Sans volontaires, point de francisation

Des ressortissants ukrainiens arrivent à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, le 29 mai dernier.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Des ressortissants ukrainiens arrivent à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, le 29 mai dernier.

Bon nombre d’Ukrainiens n’auront pas accès à des cours de français avant septembre, faute d’enseignants pour les donner, a appris Le Devoir. Impatients de commencer à s’intégrer, certains ont même commencé à se franciser eux-mêmes grâce à des bénévoles qui donnent des cours en ligne ou en personne.

Enseignante d’anglais langue seconde, Natalia Terefelska avait d’abord fui Kiev en pensant s’installer dans une ville anglophone du Canada, mais une famille de Cowansville l’a convaincue de s’établir ici. « Je remarque que le Québec est plus beau et plus européen que le reste du Canada, on est heureux d’être venus », dit cette mère de famille qui vit seule avec ses deux enfants, alors que le papa est toujours en Ukraine. « On a vite compris qu’on a besoin du français si on veut planifier notre avenir ici. »

Arrivée en avril dernier, Natalia Terefelska aurait bien voulu se mettre rapidement à l’apprentissage de la langue, mais elle n’a pas pu. Lorsqu’elle s’est inscrite en francisation à l’organisme SERY de Granby (Solidarité ethnique régionale de la Yamaska), on lui a dit que les cours, à temps complet et même partiel, faisaient relâche l’été. « On m’a dit que tout le monde était en vacances et que ça commençait en septembre », raconte-t-elle.

Même son de cloche dans la ville de Québec, où Nadyne Tremblay, avec l’aide d’amis et de sa famille élargie, héberge trois femmes et deux enfants arrivés d’Ukraine il y a deux semaines. « Elles n’attendent que ça que d’être capables de parler français pour pouvoir travailler », explique Mme Tremblay. Celle-ci avait eu vent d’un « cours express » de deux semaines qui commençait lundi dernier dans un centre d’éducation aux adultes à Québec, mais il a vite affiché complet.

« Il y a un autre cours qui débute dans une semaine près d’ici et qui est donné par des bénévoles. On ne sait pas s’il va avoir de la place », dit-elle, en ajoutant ne pas être surprise qu’encore une fois, la communauté rivalise d’ingéniosité et de générosité pour aider les Ukrainiens. « Depuis le début, le gouvernement nous laisse à nous-mêmes. On doit se débrouiller. »

Relâche l’été ?

Carlos Carmona, du Regroupement des organismes en francisation du Québec, reconnaît que l’été est plus tranquille. Mais les cours à temps partiel devraient en principe continuer pour tous les immigrants inscrits. La prochaine session doit d’ailleurs commencer le 11 juillet. « Les organismes communautaires de Montréal ont comme consigne de prioriser les Ukrainiens par rapport aux autres personnes pour les cours à temps partiel qui commencent en juillet », a-t-il indiqué.

Au Centre d’appui aux communautés immigrantes, près de 50 groupes de francisation à temps partiel sont en attente d’approbation. « Pour l’instant, on devrait pouvoir ouvrir tous nos groupes », a indiqué la directrice, Anait Aleksanian. Bien des immigrants ont recommencé à voyager l’été, mais c’est compensé par les Ukrainiens qui arrivent, ajoute-t-elle.

Cependant, certains cours à temps partiel pourraient ne pas ouvrir, notamment en région, par manque de main-d’oeuvre. Ces cours sont donnés par des employés non permanents en situation plus précaire, qui peuvent toutefois choisir de ne pas enseigner l’été. « Il y a plein de profs qui enseignent depuis 20 ans et qui n’ont aucune permanence. Ils finissent par en avoir assez et se disent qu’ils ne feront pas quelque chose qui ne leur tente pas », explique Jean Vallières, président du Syndicat des professeurs de l’État du Québec, qui ne cache pas être en pleine négociation avec le ministère.

Quant aux cours à temps complet, ils ne commencent pas avant la fin de l’été, car bon nombre des 70 enseignants permanents — sur un total de 550 — qui en sont titulaires prennent des vacances. M. Vallières aimerait que l’offre de cours à temps complet ne soit pas interrompue l’été, mais pour ce faire, il faudrait que les conditions de travail, notamment de salaires, soient plus alléchantes.

Interrogé sur son offre de cours en francisation pour l’été, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) n’a pas répondu aux questions du Devoir.

Se franciser soi-même

 

Il y a tout juste un mois, Yuriy Yatsiv, un Ukrainien qui travaille dans le domaine des TI, est débarqué avec sa femme et son fils dans la Capitale-Nationale. « J’ai toujours voulu étudier le français et je connais déjà l’anglais », indique-t-il au Devoir. « Ça nous motive d’apprendre une nouvelle langue. »

Depuis son inscription en francisation, le 20 mai, il n’aurait eu aucune nouvelle du MIFI. Dans sa Déclaration de services à la clientèle, ce dernier s’engage toutefois à permettre à un immigrant de commencer son cours de français à temps complet « […] dans un délai maximal de 50 jours après la réception de [la] demande d’admission ».

« On a compris qu’il y a beaucoup de demandes et que rien ne va commencer avant septembre », dit Sébastien Dessureault, qui héberge la famille ukrainienne et l’accompagne dans ses démarches. « Yuriy s’est dit que si c’était pas possible d’apprendre le français dans les classes du Québec, il allait arranger quelque chose par lui-même. »

Quelques semaines avant d’arriver, Yuriy Yatsiv avait démarré une école de langues en ligne notamment pour donner des cours d’anglais gratuits à ses compatriotes où qu’ils soient dans le monde. À son arrivée au Québec, il a voulu offrir — et suivre — en ligne des cours de français, ce qui est maintenant possible grâce à des bénévoles, dont Lucie, une Québécoise qui vient de commencer à enseigner la langue de Vigneault sur Zoom. « Il faut bien s’aider. On n’a pas le temps de s’asseoir et d’attendre un miracle », a dit le père de famille.

Des cours de francisation sont également donnés par des centres de services scolaires. C’est vers eux que s’est tournée Lise Vincent, une enseignante de Terrebonne, voyant que la famille ukrainienne qu’elle a accueillie en avril ne pouvait pas commencer la francisation avant l’automne. « Si on veut qu’ils [les membres de la famille] s’intègrent, je trouvais que septembre, c’était loin pour commencer à apprendre le français. » Elle se réjouit de la proactivité du Centre de services scolaire des Affluents, qui a tenu compte de sa demande et a rappelé des personnes qui s’étaient montrées intéressées pour ouvrir un cours. « Maintenant, ça fait quatre semaines qu’ils sont en classe. Ils font déjà des petites phrases. Je suis fière d’eux. »

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