Une «insubordination» liée au code vestimentaire d’une école secondaire mène à cinq jours de suspension

L’élève a filmé la scène de l’interpellation par une surveillante, ce qui a mené à sa propre suspension.
Photo: Prostock-Studio L’élève a filmé la scène de l’interpellation par une surveillante, ce qui a mené à sa propre suspension.

Vendredi le 13 mai, lorsqu’Alexandra Méza est sortie de son cours d’anglais pour aller régler quelques détails concernant l’organisation du bal de fin d’année, elle ne se doutait pas qu’elle ne remettrait pas les pieds en classe avant une semaine.

Finissante à l’école secondaire des Chutes, à Rawdon, Alexandra a choisi cette journée pour porter un « crop top », ou chandail bedaine, qui dévoilait un ou deux pouces de peau de son ventre et de son dos. Selon le code vestimentaire de son école, où il n’y a pas d’uniforme, ce type de vêtement est interdit. En circulant dans l’école, elle s’est donc fait interpeller par une surveillante qui lui a indiqué que son chandail n’était pas réglementaire.

« Je lui ai proposé d’aller mettre une veste que j’avais dans mon casier, mais elle ne voulait pas », explique Alexandra en entrevue au Devoir.

Elle a donc appelé son père, qui lui a simplement dit d’aller mettre sa veste. Mais la surveillante tenait absolument à envoyer Alexandra au bureau de la direction.

« Elle essayait de m’agripper le bras et elle a baissé son masque », raconte l’élève, en rappelant que le masque était obligatoire dans les lieux intérieurs en date du 13 mai. C’est à ce moment que la jeune femme a commencé à filmer la scène. Dans la vidéo de cinq minutes, à laquelle Le Devoir a eu accès, il est possible de voir la surveillante appeler du renfort lorsque l’élève commence à filmer.

« Je me suis dit que j’allais filmer juste pour me protéger, explique Alexandra. La surveillante essayait tout le temps de me prendre le bras. » Dans la vidéo, on aperçoit en effet la surveillante, visiblement courroucée par le fait d’être filmée, qui avance sans arrêt vers Alexandra. « Oui, je vous filme parce que vous avancez vers moi et j’essaie de reculer », peut-on entendre l’élève lui répliquer.

Escortée par deux employées, Alexandra a été emmenée au bureau de la direction, où trois adultes l’ont rencontrée. Dans l’enregistrement, on entend distinctement une femme ordonner à l’élève d’arrêter de filmer et de supprimer la vidéo de son téléphone. Comme Alexandra continue à filmer, la femme lance à l’une de ses collègues d’un ton abrupt : « Bon, OK, appelle la police. »

La mère de l’élève, Isabelle Forand, a été consternée lorsqu’elle a été mise au fait de la situation. « Elle est mineure, nous n’étions pas présents pour la protéger et elle était vulnérable. Il existait un rapport de force », déplore-t-elle.

Cette « insubordination » a valu cinq jours de suspension à Alexandra Méza : le reste de la journée lors de laquelle l’intervention a eu lieu, ce qui a d’ailleurs fait manquer un examen de français à l’élève, ainsi que les quatre premiers jours de la semaine suivante. « On n’a jamais eu d’appel ni de l’école ni de la directrice, relate la jeune femme. C’est sur mon portail étudiant que j’ai vu que j’avais des jours de suspension externe. » Quant à sa mère, elle explique que c’est le Centre de services scolaire des Samares, et non l’école, qui l’a contactée pour effectuer un suivi.

« Motif raisonnable »

Cette altercation soulève le débat suivant : est-il interdit, voire illégal, de filmer une personne sans forcément obtenir son consentement comme l’a fait Alexandra avec la surveillante ?

« En principe, il n’y a rien qui interdit à quelqu’un de capter des images, explique le professeur titulaire au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal Pierre Trudel. Là où il y a exigence d’obtenir le consentement, c’est pour la diffusion. »

Le professeur explique que dans une situation comme celle qu’a vécue Alexandra, deux droits s’affrontent : « Il y a le droit d’une personne à s’opposer à la captation de son image, mais il y a aussi le droit d’une personne à documenter un incident dont elle estime qu’il est une menace pour ses droits. » Il indique par ailleurs que la jurisprudence reflète cette ambiguïté en stipulant qu’il est interdit de filmer quelqu’un sans son consentement à moins d’avoir un motif raisonnable.

Parmi ces motifs considérés comme raisonnables figurent la crainte d’être mal traité ou menacé, ou encore d’avoir le souci de « documenter des propos qui pourraient constituer du harcèlement », mentionne le professeur.

Ce vendredi-là, encerclée par des adultes qui lui parlaient d’un ton cassant, Alexandra s’est sentie menacée. « Je ne savais plus quoi faire, j’étais comme pas capable de réfléchir et j’étais vraiment sur le bord de pleurer », se souvient l’élève. Tout de même consciente de ses droits, elle a refusé de supprimer la vidéo lorsqu’on le lui a ordonné, parce que « je sais que ça ne se fait pas, demander de supprimer une vidéo ».

M. Trudel confirme qu’« un tribunal peut, après avoir constaté qu’une personne détient une vidéo qu’elle n’a pas le droit de détenir, ordonner des mesures de suppression ». Cela ne peut toutefois survenir « qu’au terme d’une investigation au cours de laquelle aurait été examinée la légalité de la détention d’un tel document ». Autrement, il n’est pas possible d’ordonner la suppression d’une vidéo sur un téléphone, puisqu’il « est considéré comme un objet relevant de la vie privée d’une personne ».

Et est-ce que la menace d’appeler la police qu’ont lancée les adultes à Alexandra était réaliste ? « S’il n’y a pas de geste menaçant, la police ne peut pas intervenir », nuance Pierre Trudel.

Autre incident

 

Une autre élève de l’école secondaire des Chutes jointe par Le Devoir, Audrée Rioux, qui est la présidente des élèves à l’école, affirme avoir aussi vécu de mauvaises expériences en lien avec l’application du code vestimentaire. « Le 2 mai dernier, je portais des jeans taille haute et un chandail qui m’arrivait au nombril. À mon arrivée à l’école, des surveillantes m’ont demandé de lever les bras en l’air pour vérifier si on voyait ma peau. » À la suite de quoi on lui a demandé soit de porter un chandail fourni par l’école, soit de retourner chez elle.

Quant à Alexandra Méza, qui entame la dernière ligne droite de son parcours secondaire et qui n’avait jamais été suspendue auparavant, il s’agit d’une fin en queue de poisson. « On est en 2022. Est-ce que maintenant, on peut accepter de voir un pouce de peau ? » s’interroge l’élève.

Le Centre de services scolaire des Samares n’a pas voulu commenter l’affaire. « Nous ne pouvons donner de détails sur le dossier de cette élève considérant les aspects confidentiels qui y sont reliés », a déclaré la coordonnatrice aux communications Maude Jutras par courriel.

À voir en vidéo