La lutte se poursuit à la Résidence Mont-Carmel

Les services offerts à la résidence privée pour aînés (RPA) Mont-Carmel s’effritent et plusieurs locataires du bâtiment ont choisi de quitter les lieux au terme de leur bail. Certains résidents s’accrochent toutefois et comptent bien militer jusqu’au bout pour leur droit au maintien dans les lieux.
Le Devoir a eu droit à une visite guidée samedi de cette RPA située sur le boulevard René-Lévesque, au centre-ville de Montréal, de la part de certains des membres du comité de résidents qui a pris forme dans les derniers mois afin de protéger la vocation de celle-ci. La RPA certifiée a été acquise pour 40 millions de dollars par le promoteur de 28 ans Henry Zavriyev à la mi-décembre 2021. Après avoir acheté ce bâtiment de 216 logements locatifs, l’investisseur immobilier a acheminé un avis d’éviction à ses locataires en prévenant ceux-ci que ce bâtiment fera l’objet d’un changement de vocation afin de devenir un complexe locatif standard.
Depuis, près d’une soixantaine de résidents ont ouvert un dossier au Tribunal administratif du logement (TAL) en février pour s’opposer au changement d’affectation de leur logement, puisque celui-ci entraînerait la fin des différents services particuliers offerts dans une RPA, comme les soins infirmiers et la présence de boutons d’alerte dans les chambres. Une demande introductive d’instance a aussi été déposée en Cour supérieure du Québec au début du mois d’avril afin que cet immeuble de 16 étages maintienne les services qu’il offre à titre de RPA, comme le prévoyait l’acte de vente signé par M. Zavriyev. Cette démarche a eu pour effet de suspendre le mois dernier les dossiers ouverts au TAL dans cette affaire.
Le changement d’affectation était au départ prévu pour le 1er août, mais ce recours devant la Cour supérieure devrait avoir pour effet, dans un premier temps, de retarder ce processus. M. Zavriyev a d’ailleurs répliqué en se rendant devant cette même instance judiciaire pour tenter de convaincre celle-ci de décliner compétence sur ce dossier, qui relèverait plutôt du TAL, selon lui. Une audience devant la Cour supérieure est d’ailleurs prévue le 19 septembre dans cette affaire.
Moins de services
Or, pendant que cette bataille juridique se poursuit, des résidents affirment que les services qui leur sont offerts au sein de ce bâtiment sont déjà en train de s’effriter. Le Devoir a notamment pu constater lors de sa visite sur place que les chaises qui se trouvaient à l’entrée – sauf une – ont été retirées et mises dans une pièce verrouillée ou celles-ci s’entassent l’une par-dessus l’autre. Ces chaises sont pourtant essentielles pour les personnes âgées qui patientent avant de prendre un taxi ou encore le transport adapté, soulignent les résidents rencontrés.
« C’est du harcèlement épouvantable », lance Marie-Paule Lebel, qui demeure depuis trois ans dans ce bâtiment, tandis qu’elle faisait visiter les lieux au Devoir en présence d’autres résidentes. Dans une autre pièce, qui sert d’entrée à la piscine du bâtiment, la table et les chaises qui s’y trouvaient ont aussi été retirées. « Ça fait comme un appartement qui se prépare à déménager », illustre Mme Lebel.
La gestion en place dans cet immeuble depuis le début de l’année aurait aussi demandé dans les derniers jours aux infirmières auxiliaires qui travaillent dans ce bâtiment de ne répondre qu’aux besoins urgents des locataires, comme le prévoit une clause du bail de ceux-ci. Ces travailleuses de la santé avaient pourtant l’habitude de prendre la pression des résidents, de leur donner des injections ou encore de leur administrer des gouttes ophtalmiques, ce qu’elles ne sont plus autorisées à faire, selon les témoignages recueillis sur place.
« Ça a été une autre goutte d’eau qui a fait déborder notre vase », lance Suzanne Loiselle, qui qualifie cette application à la lettre de son bail par les gestionnaires du bâtiment de « complètement ridicule ».
« Nous, on veut se battre jusqu’au bout pour démasquer ces gens-là, qui ont un rapport odieux avec les personnes aînées, qui bafouent les droits des aînés, qui créent de l’angoisse et les malmènent. Pour moi, c’est de la maltraitance des aînés », martèle-t-elle avec un regard de défi.
Des membres du comité de résidents ont d’ailleurs cogné à toutes les portes du bâtiment pour sensibiliser ses locataires et prendre de leurs nouvelles. Cette démarche leur a permis de constater qu’environ la moitié des logements ont été désertés par leurs occupants dans les derniers mois.
« Il y a une accumulation de choses au quotidien qui exaspèrent les gens », constate Mme Loiselle, qui ne s’étonne ainsi pas que plusieurs locataires aient choisi de quitter cette résidence.
Le Devoir a tenté de joindre une des gestionnaires de l’immeuble samedi, en vain. Les avocats de M. Zavriyev ont pour leur part refusé de commenter ce dossier en raison des démarches en cours au TAL et devant la Cour supérieure.
« Maintenir le statu quo »
Pour l’instant, aucune nouvelle démarche judiciaire n’a été entamée en lien avec cette baisse de services alléguée. Un des avocats qui représentent les résidents de Mont-Carmel, Julien Delangie, évoque cependant qu’une demande d’autorisation de sauvegarde pourrait être déposée pour tenter de forcer la RPA de « maintenir le statu quo » sur les services qu’elle offre le temps que la Cour supérieure tranche sur le fond dans cette affaire.
Joint par Le Devoir, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a pour sa part indiqué que ses « pistes d’actions » sont « limitées » pour soutenir les résidents de Mont-Carmel étant donné que cette RPA « changera de vocation au courant des prochains mois ».
Le cabinet de la ministre des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, rappelle pour sa part que la législation a été révisée en avril dernier afin de mieux encadrer les changements de vocation des RPA et d’ainsi en limiter les impacts sur leurs résidents. Le projet de loi 37 du gouvernement Legault prévoit pour sa part de nouvelles balises concernant les hausses de loyer qui peuvent survenir en marge du changement d’affectation d’une RPA afin de tenir compte entre autres des coûts associés aux services qui sont offerts par celles-ci.
