Conspirationnistes québécois sous la loupe de chercheurs

Au total, jusqu’à 21% des Québécois sont soit «convaincus», soit des adhérents «modérés» à la pensée conspirationniste, un terme préféré à la formule jugée péjorative de «complotiste».
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Au total, jusqu’à 21% des Québécois sont soit «convaincus», soit des adhérents «modérés» à la pensée conspirationniste, un terme préféré à la formule jugée péjorative de «complotiste».

Ils sont religieux et immodérément méfiants, ont des positions d’extrême droite ou croient fermement en la médecine alternative : jusqu’à 6 % des Québécois sont « conspirationnistes », selon une étude qui analyse les discours des principaux influenceurs extrémistes du Web d’ici.

« On ne peut plus penser que le complotiste n’est qu’un mec qui fait des vidéos dans sa voiture », explique au téléphone David Morin, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

Il a cosigné, avec huit autres chercheurs, une vaste étude à paraître intitulée Le mouvement conspirationniste au Québec. On y trouve des données obtenues par sondage sur les adhérents à ce mouvement ainsi qu’une liste de 45 « leaders conspirationnistes » québécois et canadiens, dont les propos et l’enseigne idéologique sont analysés.

Plusieurs célébrités des réseaux alternatifs s’y retrouvent, comme l’influenceur des théories de QAnon Alexis Cossette-Trudel, la comédienne Lucie Laurier ou l’ex-dirigeant du groupe identitaire La Meute récemment arrêté en marge du  Convoi de la liberté, Steeve Charland. Les données collectées sont antérieures à l’occupation des camionneurs et manifestants à Ottawa au début de l’année, où plusieurs influenceurs du Canada anglais ont goûté à la célébrité.

Des figures politiques et médiatiques sont aussi étiquetées comme conspirationnistes, telles que le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, ou encore le fondateur de Rebel News, Ezra Levant.

 

« Pour nous, ce sont des voix qui crédibilisent le mouvement, soit par leur statut antérieur, soit parce qu’elles sont très suivies. […] On a eu de longues discussions pour savoir qui on retient, mais on est à l’aise avec chacun des noms qu’on a mis là », explique celui qui est aussi titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

David Morin publiera cet automne, avec sa collègue Marie-Ève Carignan, un ouvrage grand public destiné à « expliquer ce qu’est le conspirationnisme » et à aider ceux dont des proches sont tombés dans les diverses théories discréditées qui fourmillent sur le Web.

Différentes formes de complot

 

Au total, jusqu’à 21 % des Québécois sont soit « convaincus », soit des adhérents « modérés » à la pensée conspirationniste, un terme préféré à la formule jugée péjorative de « complotiste ». C’est moins que la moyenne canadienne, où 29 % de la population adhérerait au moins modérément à ce courant de pensée.

Cela a probablement à voir avec un aspect moins connu du conspirationnisme, avance M. Morin : sa composante religieuse. La religion est importante pour 58 % des adhérents convaincus sondés, contre 21 % pour ceux qui ne croient pas au grand complot.

L’étude regroupe d’ailleurs les leaders conspirationnistes en cinq grandes idéologies, par idéal type : d’extrême droite, antigouvernemental, alterscience, religieux, ou encore inspiré des théories QAnon. « C’est pour montrer qu’il y a une diversité de points de vue dans ce mouvement-là. On a des gens de gauche, par exemple, qui viennent du milieu d’alterscience, qui dans le contexte de la pandémie marchent main dans la main avec des gens qui ont une idéologie d’extrême droite », dit David Morin.

Ces liens idéologiques ne sont pas nécessairement compris par les abonnés des médias sociaux ou les participants aux manifestations, indique-t-il. Par exemple, les liens entre les organisateurs du  Convoi de la liberté  et l’extrême droite sont passés inaperçus auprès d’une grande part des manifestants.

Potentiel de violences

 

En se basant sur un sondage commandé par la firme Léger et réalisé en 2021 auprès de 4500 Canadiens, le rapport estime que 20 % des adhérents convaincus sont d’accord avec « le recours à la violence pour se battre contre l’injustice du gouvernement ». C’est deux fois et demie la proportion des non-adhérents.

Les leaders les plus connus évitent soigneusement de franchir la limite du discours haineux et « font toujours attention d’être assis sur la clôture », illustre M. Morin. « Il y en a quand même quelques-uns, [comme] Jean-Jacques Crèvecoeur, qui [ont] commencé à avoir des propos beaucoup plus insurrectionnels. »

Selon lui, il est important de parler dans les médias des influenceurs du grand complot. « Ce sont des gens déjà assez connus [sur Internet], alors ça ne contribue pas à les rendre plus célèbres qu’ils sont déjà. » Publier leurs dérapages — et l’idéologie derrière — permet surtout de mieux voir la récupération de leurs idées dans les discours politiques. Un problème qui touche l’actuelle course à la chefferie du Parti conservateur du Canada.

« On a un des deux candidats [présumément en tête] qui n’hésite pas de temps en temps à lancer des signaux à son électorat potentiel en lien avec Davos, le nouvel ordre mondial, la cryptomonnaie… On voit qu’il y a des tentatives de récupérations », se désole l’universitaire.

À l’heure actuelle, la recherche ne présente pas de solution claire pour prévenir la pensée conspirationniste. Ou s’en guérir

21%

C’est le pourcentage des Québécois qui sont soit « convaincus »,
soit des adhérents « modérés »
à la pensée conspirationniste.



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