Charge concertée pour lever le voile sur le «procès secret»

Des avocats, notamment ceux de plusieurs médias, se sont démenés lundi matin afin de convaincre la Cour d’appel de lever — en partie — le voile sur ce qui a été appelé le « procès secret » au Québec.
Ils ne sont pas seuls dans leur quête : la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, et le procureur général du Québec demandent aussi à ce que plus d’informations soient rendues publiques.
L’existence de ce procès fantôme a été révélée en mars par un jugement de la Cour d’appel rapporté dans La Presse. La Cour d’appel avait alors prononcé un arrêt des procédures dans une affaire impliquant un indicateur de police qui, pour une raison inconnue, s’est retrouvé accusé d’un crime… qu’il avait apparemment lui-même dénoncé. Le banc de trois juges avait aussi prononcé des ordonnances de confidentialité et la mise sous scellés des procédures, notes et documents de l’affaire.
La Cour était choquée que ce procès se soit tenu dans le plus grand des secrets, à l’abri des regards. Pas de numéro de dossier, pas de nom du juge ni des avocats qui ont plaidé l’affaire. Même le nom du district judiciaire où la cause s’est déroulée est gardé dans l’ombre et sous cadenas. Sans ce jugement du plus haut tribunal québécois, on n’aurait même pas su qu’il s’était bel et bien tenu. Et encore, le public n’a eu que des miettes d’information.
« En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués », peut-on lire dans le jugement de la Cour daté du 23 mars, précédé de la mention « version publique caviardée ».
« Une façon extraordinaire de procéder », qui est « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale », renchérissaient alors les trois juges.
Dans les jours qui ont suivi les révélations de La Presse, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, s’est insurgé contre cette façon de procéder et a déposé une requête à la Cour.
Le Barreau s’était aussi indigné, tout comme le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner.
« Une aberration »
Lundi, plusieurs avocats ont fait valoir leurs arguments pour que la Cour d’appel rende publics des renseignements sur cette poursuite criminelle. Ils ne demandent toutefois pas que le nom de l’indicateur soit révélé ni des détails permettant de l’identifier.
Mais ils exigent plus de transparence puisque la justice doit être rendue de façon publique. Car garder cette affaire secrète « n’est pas susceptible de favoriser la confiance du public envers le système de justice », a plaidé lundi Me Christian Leblanc, notant n’avoir jamais vu pareille situation au cours de sa carrière.
« Un procès secret, c’est une aberration », a-t-il lancé, reprenant ce mot utilisé par la Cour d’appel dans son propre jugement du mois de mars. Il a aussi parlé d’« exagération », notant que même le district judiciaire où l’affaire a été entendue est tenu secret. Dévoiler le nom du juge et des avocats impliqués ne révélera pas le nom de l’indicateur de police, a-t-il ajouté, notant que des moyens moins extrêmes auraient quand même permis de protéger son identité.
L’avocat du Procureur général du Québec a enjoint à la Cour d’appel de faire connaître suffisamment de détails pour que la Cour de première instance puisse « se constituer un dossier. » Le public a été interpellé par la situation, a-t-il rappelé.
La suite de l’audience en Cour d’appel s’est déroulée à huis clos lundi midi, soit hors de la présence des journalistes — mais avec l’avocat de l’indicateur de police ainsi que l’avocat de la juge en chef Rondeau, pour une raison non dévoilée. La Cour a ensuite pris l’affaire en délibéré et sa décision sera rendue ultérieurement.