Les GMF, un échec financier et médical, selon l’IRIS

Un médecin de famille dans un GMF de Longueuil évalue un enfant.
Jacques Nadeau Archives Le Devoir Un médecin de famille dans un GMF de Longueuil évalue un enfant.

Le modèle des groupes de médecine de famille (GMF), créé il y a 20 ans pour améliorer la première ligne et désengorger les urgences, a non seulement échoué à résoudre ces problèmes, mais il a favorisé l’émergence de sociétés privées détenant des « super-GMF privés », dont 25 % ne comptent aucun médecin dans leur conseil d’administration.

C’est du moins ce que conclut une étude menée par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) qui associe le chemin parcouru depuis la création des GMF en 2002 à un échec économique et médical, compte tenu des objectifs de départ.

Selon la chercheuse et autrice Anne Plourde, « les GMF ont été incapables d’assurer un meilleur accès à la première ligne et ils n’ont pas non plus réussi à désengorger les urgences ».

Selon des informations obtenues par l’IRIS par le biais de la Loi sur l’accès à l’information en février 2022, alors que les GMF devaient désengorger les urgences — en ouvrant un minimum de 68 heures par semaine —, il appert que un GMF sur six a conclu une entente avec un service d’urgence de sa région pour que celui-ci assure une partie de ses heures d’ouverture. Notamment durant les soirs et la fin de semaine.

« Depuis 2017, la moitié des super-GMF-R ne satisfont pas le critère du nombre de patients non inscrits à prendre en charge, donc ne satisfont pas les critères requis pour obtenir leur financement », souligne la chercheuse, rappelant que le Vérificateur général du Québec avait déjà montré du doigt ces manquements.

En outre, l’augmentation réelle du nombre de patients pris en charge par les GMF depuis 2014-2015 n’aurait été que de 2 %, selon des données de la RAMQ obtenues par la chercheuse.

Le ratio de patients pris en charge serait passé de 827 à 848 patients par médecin en cinq ans, en deçà de la cible de 1000 patients visée par le ministère de la Santé. Et ce, malgré les 340 millions investis en ressources financières et professionnelles publiques dans les GMF par le MSSS, en 2020-2021, pour qu’ils accomplissent leur mission.

« L’augmentation du nombre de patients suivis en GMF découle essentiellement du fait que de plus en plus de médecins ont adhéré au fil des ans à des GMF et que leur clientèle a suivi. Ces 2 %, ça ne constitue pas une grosse amélioration réelle du nombre de patients pris en charge », affirme Mme Plourde.

Le nombre de médecins pratiquant en GMF est en effet passé de 4316 en 2014-2015 à 6364 en 2020-2021, activités pour lesquelles ces derniers reçoivent une rémunération bonifiée de 35 % par la RAMQ pour couvrir les frais de bureau (tout comme ceux pratiquant en cabinets ou cliniques privées). En seuls honoraires, la facture associée aux GMF payée par la RAMQ atteint maintenant 600 millions de dollars, selon l’IRIS.

Une logique de profit

 

D’ailleurs, l’étude de l’IRIS affirme que l’émergence des GMF privés et de super-cliniques (GMF-R) a favorisé la croissance d’un nouveau modèle d’affaires, plusieurs de ces GMF étant maintenant détenus par des sociétés de portefeuille ou même des sociétés-écrans, ce qui permet une optimisation de leur fiscalité et le paiement d’impôts moindres sur certains de leurs dividendes.

« Cela favorise le développement d’une “médecine inc.” où les GMF prennent de plus en plus la forme d’entreprises qui visent le profit. Il y a même des entreprises comme Telus parmi les propriétaires de certains super-GMF-R. Le quart n’a même plus de médecins qui siègent à leur conseil d’administration », note Anne Plourde. Et cela, malgré l’existence d’un règlement qui impose la présence de médecins parmi les gestionnaires de cabinets médicaux constitués en sociétés, dit-elle, auquel semblent échapper les nouveaux modèles de propriété de plusieurs GMF.

Cette situation concourt à l’opacité entourant l’usage des fonds publics par ces sociétés, dont les états financiers n’ont pas à être rendus publics, déplore la recherche de l’IRIS. « Cela pose problème, ajoute-t-elle. Il y a là manifestement un problème de transparence de la part de ces sociétés, d’autant plus que ce modèle est loin d’avoir fait ses preuves. » Cette dernière juge que la gestion des GMF devrait plutôt être confiée à des organismes sans but lucratif.
 


Correction: Une affirmation indiquant que près de la moitié des super-GMF-R avaient conclu une entente de transfert avec des urgences afin de couvrir une partie de leurs heures d’ouverture était inexacte et a été retirée du texte. Seuls les GMF peuvent recourir à de telles ententes.

Par ailleurs, une précision a été ajoutée pour indiquer que la rémunération bonifiée de 35% reçue par les médecins pratiquant en GMF est la même que ceux pratiquant en cabinets ou en cliniques privées.

 

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