Un paysage champêtre menacé à Mont-Saint-Hilaire

Le secteur visé par le développement, d’une superficie d’une quarantaine d’hectares,  est composé d’anciens vergers, de terrains en friche et de deux boisés et comporte notamment un spa et quelques résidences.
Marie-France Coallier Le Devoir Le secteur visé par le développement, d’une superficie d’une quarantaine d’hectares, est composé d’anciens vergers, de terrains en friche et de deux boisés et comporte notamment un spa et quelques résidences.

L’urbanisation gagne du terrain à Mont-Saint-Hilaire, où un plan de développement immobilier crée de vives tensions. Après deux jugements en sa défaveur, cette municipalité de la Montérégie autorisera la construction de quelque 380 logements au pied de la montagne, dans un secteur aux allures de paysage champêtre.

« Un fusil à la tempe et un couteau à la gorge. C’est vraiment comme ça qu’on s’est sentis », résume le maire, Marc-André Guertin, au sujet de cette saga qui a amené la Ville à ouvrir la porte au lotissement. Porté au pouvoir en novembre dernier, M. Guertin soutient que, comme bien des résidents, il aurait voulu protéger ce secteur, mais que les décisions des tribunaux n’ont laissé aucune marge de manoeuvre à la Ville.

Connu comme la « zone A-16 », le secteur visé par le développement se trouve à proximité du croisement des chemins Ozias-Leduc et de la Montagne. D’une superficie d’une quarantaine d’hectares, il est composé d’anciens vergers, de terrains en friche et de deux boisés et comporte notamment un spa et quelques résidences.

En 1991, cette zone avait été retirée de la zone d’agriculture permanente, et les administrations successives à la mairie ont bloqué tout projet de construction domiciliaire. Jusqu’au jour où, excédés de ne pouvoir faire du développement immobilier, cinq propriétaires fonciers se sont adressés à la Cour supérieure pour faire déclarer illégale la réglementation municipale qui leur mettait des bâtons dans les roues. Et ils ont gagné, non seulement à la Cour supérieure, mais également à la Cour d’appel. Dans sa décision rendue le 11 novembre dernier, la Cour d’appel a donné jusqu’au 11 août à la Ville pour modifier son Schéma d’aménagement et de développement.

« Mauvaise foi » de la Ville

Les tribunaux ont statué que la municipalité avait fait preuve de « mauvaise foi » envers les propriétaires fonciers de la zone A-16 et lui ont reproché d’avoir exclu ceux-ci du comité consultatif mis en place par l’ex-maire Yves Corriveau pour épauler la Ville dans le développement de ce secteur.

Après consultation, la municipalité a adopté la semaine dernière un programme particulier d’urbanisme (PPU) afin d’encadrer le développement immobilier. La zone A-16 pourra accueillir des immeubles de tailles variées, des unifamiliales jusqu’à des bâtiments comportant un maximum de trois étages. La densité, de 15 logements par hectare, est cependant moindre que celle évoquée depuis des années. La Ville entend par ailleurs préserver deux boisés et créer un parc linéaire.

Mais ce territoire situé au pied du mont Saint-Hilaire risque de perdre son caractère champêtre. Des résidents opposés au projet craignent qu’en plus de détruire des milieux naturels, il entraîne d’importants problèmes de circulation automobile. Ils estiment que la Ville aurait dû réclamer un statut particulier pour ce secteur.

« J’ai passé les six derniers mois à essayer de me procurer une baguette magique et à tourner toutes les pierres inimaginables », rétorque le maire Guertin. « Si on avait pu faire autrement, on l’aurait fait. Cette zone a une place côté coeur pour la plupart des gens qui l’ont fréquentée. »

Ce dénouement est une catastrophe aux yeux du comédien Marcel Leboeuf. Conseiller municipal dans l’opposition, Marcel Leboeuf avait fait de la préservation de la zone A-16 son cheval de bataille. « J’ai été assermenté le 12 novembre à 9 h. À 9 h 15, j’ai appris l’existence du jugement de la Cour d’appel en faveur des propriétaires. Tout de suite, j’ai dit aux autres : qu’est-ce que je fais ici ? »

Lors d’une assemblée de consultation sur le PPU, le 24 mai dernier, il a d’ailleurs lancé un cri du coeur devant ses concitoyens. « Je me sens totalement inutile. Je vous le dis : par moments, j’ai de la misère à dormir. Je mange mal. C’est dur pour moi », a-t-il dit. « Il n’y a pas une journée où je ne me lève pas en me disant que je démissionne. »

Arrivé en 2006 après être « tombé en amour » avec la région, où il a acheté une maison, Marcel Leboeuf a par la suite acquis un autre lopin de terre — où se trouvait l’ancienne maison du peintre Ozias Leduc — pour y créer un petit vignoble. Il a toutefois revendu ce terrain lorsqu’il s’est lancé en politique en 2021.

« Trente ans de niaisage »

En entrevue au Devoir, Marcel Leboeuf explique que la situation actuelle est attribuable à l’inertie des administrations précédentes, qui ont préféré faire du « pelletage de neige par en avant » plutôt que de réellement protéger la zone A-16. « Trente ans de niaisage. C’est ça qu’on récolte. Ça fait trente ans que de conseil en conseil, de maire en maire, ça niaise », lance-t-il, exaspéré.

Faute de pouvoir empêcher la construction domiciliaire, le comédien a suggéré au maire de lancer une campagne de sociofinancement afin que la Ville puisse acheter et protéger le plus de terrains possible, ce que Marc-André Guertin a accepté. Mais selon M. Leboeuf, il eût mieux valu que la Ville fasse l’acquisition de terrains il y a quinze ans plutôt que d’être obligée, aujourd’hui, d’acheter des lots à fort prix.

Il croit aussi que la Ville aurait dû demander un statut particulier pour la zone A-16. Comme cette option a été rejetée par ses collègues élus, il avance qu’il faudrait peut-être une intervention de Québec. La Ville soutient de son côté que la zone A-16 ne comporte pas les caractéristiques environnementales exceptionnelles qui justifieraient un statut particulier.

Les résidents ont été nombreux lors de la séance de consultation du mois de mai à exprimer leur opposition au plan de développement qui altérera le paysage. Ils ont aussi reproché aux élus d’avoir abdiqué. « On pensait qu’enfin, il y aurait quelqu’un qui irait au combat et se battre pour protéger notre ville. Et là, vous avez complètement refusé de faire le combat », a lancé un Hilairemontais aux élus présents.

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