Les demandeurs d’asile retrouvent l’accès aux garderies subventionnées

Ils jouaient le tout pour le tout devant les tribunaux et ils crient maintenant victoire : les demandeurs d’asile à qui le gouvernement ne permettait pas depuis quatre ans d’envoyer leurs enfants dans une garderie subventionnée y auront de nouveau accès. La Cour supérieure s’est en partie rangée de leur côté en reconnaissant que le gouvernement n’avait pas les pouvoirs pour réinterpréter un article du règlement sur les services de garde et que, par conséquent, ils devaient avoir le droit d’envoyer leurs enfants dans une garderie à 8,50 $ par jour.
« [Le Tribunal] déclare que l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite a été adopté sans habilitation législative et est par conséquent ultra vires et nul », a conclu le juge Marc St-Pierre de la Cour supérieure. Ce dernier rejette toutefois les arguments de la partie demanderesse en ce qui a trait au caractère discriminatoire de la situation.
« C’est une victoire pour nous », a déclaré Sibel Ataogul, avocate chez Melançon, Marceau, Grenier et Cohen. « On est contents d’abord parce que ça va redonner immédiatement l’accès [aux garderies subventionnées] aux demandeurs d’asile, surtout à des femmes extrêmement vulnérables qui ont des permis de travail mais qui ne peuvent pas travailler à cause de ça. C’était une situation particulièrement injuste. »
Me Ataogul fait également remarquer que le jugement est une « bonne nouvelle pour la démocratie » puisqu’il rappelle à l’ordre le gouvernement et le somme « de respecter les lois votées par le législateur et de ne pas s’arroger des pouvoirs qui ne leur ont pas été accordés », soutient-elle.
Une réinterprétation interdite
En 2018, Luc Fortin, le ministre libéral de la Famille de l’époque, avait décidé de réinterpréter l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, qui donnait jusque-là accès aux garderies subventionnées à toute personne titulaire d’un « permis de travail et [qui] séjourne au Québec principalement afin d’y travailler ». Du jour au lendemain, le gouvernement n’avait plus considéré qu’ils étaient ici « principalement » pour travailler et les demandeurs d’asile s’étaient donc retrouvés exclus de cette définition.
Cela avait notamment généré des situations absurdes, comme dans le cas d’un couple qui avait pu envoyer son premier enfant dans une garderie subventionnée mais pas son deuxième, pourtant né au Canada, tel que l’avait rapporté Le Devoir.
Selon le Comité Accès garderie, cette volte-face du gouvernement était liée à l’arrivée massive de demandeurs d’asile à cette époque-là. Or, selon Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales pour le Collectif Bienvenue et membre très active du comité, cette décision, qu’elle invite le gouvernement à respecter, vient de renverser la vapeur. « [Ça] va enfin rétablir un droit bafoué depuis des années, essentiel à la dignité et qui affecte des milliers de famille. Je vais enfin pouvoir annoncer aux familles qu’elle pourront travailler, apprendre le français et sortir de la maison. »
À la question, « est-ce que le gouvernement était habilité à adopter l’article 3 établissant les catégories de personnes admissibles à la contribution réduite ? », le juge St-Pierre a dit « non », donnant ainsi raison aux avocats des demandeurs d’asile. Il a rappelé que même si le gouvernement, à travers son règlement sur la contribution réduite, déterminait certains critères pour décider qui y avait droit, la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, elle, n’autorisait pas une telle catégorisation.
Échos politiques
Depuis la réinterprétation du ministre libéral Luc Fortin, le Comité Accès garderie n’a jamais cessé de livrer bataille et a multiplié les plaidoyers notamment auprès des trois ordres de gouvernement. En février 2019, le ministre caquiste de la Famille, Mathieu Lacombe, s’était dit sensible à la cause, mais aurait renvoyé la balle au gouvernement fédéral en disant qu’il manquait de financement. Il y a deux mois, les députés de la CAQ avaient rejeté en bloc un amendement présenté par Québec solidaire, et soutenu par l’opposition, voulant que les services de garde subventionnés soient accessibles à tous les enfants, sans égard au statut migratoire de leurs parents.
La députée de QS et porte-parole en matière de Famille Christine Labrie est d’autant plus heureuse de constater cette « victoire » des demandeurs d’asile après avoir vu sa proposition rejetée. « Mais je n’en reviens pas qu’ils aient dû aller en cour pour se faire reconnaître ce droit », dit-elle, ajoutant que c’est une évidence que cet accès aux places subventionnées leur permettra d’apprendre le français et de contribuer au Québec.
Au cabinet du ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, on reconnaît que le jugement permet désormais aux demandeurs d’asile d’avoir accès aux garderies subventionnées, mais on soutient qu’il est trop tôt pour décider si la décision sera portée en appel. « On analyse les choses et on prendra une décision par la suite », a dit son attachée de presse, Roxanne Bourque.