Encore cinq ans pour régler la pénurie d'enseignants, estime Jean-François Roberge

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, estime avoir besoin de cinq ans pour régler la pénurie d’enseignants. Dans une entrevue avec Le Devoir pour dresser le bilan de son mandat, il dit avoir mis en place des réformes qui se feront sentir à long terme, après deux années éprouvantes dans le réseau scolaire en raison de la pandémie.
« Je pense que dans cinq ans on va avoir retrouvé une sérénité. Dans certaines régions, dans certains domaines, ça va être très vite. Mais avant de penser que c’est derrière nous [la pénurie d’enseignants], il faut se donner un bon cinq ans », a affirmé Jean-François Roberge lors d’un entretien de 75 minutes à son bureau de Montréal, situé dans le quartier Centre-Sud.
Les grandes fenêtres du neuvième étage donnent sur le fleuve, sur La Ronde et sur le port de Montréal. Au loin, tout semble calme, mais le ministre reconnaît que le réseau scolaire a traversé deux années houleuses à cause de la pandémie.
« Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais il y a un changement de perspective. Le meilleur est à venir », affirme-t-il.
« Je comprends que dans les salles des profs et chez certains enseignants, ils ne le sentent pas encore, ça. Je le comprends parce qu’ils viennent probablement de vivre les deux années les plus difficiles de leur carrière. C’était dur. Les retards d’apprentissage, les problèmes de santé mentale, les taux d’absentéisme très élevés, la pénurie de personnel, c’était dur. Je le reconnais, je ne suis pas déconnecté, je connais moi-même assez d’enseignants, de directions d’école, pour le savoir. Mais c’est sûr que le meilleur est à venir. On a tout mis en place, on a fait toutes les transformations pour que le meilleur soit à venir », ajoute le ministre de l’Éducation des quatre dernières années.
Jean-François Roberge « ne regrette rien », sauf peut-être d’avoir décrété « deux semaines de vacances » pour tout le monde lors de l’éclatement de la crise sanitaire, en mars 2020. Pour le reste, il défend ses décisions des quatre dernières années, même les plus controversées, notamment l’introduction de la maternelle 4 ans et la réforme de la gouvernance scolaire, qui a mené à l’abolition des commissaires élus au suffrage universel.
Il est particulièrement fier d’avoir investi massivement dans la rénovation et la construction d’écoles (120 nouveaux établissements ont été mis en chantier) et d’avoir transformé le cours Éthique et culture religieuse en cours Culture et citoyenneté et québécoise.
« Ce sont des choses très structurantes, dont on verra les bénéfices dans plusieurs années », dit-il. Jean-François Roberge a dressé une liste de 20 réalisations marquantes, qui incluent notamment l’encadrement des frais demandés aux parents, le financement de projets particuliers dans les écoles publiques et la création du poste de Protecteur national de l’élève. L’éducation était la priorité du premier ministre Legault, qui a ouvert la voie à des transformations majeures du réseau, selon M. Roberge.
Citoyenneté québécoise
Le ministre se défend d’avoir politisé le cours Culture et citoyenneté québécoise, décrit par ses opposants comme un instrument de propagande dans la foulée de la vision identitaire du gouvernement Legault.
« Dans la culture québécoise, évidemment qu’il y a la culture des Premières Nations et des Autochtones. Quand je dis “nous”, c’est nous, habitants du territoire québécois, avec les habitants autochtones, c’est sûr. Je n’avais pas le mandat de faire quelque chose de clivant. L’objectif n’était pas d’être clivant, c’est rassembleur. Il n’y avait pas de projet politique de faire quelque chose qui allait être payant d’un point de vue électoral. Ce n’était pas ça. Je crois vraiment que ça va rassembler », dit-il.
Le ministre Roberge souligne ses initiatives qui visent à venir à bout de la pénurie d’enseignants, dont l’entente « historique » avec les profs pour des hausses salariales de 14 % au sommet de l’échelle et de 18 % en début de carrière. Cette entente accorde aussi l’autonomie longtemps réclamée pour la gestion du temps de travail.
Il défend aussi la mise en place de maîtrises qualifiantes pour les aspirants profs qui détiennent un baccalauréat dans une discipline sans avoir de formation en pédagogie. Ces programmes très populaires ont été critiqués parce qu’ils dévalorisent le parcours traditionnel de quatre années universitaires assorties de stages pour les enseignants. Les inscriptions en éducation à l’université sont d’ailleurs en hausse.
« Dans un monde idéal, avant d’entrer dans une classe comme enseignant, tu aurais achevé toutes tes formations. C’est sûr. Mais au moment où on se parle, on vit la pénurie. Il faut plus être en mode solutions pratiques que dans un cadre idéal théorique », dit Jean-François Roberge.
« Sur 100 classes, 95 profs ont un brevet. Pour les cinq autres classes, qu’est-ce qu’on fait ? On retourne les enfants à la maison et on dit : “Vous n’êtes pas scolarisés ?” Ou on fait entrer des gens qui ont un bac disciplinaire, on les accompagne, on les inscrit à la maîtrise. Je pense que la bonne solution, on l’a », ajoute le ministre.
Pour valoriser les professions en éducation, Jean-François Roberge a annoncé un plan de 140 millions visant à promouvoir le métier d’enseignant, en plus de bonifier le mentorat pour les nouveaux profs. Québec a aussi investi des sommes records pour l’embauche de professionnels (psychologues, orthopédagogues, orthophonistes, etc.).