « Quand on parle d’insalubrité de logements à Montréal, on ne parle pas de santé mentale. On parle d’un logement où vous ne voudriez pas installer votre fils, votre cousin, votre mère, votre soeur. On parle de logements tellement dégradés que les conditions humaines de base ne sont pas respectées », a ajouté M. Limoges, qui a insisté sur la responsabilité des propriétaires dans plusieurs cas d’insalubrité documentés.
« On tente de donner un outil supplémentaire à la Ville de Montréal pour s’attaquer aux propriétaires qui ne font pas leur travail », a-t-il renchéri.
L’Association des propriétaires du Québec réclame pour sa part l’abandon pur et simple de ce projet, qui risque selon son président de désintéresser des propriétaires d’investir dans le marché locatif, au moment où celui-ci manque de logements. Les propriétaires qui devront appliquer cette certification risquent par ailleurs de répercuter sur les locataires la facture liée à la gestion que cela implique et les travaux qui devront être menés dans leurs logements, prévient Martin Messier en entrevue. « Il n’y a pas de logique ni de vision dans tout ça. C’est très préoccupant. »
La commission municipale chargée de ce dossier doit rendre ses recommandations à la Ville en septembre.