Deux nuits dehors pour un passeport
Des voyageurs craignent de ne pas obtenir à temps leur passeport malgré deux nuits passées dehors, dans l’impressionnante file d’un bureau fédéral de Montréal qui a dû faire appel aux policiers pour ramener le calme auprès de demandeurs excédés par les délais.
La crainte de rater ses premières vacances à l’étranger depuis deux ans se devine sur les visages des citoyens qui font la queue pour obtenir un passeport au bureau de Saint-Laurent, à Montréal, mercredi après-midi. Loin de s’améliorer, les délais pour obtenir un passeport atteignent de nouveaux records, allant jusqu’à provoquer des éclats de frustration.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) confirme avoir été appelé vers 15 h 30, mardi, pour calmer le jeu lors d’un « conflit » au point de service situé sur boulevard Marcel-Laurin. Des personnes de la file d’attente seraient devenues agressives, mécontentes de l’attente interminable.
« Un suspect aurait poussé par mécontentement l’agent de sécurité, mais il n’y a pas eu de blessé, et personne n’a porté plainte », a précisé la porte-parole du SPVM Mariane Allaire Morin.
Cette altercation n’est pas la seule à s’être produite. Certaines personnes ont tenté d’en dépasser d’autres dans la file d’attente, suscitant l’ire des autres futurs voyageurs. D’autres ont usé d’un stratagème en envoyant une seule personne patienter, rejointe plus tard par cinq ou six de ses connaissances dans les derniers moments d’attente. Encore une fois, ces passe-droits n’ont pas manqué de soulever les passions de citoyens déjà excédés.
« S’il y a 400 personnes en file à 4 h du matin, tu te faufiles. C’est tellement chaotique. Le monde est désespéré », raconte un témoin de cette scène au Devoir en haussant les épaules.
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Certains ont même flairé la bonne affaire en proposant de se mettre dans la queue pour autrui moyennant un salaire de 30 $ à 50 $ de l’heure, selon des annonces publiées en ligne.
Après avoir soutenu lundi devant le Parlement que « les gens peuvent se présenter [au bureau des passeports] 45 jours avant de voyager », la ministre fédérale Karina Gould, responsable de la gestion des passeports, a nuancé son affirmation le lendemain. « Chaque bureau doit gérer la situation qu’ils ont, et notre priorité, c’est d’assurer que les gens ne perdent pas leur vol, qu’ils peuvent réaliser leur voyage », a-t-elle indiqué.
Elle s’est tout de même dite « surprise » que des bureaux des passeports, dont celui de Saint-Laurent, exigent une preuve de voyage dans les 48 heures pour servir les citoyens qui s’y présentent, comme l’avait révélé Le Devoir, et en contradiction avec l’information disponible sur le Web.
Son ministère, Emploi et Développement social Canada (EDSC), a pourtant reconnu dans un courriel qu’à « certains endroits, le service de passeport ait été limité aux clients ayant une preuve de voyage dans les 48 heures » afin de gérer les foules de demandeurs de renouvellement.
Le site Web du bureau des passeports de Saint-Laurent indiquait toujours que l’attente y était de 3 h 45, mercredi. Il fallait plutôt compter 30 heures d’attente, selon les estimations de témoins sur place. Près de 200 personnes se préparaient à passer la nuit devant ce bureau, mercredi soir.
Le pouvoir discrétionnaire
Mathieu Tremblay est arrivé mardi soir devant les bureaux de Passeport Canada. Rencontré par Le Devoir le lendemain soir, il se préparait à passer une deuxième nuit sur place afin d’obtenir son passeport jeudi matin. « Et tout ça pour trois semaines de voyages. On se concentre sur les trois semaines ! »
Témoin des allées et venues de la responsable locale visiblement débordée, il assure que celle-ci applique une directive de « pouvoir discrétionnaire ».
« La gestion de la priorité est un peu aléatoire. Tous les jours, c’est comme : “qu’est-ce qu’on improvise aujourd’hui ?” Elle veut donner de l’information aux gens, mais en donnant de l’information qui change tout le temps, tantôt 24 heures, tantôt 48 heures, tantôt priorité à tel ou tel type de dossier, ça amène les gens à inventer des scénarios. Tu crées des espoirs, c’est ça qui est frustrant. »
Au moment où les portes du bureau des passeports de Saint-Laurent se ferment, mercredi, vers 15 h 30, une foule de voyageurs inquiets de manquer leur vol assaille la responsable en fonction. Certains assurent avoir fait leur demande aussi tôt qu’en janvier ou en février.
« Ça ne fournit pas », laisse-t-elle tomber, avant d’expliquer qu’une quinzaine d’agents se chargent de traiter les dossiers, qui prennent chacun environ une heure à clore. La responsable n’a pas de réponse à part l’invitation à la patience. « Vous avez le choix de voyager ou de ne pas voyager. C’est un privilège. »
Pénalisés pour s’être pris d’avance
Au moment où elle planifiait le renouvellement de son passeport, Andrée-Anne Nadeau, une résidente de Boucherville, s’est vu attribuer par Service Canada un rendez-vous dans les bureaux du boulevard René-Lévesque… à Chandler, en Gaspésie.
« Ça montre qu’il y a des employés pas très attentionnés. Ce n’est pas une petite erreur », témoigne-t-elle. Le passeport de son dernier enfant, dont la demande a finalement pu être déposée en bonne et due forme à Montréal, devait lui être envoyé avant le 29 avril. Plus de 45 jours plus tard, elle ne l’a toujours pas reçu.
Elle comptait sur sa mère, mercredi, pour faire la queue au point de service du Complexe Guy-Favreau. Une ultime tentative pour obtenir son document avant le voyage en famille, dont le départ est très tôt vendredi, qui a finalement été couronnée de succès.
« Ce que je trouve vraiment frustrant, c’est la gestion des priorités, de qui va passer en priorité. Pourquoi nous, ils ne nous ont pas servis plus tôt, pour prendre toutes les demandes de dernière minute ? » se désole-t-elle.