«Tout le monde nous a abandonnés»

Plus de 500 étudiants originaires de l’Inde, qui ont payé jusqu’à 15 000 $ pour faire des études au Québec, affirment avoir été floués à cause de la « négligence » des gouvernements du Québec et du Canada. Ayant épuisé leurs recours juridiques et politiques, leurs avocats tentent désormais d’alerter l’opinion publique sur cette situation qu’ils estiment révoltante.

Ces 502 jeunes Indiens regrettent amèrement d’avoir fait confiance aux publicités décrivant le Canada comme un paradis pour les étudiants étrangers. Ils ont payé à l’avance leur première année de scolarisation au Québec, comme l’exige Ottawa — même si cela contrevient à la Loi québécoise sur l’enseignement privé —, mais le gouvernement fédéral a refusé de leur accorder un permis d’études.

Pour comble d’insulte, il leur est impossible d’obtenir un remboursement : trois collèges privés où ils s’étaient inscrits n’ont plus aucune liquidité et se sont placés sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

« Immigration Canada a détruit mon avenir. Je me demande pourquoi j’ai choisi le Canada pour faire mes études », dit en soupirant Nisha Jindal, une étudiante de 28 ans qui s’était inscrite en éducation à la petite enfance au Collège M, ayant pignon sur rue à Montréal.

Elle a accordé une entrevue au Devoir depuis la ville de Badhni Kalan, au Pendjab, dans le nord de l’Inde. Cette dynamique jeune femme affirme que son rêve d’étudier et de s’établir au Québec a viré au cauchemar dans des circonstances obscures.

En novembre 2020, Nisha Jindal a commencé ses études en ligne après avoir payé à l’avance la somme de 14 852 $. Il s’agit d’une facture considérable pour une famille indienne : son frère a réhypothéqué l’appartement familial pour permettre à la jeune femme de venir étudier à Montréal.

Dix mois plus tard, en août 2021, un gros nuage a assombri l’avenir de Mme Jindal : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a refusé de lui accorder le visa qui devait lui permettre de venir faire à Montréal son stage d’éducatrice à la petite enfance.

Raison invoquée : son parcours scolaire en Inde ne lui permettrait pas de mener des études collégiales au Québec. En vertu d’un système mis en place par le Canada en raison de la pandémie, la jeune femme avait pourtant eu l’autorisation de commencer ses études à distance — ce qu’elle a fait avec assiduité, tous les jours de 15 h à 2 h, à cause du décalage horaire entre l’Inde et Montréal. Elle avait aussi obtenu son certificat d’acceptation du Québec.

« J’ai accepté de payer à l’avance ma scolarité parce que je faisais confiance aux gouvernements du Québec et du Canada. Je le regrette tellement ! Tout le monde nous a abandonnés », laisse tomber Nisha Jindal. Elle reproche à Québec de l’avoir mise en lien avec un établissement qui n’a pas livré les services pour lesquels elle avait payé.

Elle et 501 autres étudiants ne peuvent ni terminer leurs études ni se faire rembourser les milliers de dollars payés à l’avance. L’entreprise Rising Phoenix International, qui possède le Collège M, le Collège de l’Estrie et le Collège de comptabilité et de secrétariat du Québec, à Longueuil et à Sherbrooke, s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Les dirigeants de Rising Phoenix font face à des accusations de fraude et d’abus de confiance en lien avec le recrutement d’étudiants étrangers.

Une entreprise de Toronto, Cestar, a offert de racheter les collèges de Rising Phoenix, non sans controverse. Selon nos sources, une décision du ministère de l’Enseignement supérieur du Québec est attendue d’ici la fin du mois de juin.

Alain N. Tardif, avocat chez McCarthy Tétrault, estime que cette histoire entache la réputation du Canada dans le monde. « Le gouvernement oblige les étudiants étrangers à payer une année de scolarité à l’avance et, quand tout s’écroule, il ne répond pas », dit-il.

La firme d’avocats a eu le mandat de représenter les étudiants indiens touchés par la restructuration de Rising Phoenix International en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Les avocats ont tenté en vain de forcer Ottawa et Québec à prolonger les visas ou les certificats d’acceptation pour des centaines d’étudiants indiens inscrits dans les collèges de Rising Phoenix. La Cour supérieure du Québec a refusé cette demande.

À défaut d’accorder ou de prolonger les permis d’études, les gouvernements devraient rembourser les étudiants indiens pour des cours qu’ils n’ont pas obtenus, fait valoir Alain N. Tardif. « Pour les étudiants indiens et leurs familles, c’est une tragédie de perdre 15 000 $. Ils vivent beaucoup de détresse », dit-il.

La facture totale réclamée par les 502 étudiants s’élève à 7,5 millions de dollars. Une somme considérable pour les étudiants de l’Inde — où le salaire annuel moyen est estimé à 2434 $ —, mais plutôt anecdotique pour le gouvernement d’un pays riche comme le Canada, fait valoir l’avocat.

Plus de permis de travail postdiplôme

 

Interrogé sur le sort de ces 500 étudiants laissés à eux-mêmes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas répondu aux questions du Devoir. Sans commenter l’octroi des permis d’études, qui est une compétence fédérale, le ministre de l’Immigration, Jean Boulet, a toutefois donné plus de détails sur une nouvelle mesure négociée avec son homologue fédéral, Sean Fraser, qui coupera l’herbe sous le pied aux 49 collèges privés non subventionnés du Québec.

En date du 1er septembre 2023, le permis de travail postdiplôme ne sera désormais octroyé qu’aux étudiants issus des collèges subventionnés. Jusqu’ici, les étudiants de collèges privés non subventionnés avaient droit à ce permis de travail après avoir effectué de très courtes formations d’environ 900 heures, comme des attestations d’études collégiales (AEC) ou des diplômes d’études professionnelles (DEP), pouvant coûter jusqu’à 25 000 $.

Des médias, dont Le Devoir, avaient d’ailleurs révélé les nombreux problèmes liés à la piètre qualité des formations dans ces collèges de même que leurs stratagèmes douteux concernant le recrutement, ce qu’avait confirmé le ministère de l’Enseignement supérieur au terme d’une enquête qui avait mis au ban dix collèges, en majorité anglophones.

En entrevue, le ministre Boulet n’a pas nié l’impact de sa décision sur ces collèges. Mais il estime que « ça s’imposait ». « On ne pouvait pas tolérer ce type de stratagème permettant à une personne d’arriver au Québec et, après une formation de courte durée, d’avoir un accès automatique à un permis de travail », a soutenu le ministre, en soulignant que bon nombre de ces étudiants s’en allaient en Ontario ou ailleurs au Canada. Selon lui, il ne s’agit pas de punir les collèges anglophones. « C’est le stratagème qui est visé. » Il a par ailleurs rappelé que le Québec est la seule province canadienne qui permet l’accès au permis de travail postdiplôme au terme d’un programme non subventionné.

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