Forcés d’annuler leur voyage à cause de l'imbroglio des passeports à Service Canada

Malgré un système de billets censé désengorger les files, des voyageurs sont partis bredouilles mercredi matin.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Malgré un système de billets censé désengorger les files, des voyageurs sont partis bredouilles mercredi matin.

Des voyageurs québécois doivent encore annuler leur voyage, à grands frais, contrairement à ce que prétend la ministre fédérale responsable de la gestion des passeports, Karina Gould, qui a de nouveau formulé des conseils contradictoires.

Petya Mateva devait quitter le Canada mercredi, à 19 h, pour revoir sa famille en Bulgarie après plus de trois ans d’éloignement. Campée depuis mardi matin dans la longue file du Complexe Guy-Favreau, à Montréal, pour obtenir le passeport de son fils, elle voit son espoir de s’envoler, depuis quelques heures… s’envoler.

« Comme de bons citoyens, on fait notre demande deux mois d’avance, après on attend. On décide de téléphoner pour voir ce qui se passe. On nous dit d’être là 24 heures à 48 heures avant le vol. Mais, ce n’est pas ça qui fonctionne. C’est premier arrivé, premier servi », raconte-t-elle au Devoir. « Ou alors, on nous dit que l’on ne doit pas faire [l’achat de] notre voyage avant d’avoir notre passeport, et puis on exige d’avoir une preuve de voyage pour obtenir un passeport. Décidez-vous ! »

Elle perd dans cette aventure qui finit mal deux billets et 4000 $. « Ce n’est pas seulement des billets de voyage qu’on perd. On ne sait pas quoi faire. On attend ici, on se pose des questions, on se fait des scénarios. Je travaille dans une manufacture. Nos horaires sont fixes. Mes vacances vont être l’année prochaine. Peut-être que mes parents ne me reconnaîtront plus quand je vais pouvoir les voir de nouveau. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les délais aux bureaux de la région de Montréal sont les pires du pays, avec des files d’attente qui atteignent le millier de personnes chaque jour, selon la ministre Karina Gould.

En début de matinée, devant le constat qu’ils allaient manquer leur vol, plusieurs ont décidé de jeter l’éponge et de quitter la file d’attente. La queue s’allongeait sur deux coins de rue mercredi soir, au premier jour de l’instauration d’un système de billets présenté comme la solution à l’interminable chaos administratif.

« Les personnes qui ont un voyage d’urgence, qui partent dans 48 heures, reçoivent leur passeport », a indiqué la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Karina Gould, au micro de l’émission matinale de Radio-Canada à Montréal. « Je sais que dans la plupart des cas, la personne reçoit [son] passeport si [elle a] la preuve de voyage. »

« C’est faux », rétorque le vice-président de l’Association des agents de voyages du Québec, Éric Boissonneault. « Il y a des gens qui ont perdu leur voyage et d’autres qui vont le perdre. Ça va être d’autant plus vrai durant les deux prochaines longues fins de semaine. »

Ne pas avoir de passeport ne constitue d’ailleurs pas une « raison d’annulation » recevable par les compagnies d’aviation, regrette Éric Boissonneault. À moins que le client ait négocié une assurance ou des « crédits » de voyage pour reporter la date de départ avec ces entreprises, « ce n’est pas leur problème ».

La cerise au goût amer sur le gâteau, à ses yeux, reste encore les frais gouvernementaux de plus de 100 dollars pour le traitement « en urgence » des demandes de passeport. « On devrait se garder une petite gêne », laisse-t-il tomber.

Délai inexplicable

 

La ministre Gould s’est présentée à maintes reprises mercredi devant les journalistes. Elle a répété que les délais aux bureaux de la région de Montréal étaient les pires du pays, avec des files d’attente qui atteignent le millier de personnes chaque jour. Elle a promis de mettre en place « une équipe de gérants » pour superviser les files d’attente, informer les voyageurs et prioriser ceux dont le départ est dans les prochaines 24 à 48 heures.

Elle a précisé que les délais s’expliquaient notamment par le fait que 85 % des demandes enregistrées ces jours-ci sont pour des premiers passeports, soit de nouveau-nés, d’immigrants récents ou de citoyens qui n’ont jamais eu envie de voyager jusqu’ici. En mêlée de presse, elle a critiqué les voyageurs qui s’y sont pris à la dernière minute pour obtenir leur document.

« Vous savez, c’est toujours mieux de s’assurer d’avoir son passeport en main [pour planifier un voyage], mais je comprends que ce sont des temps d’exception », a-t-elle indiqué. Plus tard, elle a dit que les personnes devant annuler un voyage n’auraient pas le droit à une compensation parce que « c’est clair sur le site Web que nous recommandons que vous ayez un passeport avant de faire un voyage ».

Or, comme l’a révélé Le Devoir début juin, il n’est simplement pas possible d’obtenir un rendez-vous dans certains bureaux de passeports à Montréal à moins d’avoir en main un billet pour le lendemain ou le surlendemain, conformément à une règle informelle absente du site Web. La ministre a d’abord contredit ces informations en chambre, avant d’admettre mercredi devant les élus que « pour les personnes qui voyagent dans plus de 48 heures, nous avons une autre stratégie ».

Elle a aussi fermé la porte au versement de dédommagements aux voyageurs forcés d’annuler leurs plans. « Non », a-t-elle répondu aux journalistes lorsqu’elle a été appelée à dire si cette éventualité devrait être considérée.

Des « billets » qui s’envolent

La ministre a indiqué mardi soir qu’un système de « billets » allait être instauré pour faciliter la gestion de l’attente. Quelque 80 billets ont finalement été distribués aux premiers en file, mercredi matin. Après ce mouvement vers l’avant, « on n’a pas du tout avancé », ont confirmé au Devoir plusieurs patients voyageurs.

Pour gérer la masse de citoyens, une organisation spontanée a pris les choses en main. De bons samaritains ont instauré une liste officielle des personnes en file afin de s’assurer que l’ordre est respecté lorsque, le matin, la cohue se précipite pour obtenir un de ces billets. Certains apportent des lits de camp, des chaises, de l’eau ou de la nourriture pour leurs nouveaux amis de file d’attente. Un bloc multiprise a été installé. Il ne manque qu’une toilette, remarquent les prochains à entrer dans le bureau des passeports.

Le mal en patience ne s’arrête pas aux passeports. Les orages qui ont frappé le Québec vendredi dernier ont perturbé les horaires de vols à l’aéroport de Montréal. « Depuis, ça demeure complexe », indique Anne Marcotte, directrice des relations publiques chez Aéroports de Montréal. Elle conseille de remplir son dossier sur l’application ArriveCAN avant de se présenter à l’aéroport, afin de ne pas ralentir le processus, et d’arriver sur place au moins trois heures à l’avance.

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