Dissonance de points de vue sur la crise du logement à Montréal

L’octroi de «chèques du gouvernement» aux locataires dans le besoin répondrait davantage aux besoins de ceux-ci que la construction de nouveaux logements sociaux dans la province, estime Sophie Boutin, qui a siégé pendant plusieurs années au sein du conseil d’administration de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’octroi de «chèques du gouvernement» aux locataires dans le besoin répondrait davantage aux besoins de ceux-ci que la construction de nouveaux logements sociaux dans la province, estime Sophie Boutin, qui a siégé pendant plusieurs années au sein du conseil d’administration de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec.

Tant les locataires que les propriétaires s’entendent pour dire que le marché locatif montréalais n’est plus abordable pour les ménages à faible ou à moyen revenu, mais les points de vue divergent quant aux mesures à prendre pour s’attaquer à ce problème. C’est donc pour tenter d’ouvrir le dialogue sur cette crise du logement qui polarise la population que la première édition de l’événement « Montréal, abordable ? » a pris forme au centre-ville dans les derniers jours.

« Sans avoir d’opposition idéologique, les gens sont habitués à travailler dans leur coin, et il va falloir apprendre à créer des ponts entre eux », a illustré au Devoir un des commissaires de cet événement, François Bellemare. Il estime d’ailleurs qu’il serait « complètement illusoire » de penser qu’on pourra « trouver une approche inclusive pour le logement abordable si on n’inclut pas les propriétaires du secteur privé » dans le dialogue sur cette question d’actualité.

En matinée samedi, quelques dizaines de personnes se sont réunies au sein du Centre de design de l’Université du Québec à Montréal, au centre-ville, pour amorcer une journée de réflexion sur le marché locatif montréalais.

Cette initiative a été l’occasion d’aborder deux solutions souvent mises en avant pour s’attaquer au manque de logements abordables dans la métropole, soit celle de « l’aide à la personne » et de « l’aide à la pierre ». La première a été défendue par la gestionnaire immobilière dans le milieu locatif résidentiel Sophie Boutin, qui a siégé pendant plusieurs années au sein du conseil d’administration de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec.

« Comme contribuable, ça me bouleverse de voir qu’il y a des logements subventionnés qui pourraient servir à des familles et qu’il y a des logements vides dans le secteur privé qui ne sont pas utilisés, faute de moyens et de subventions des gouvernements. Je trouve ça inacceptable », a lancé Mme Boutin au Devoir en marge de sa présentation.

Selon elle, le gouvernement provincial devrait « simplifier » et bonifier ses programmes d’aide financière aux locataires — comme les suppléments au loyer — afin que les personnes à faible ou moyen revenu puissent occuper les logements locatifs vacants dans plusieurs secteurs de la métropole. Les logements de grande taille demeurent toutefois rares un peu partout, à Montréal comme dans plusieurs régions de la province.

Mme Boutin a d’ailleurs raconté avoir elle-même eu besoin de se loger temporairement chez ses parents en 1999 après avoir quitté son ancien logement, faute de pouvoir en trouver un à la hauteur de ses moyens à l’époque, et surtout assez grand pour y loger elle et ses quatre enfants. « Et il y a plein de familles dans cette situation-là », souligne la gestionnaire, qui estime que l’octroi de « chèques du gouvernement » aux locataires dans le besoin répondrait davantage aux besoins de ceux-ci que la construction de nouveaux logements sociaux dans la province.

Discordance de points de vue

 

La présentation de Mme Boutin a été suivie d’une période de questions tendue par moments, certains participants critiquant vertement la position de la gestionnaire en faisant valoir notamment qu’un recours accru à des programmes d’aide au paiement du loyer risquerait de contribuer au phénomène déjà en cours d’inflation des prix sur le marché locatif. Les propriétaires pourraient être incités à augmenter plus rapidement les loyers de leurs logements, sachant que ceux-ci trouveront tout de même preneurs grâce à ces subventions, ont dit craindre certaines personnes samedi.

Ainsi, le coordonnateur au Comité logement Ville-Marie, Éric Michaud, estime plutôt que « l’aide à la personne » doit être vue comme une solution temporaire, en attendant que se concrétisent les projets de logements sociaux et communautaires visant à desservir les locataires moins nantis.

Cette « aide à la pierre » — soit le financement de la construction de logements sociaux ou communautaires — vient toutefois au compte-gouttes de la part du gouvernement provincial, déplore M. Michaud, qui a aussi donné une présentation dans le cadre de cet événement. En entrevue, il a donné pour exemple la coopérative d’habitation de la Montagne verte. Lancé en 2006, ce projet de 136 logements pour familles et personnes seules a accueilli ses premiers locataires dans les dernières semaines. « Mais 16 ans, c’est long » pour concrétiser un projet de logements sociaux, a reconnu M. Michaud.

Ce dernier travaille d’ailleurs depuis plusieurs années avec d’autres organismes sur un projet de conversion à des fins sociales de l’ancien hôpital de la Miséricorde, mais les fonds manquent toujours, ne serait-ce que pour établir un cadre financier clair du projet, qui permettrait la réalisation de plus de 200 logements à l’est du centre-ville, selon M. Michaud. « On a amorcé tout un travail de planification, mais, si on veut faire un travail plus élaboré, ça prend des sous », a-t-il ajouté.

L’activité de samedi représentait la dernière rencontre organisée dans le cadre de cette première édition de l’événement, qui pourrait bien prendre de nouveau forme l’an prochain au cœur de la métropole, espère François Bellemare.

À voir en vidéo