Vers une nouvelle hausse des occupants sans droit le 1er juillet
Le nombre de propriétaires qui feront face à des locataires occupant sans droit leur logement au terme de leur bail pourrait être particulièrement élevé cette année, dans le contexte de la pénurie de logements locatifs abordables qui frappe plusieurs régions du Québec, entrevoient plusieurs acteurs du milieu de l’immobilier.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages s’accumulent. Nombre de propriétaires dont les locataires avaient signé un avis de non-renouvellement ou de résiliation de leur bail ont appris dans les derniers jours que ceux-ci entendent demeurer dans leur logement au-delà du 1er juillet, faute d’avoir trouvé une autre habitation leur convenant.
C’est le cas de Cédric Robert, qui possède un quadruplex de logements locatifs à Saint-Jérôme. Le 1er juillet, lui et sa conjointe ont prévu d’emménager dans un des appartements du bâtiment où un locataire a signé en novembre dernier un avis de non-renouvellement de son bail. Le couple a déjà acheté des meubles et prévu l’installation de nouveaux planchers ainsi que d’un système de climatisation dans ce logement. Or, son locataire prévoit maintenant de ne pas quitter celui-ci à la fin de son bail, faute d’avoir déniché un autre endroit où se loger à la hauteur de ses moyens.
« Je vais vivre à la rue presque », lance M. Robert, qui demeure actuellement chez ses beaux-parents dans l’attente d’aller vivre dans ce logement. Légalement, le seul moyen d’expulser un locataire occupant un logement sans droit est de se rendre devant le Tribunal administratif du logement (TAL) pour obtenir une décision en ce sens. C’est ce qu’entend faire M. Robert dès le 2 juillet, si son locataire actuel refuse d’obtempérer.
« Je ne peux pas faire grand-chose d’autre […] Je ne vais pas rentrer moi-même dans le logement pour l’expulser. Je vais prendre tous les recours légaux que j’ai pour l’expulser », lâche M. Robert, qui entend faire « tout en [son] pouvoir pour emménager dans [son] immeuble le plus tôt possible après le 1er juillet ».
Le Code civil du Québec prévoit d’ailleurs que les propriétaires ont jusqu’à 10 jours après l’expiration du bail pour signifier au locataire, par exemple sous forme d’une lettre ou d’un recours au TAL, qu’ils s’opposent à sa présence dans le logement. Autrement, « le bail est reconduit pour un an ou pour la durée du bail initiale ».
« C’est sûr qu’un locateur doit être proactif. S’il encaisse le loyer de juillet, ça peut avoir l’air d’être une renonciation », prévient l’avocat Alexandre B. Romano, qui se spécialise notamment en droit du logement.
Des recours en hausse
Le cas de M. Robert est loin d’être anecdotique. Dans les dernières années, le nombre de demandes introduites au TAL pour procéder à l’expulsion de locataires après l’échéance d’un bail n’a cessé de grimper, passant de 438 dans une période d’un an, entre 2018 et 2019, à 551 l’année suivante, puis à 588 entre 2020 et 2021. Une tendance à la hausse qui devrait vraisemblablement se poursuivre, entrevoit l’Association des propriétaires du Québec (APQ).
« C’est vraiment un enjeu problématique d’année en année. Mais cette année, ça risque d’être plus difficile dans le contexte de la rareté de logements », qui frappe plusieurs régions de la province, croit le président de l’APQ, Martin Messier. « Plus les logements sont difficiles à trouver, plus les locataires nous disent qu’ils ne veulent pas partir », résume-t-il.
« C’est un phénomène qui ne fait que prendre de l’ampleur depuis le début de la crise du logement », constate également l’avocate spécialisée en droit du logement Kimmyanne Brown, du cabinet DDC Legal.
Dans plusieurs cas, des propriétaires se retrouvent « entre l’arbre et l’écorce » lorsque le refus d’un locataire de partir à la fin de son bail en empêche un nouveau d’entrer dans les lieux à la date prévue, relève M. Messier. Le propriétaire doit alors assumer, au besoin, les frais d’hébergement du nouveau locataire le temps que le logement qui lui est destiné se libère.
« C’est un peu le cauchemar parce que là, le propriétaire s’aperçoit qu’il ne peut pas offrir le logement au nouveau locataire prévu parce que l’autre ne veut pas s’en aller. Et le processus est vraiment difficile à vivre pour les propriétaires parce qu’ils sont responsables de la livraison du logement au nouveau [locataire] », explique M. Messier.
Une fois que le TAL a ordonné l’expulsion de l’occupant sans droit, le propriétaire peut ensuite entamer une nouvelle demande devant ce tribunal spécialisé pour obtenir un dédommagement financier de son ancien locataire. Or, « c’est rare que les propriétaires aillent dans ce sens parce qu’ils veulent juste tourner la page, agir rapidement et accepter leurs pertes », affirme l’avocat en droit immobilier Jimmy Troeung, qui a représenté plusieurs propriétaires dans des recours concernant l’expulsion d’occupants sans droit dans les derniers mois.
« Comparativement aux années précédentes, je suis énormément sollicité. Au TAL, c’est un des recours que je fais le plus ces temps-ci », indique Me Troeung. « Je vois qu’il y a beaucoup d’ententes de résiliation qui n’ont pas été respectées parce que, justement, le locataire n’a pas été capable de trouver un appartement en temps opportun », ajoute l’avocat, qui exerce ce métier depuis 12 ans.
Les recours des locataires qui désireraient rester à la fin de l’échéance de leur bail sont, pour leur part, bien limités. « Si vous avez consenti à partir, à reprendre le logement ou à ne pas renouveler votre bail, vous n’avez pas vraiment de recours à moins que vous puissiez prouver qu’il y a eu un consentement vicié », explique l’avocat Alexandre B. Romano.