À La Baie, les «efforts d’une vie» laissés derrière
Des sinistrés de La Baie, à Saguenay, oscillent entre l’espoir et la crainte après l’évacuation de leurs maisons, il y a quelques jours, en raison du risque de glissement de terrain.
« J’espère que ça ne deviendra pas plus dur, parce que je trouve ça déjà dur », souffle Doris De La Durantaye, rencontrée dans la cour de son fils. Avec son mari, Thierry Coup, elle a dû évacuer samedi dernier la maison qu’elle habitait depuis 28 ans. « Ça me dépasse, dit la femme de 58 ans en se regardant les mains. J’ai la tête fonctionnelle, mais j’ai le coeur qui pleure tout le temps. »
Après avoir reçu l’ordre de quitter les lieux avant 7 h dimanche, le couple a emballé à la hâte ses souvenirs et ses biens les plus précieux. Des proches sont venus lui prêter main-forte, raconte M. Coup. « Mon épouse et moi, on ne pouvait plus penser, raconte l’homme de 60 ans. Ce sont nos amis et la parenté qui ont décidé quoi sortir. »
Au total, plus de 190 personnes ont été évacuées du secteur de La Baie, à Saguenay. Le 13 juin dernier, un glissement de terrain a emporté une maison. M. Coup était dans sa cuisine au moment des faits, relate-t-il. Dehors, il a aperçu les fils électriques bouger et a entendu un grondement. « J’ai dit à mon épouse : Doris, ça tombe, ça tombe ! » Puis, il a attendu. « Mais tu attends quoi ? demande-t-il. Est-ce que tu vas être emporté ? Tu n’en as aucune idée. »
Depuis, le couple est sur le qui-vive et craint un nouveau glissement de terrain. Soudain, au milieu de la conversation avec Le Devoir, une sirène retentit au loin. « Qu’est-ce que c’est ? » dit Mme De La Durantaye, inquiète, en pointant le ciel.

Thierry Coup et sa femme disent vouloir garder espoir. « Mais plus les jours passent, et plus on réalise que c’est possible qu’on ne puisse plus aller dans notre maison, murmure Doris De La Durantaye. Et plus ça fait mal. » Même si elle se dit consciente qu’il s’agit de « matériel », cela représente « les efforts d’une vie », précise-t-elle.
M. Coup souhaite que la Ville « se presse à arranger la situation ». Lundi, Carol Girard, directeur du Service de sécurité incendie de Saguenay et coordonnateur des mesures d’urgence, a dit espérer être en mesure de réduire le périmètre, s’il y a lieu, et de permettre à certains résidents de réintégrer leur maison. Il n’a toutefois pas voulu « faire de promesses », en soulignant qu’il sera peut-être nécessaire d’agrandir le périmètre. Mardi, des travaux d’analyse des sols visant la compréhension des causes du glissement de terrain ont continué à La Baie.

Les efforts se poursuivent afin que soit « trouvé un logement adéquat pour tout le monde d’ici la fin de la semaine », a assuré le conseiller en communications de la Ville de Saguenay Dominic Arseneau. Certaines personnes évacuées se trouvent présentement dans leur résidence secondaire, dans leur camping, dans un logement de l’Office municipal d’habitation, dans un logement d’un propriétaire privé ou à l’hôtel.
« C’est trop dangereux »
À quelques kilomètres de la zone évacuée, Jonathan Ouellette réside dans l’une des auberges qui reçoivent des sinistrés. L’homme de 44 ans dit avoir peu d’espoir de retourner de sitôt dans sa maison, qu’il habitait depuis 2009. « On ne peut pas y aller, c’est trop dangereux », affirme-t-il, en regardant au loin. Il s’agit d’une course entre « dame Nature » et l’être humain pour pouvoir stabiliser la zone à risque avant un autre glissement de terrain, explique-t-il, reprenant les propos tenus la veille par la mairesse Julie Dufour.

Lorsqu’il a pris connaissance de l’ordre d’évacuation, samedi dernier, M. Ouellette s’est vite retroussé les manches. Il s’est emparé de ses souvenirs et de ses papiers importants, puis a vidé ses réfrigérateurs et ses congélateurs, raconte-t-il. Mais il a dû s’arrêter par moments. « Le plus dur est quand je suis allé m’asseoir dans la chambre de mon fils, dit l’ancien militaire. Il est quand même né là. »
Il faut maintenant regarder vers l’avenir, estime M. Ouellette. « On va s’en faire d’autres, des souvenirs », dit-il, sourire en coin.
« De 0 à 100 »
Près de la zone d’évacuation, dans un stationnement, Jeff Mclean et sa mère, Andrée Drolet, regardent leur maison, qui se trouve à l’intérieur du périmètre de sécurité. Le vent souffle dans les arbres autour des demeures évacuées.
De chez elle, Mme Drolet raconte avoir « tout vu » du glissement de terrain du 13 juin. Elle était alors avec sa petite-fille de 8 ans et son petit-fils de 6 ans. « On est sortis de la maison et on a vu le paquet de poussière », relate la femme de 62 ans. « Les enfants sont très marqués », souffle-t-elle.
Jeff Mclean raconte maintenant être « serein », puisque ses enfants logent avec lui chez ses beaux-parents. Mais samedi dernier, « l’intensité est montée de 0 à 100 », raconte l’homme de 36 ans en grillant une cigarette. « On nous a dit : “Vous partez, vous prenez vos affaires.” » Il regrette toutefois de ne pas avoir pu aller chercher certains de ses biens dimanche.
Mme Drolet partage aussi cet avis. « À mon âge, tous mes souvenirs, tout ce que j’ai accumulé, tout va partir. Je n’ai rien sorti. J’ai sorti deux valises de vêtements et mes médicaments. » Elle doit vivre « au jour le jour », lance la retraitée en levant les bras au ciel.
Mercredi, le premier ministre François Legault sera de passage à La Baie pour offrir son aide et son soutien aux sinistrés.
Lundi, l’état d’urgence a été prolongé de cinq jours à Saguenay, après la signature de l’arrêté ministériel par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. Ce décret permet notamment à la municipalité d’octroyer des contrats sans appel d’offres.
Avec La Presse canadienne