Le père condamné à verser 30 000 $ pour aliénation parentale fait appel

Selon plusieurs avocates consultées, ce jugement serait un rare cas, sinon une première : elles n’avaient jamais vu auparavant de cause où une somme d’argent est accordée pour compenser l’aliénation parentale.
Catherine Legault Archives Le Devoir Selon plusieurs avocates consultées, ce jugement serait un rare cas, sinon une première : elles n’avaient jamais vu auparavant de cause où une somme d’argent est accordée pour compenser l’aliénation parentale.

Le père condamné à verser 30 000 $ à son ex-conjointe, pour avoir contribué à détruire la relation entre celle-ci et leur enfant, fait appel de ce jugement.

Il a déposé une requête pour obtenir de la Cour d’appel la permission d’en appeler de la décision rendue fin avril par la juge Élise Poisson de la Cour supérieure.

Dans son jugement, la magistrate écrivait notamment que le père « a engendré un conflit de loyauté menant à la rupture des liens entre Madame et l’enfant ».

Elle souligne qu’elle constate la présence de plusieurs faits démontrant l’existence d’aliénation parentale provoquée par Monsieur. Elle relevait alors divers exemples, dont ceux-ci : un jour, la mère envoie son fils « réfléchir dans sa chambre » ; il appelle son père, qui dépêche des policiers pour vérifier si la sécurité de l’enfant est « compromise ». De plus, la juge note que Monsieur partage ses propres frustrations au sujet de son ex-conjointe avec son fils. Il alimente son ressentiment envers elle, et lui dit que sa mère les empêche de partir en vacances alors qu’il refuse d’acquitter sa part du passeport, est-il écrit dans le jugement.

Selon plusieurs avocates consultées, ce jugement serait un rare cas, sinon une première : elles n’avaient jamais vu auparavant de cause où une somme d’argent est accordée pour compenser l’aliénation parentale.

Certaines s’inquiétaient notamment du fait qu’il pourrait ouvrir la voie à toutes sortes de réclamations pour la commission de « fautes parentales ».

Dans sa requête pour permission d’en appeler, obtenue par Le Devoir, Monsieur indique ainsi que les questions soulevées par sa cause sont « d’intérêt pour le droit québécois » et pour la justice.

Si l’appel est permis, l’une des questions sera la suivante : « En droit civil, existe-t-il un recours permettant au parent d’un enfant de réclamer des dommages-intérêts à l’autre parent pour un préjudice subi en raison d’une faute dans l’exercice de son rôle de parent ? »

Si oui, est-il écrit, cela ouvre la porte à une foule d’autres questions : quelle est la norme de conduite à laquelle les parents sont tenus lorsqu’il y a un conflit intrafamilial, et comment évaluer la responsabilité de chacun en cas de détérioration du lien entre l’enfant et l’un de ses parents ? Sans oublier celle-ci : comment évaluer le préjudice subi, ou, autrement dit, quel montant d’argent peut compenser la perte de la relation avec sa progéniture ?

Le père fait valoir qu’il n’existe pas, en droit québécois, de recours entre parents fondés sur l’exercice de leurs droits parentaux — cette décision irait donc à l’encontre des précédents. Et puis, cela ne serait assurément pas dans l’intérêt fondamental des enfants de permettre de telles réclamations, ajoute-t-il, mais aurait presque inévitablement un effet préjudiciable sur eux.

Finalement, il nie avoir commis une faute : sa méthode éducative est certes différente de celle de la mère, mais la juge n’avait pas à « porter de jugement de valeur » et trancher que la sienne est fautive. La preuve offerte à la juge Poisson — sans expertise psychosociale, insiste-t-il — ne soutenait pas une conclusion de comportements aliénants de sa part.

Dans sa décision, la magistrate reconnaît elle-même que la mère a adopté, à certaines occasions, « un comportement rigide et a usé de mesures disciplinaires discutables ». Ce faisant, « elle a contribué à la distanciation de l’enfant », souligne-t-elle dans sa décision.

Comment peut-elle alors trancher qu’il est la cause de la rupture du lien mère-fils ? demande le père dans sa requête.

Celle-ci sera plaidée à la Cour d’appel en septembre prochain. S’il obtient cette permission, le père demandera alors à la Cour d’annuler la condamnation à 30 000 $ en dommages.

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