Nous sommes tous des métis

L’étude du génome des humains d’aujourd’hui et d’hier, ainsi que des lignées humaines archaïques disparues nous révèle les grandes migrations qu’a effectuées Homo sapiens et les multiples métissages qui en ont résulté.

À l’exception des populations africaines de souche, celles qui peuplent aujourd’hui l’Europe, l’Asie, l’Australie, l’Océanie et l’Amérique renferment dans leur génome les traces des multiples croisements survenus au cours du grand périple qu’a entrepris Homo sapiens à sa sortie d’Afrique et qui lui a permis de conquérir la surface de la Terre entière.

Il y a vingt ans, le séquençage du génome humain a donné accès à une mine d’informations sur l’histoire des populations humaines. En comparant les séquences d’ADN des populations actuelles et celles extraites d’ossements fossiles d’humains ayant vécu il y a des milliers d’années et d’autres formes humaines aujourd’hui disparues, comme l’homme de Néandertal et l’homme de Denisova, les généticiens ont pu reconstituer l’histoire des populations humaines. Ils ont pu retracer les segments d’ADN que ces populations se sont échangés lors de leurs rencontres et qui ont aidé Homo sapiens à s’adapter aux nouveaux environnements qu’il a investis.

L’étude des génomes des populations humaines a permis de confirmer que nos ancêtres auraient quitté l’Afrique il y a environ 60 000 ans. « Tous les humains d’aujourd’hui, [hormis les Africains de souche], sont des descendants de ces premiers migrants qui ont colonisé l’Europe, puis l’Asie et l’Australie, il y a 50 000 ans, qui ont traversé le détroit de Béring et pénétré en Amérique, il y a environ 20 000 ans. Et qui, beaucoup plus tard, ont peuplé les îles de l’Océanie lointaine, dont la Polynésie et la Mélanésie, il y a seulement 1000 ans », résume en entrevue au Devoir le généticien des populations Lluis Quintana-Murci, qui donnait, le mercredi 18 mai, une conférence au Cœur des sciences de l’UQAM.

Alors qu’ils colonisaient l’Europe, ces représentants de l’espèce Homo sapiens ont d’abord rencontré des Néandertaliens qui vivaient déjà sur le continent européen et ont cohabité avec eux. Les membres de ces deux populations se sont même accouplés, ce qui a permis aux nouveaux arrivants d’acquérir des mutations néandertaliennes qui ont facilité leur adaptation au froid du climat septentrional et à de nouveaux pathogènes.

Ce sont ces croisements qui sont à l’origine de la présence de matériel génétique (environ 2 % du génome humain) provenant de l’homme de Néandertal dans le génome de tous les humains actuels, à l’exception des Africains de souche, dont les ancêtres n’ont jamais côtoyé de Néandertaliens.

Selon M. Quintana-Murci, qui dirige l’Unité de génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur, « ces métissages qui ont eu lieu au cours des migrations d’Homo sapiens ont grandement facilité son adaptation aux divers environnements de notre planète. Ils ont permis aux humains venant d’Afrique de s’adapter rapidement à des climats différents, à de nouvelles ressources nutritionnelles et à des pathogènes auxquels ils n’avaient jamais été exposés ».

« Deux options s’offraient aux premiers Sapiens qui sont arrivés en Europe depuis l’Afrique : soit ils attendaient que des mutations leur permettant de mieux faire face au froid et de mieux résister aux pathogènes circulant en Europe surviennent spontanément, soit ils se métissaient avec les populations de Néandertaliens qui étaient adaptés à l’environnement européen, car ils y habitaient depuis 300 000 ans. Il s’est bien sûr avéré plus simple de se croiser avec les populations locales, car ce métissage a permis d’acquérir des mutations avantageuses et adaptatives », explique M. Quintana-Murci.

Son laboratoire a montré que ce métissage entre les premiers Homo sapiens européens et les Néandertaliens a été particulièrement avantageux pour lutter contre les maladies virales. L’an dernier, des chercheurs allemands et suédois ont justement découvert qu’un fragment d’ADN hérité de l’homme de Néandertal et qui est présent chez près de 50 % de la population du monde, sauf en Afrique, procurait une protection contre la forme grave de la COVID-19.

La génétique des populations a également révélé que lorsque Homo sapiens a poursuivi sa migration vers l’Asie et l’Australie, il a rencontré dans ces contrées orientales une autre forme humaine archaïque aujourd’hui éteinte, l’homme de Denisova, avec lequel il se serait métissé. À preuve, le génome des populations asiatiques actuelles comprend non seulement une composante d’origine néandertalienne, mais également une contribution dénisovienne. Cette dernière atteint entre 3,5 et 5 % du génome chez les habitants de la Papouasie-Nouvelle Guinée.

Ce métissage avec des Dénisoviens a notamment doté les Tibétains de l’Himalaya de caractéristiques physiologiques leur permettant de vivre en haute altitude, où la quantité d’oxygène présente dans l’air est 40 % moindre qu’au niveau de la mer. L’homme de Denisova possédait des mutations impliquées dans l’adaptation génétique à l’hypoxie et il les a transmises aux humains modernes — dont les Tibétains — par métissage. Ces mutations accroissent la sécrétion d’érythropoïétine (EPO), laquelle stimule la production de globules rouges et augmente ainsi la concentration d’hémoglobine et donc d’oxygène dans le sang, détaille M. Quintana-Murci dans son livre Le peuple des humains, publié chez Odile Jacob.

Ces métissages qui ont eu lieu au cours des migrations d’Homo sapiens ont grandement facilité son adaptation aux divers environ-nementsde notre planète

Le laboratoire de M. Quintana-Murci a également montré que le métissage entre différentes populations humaines peut aussi contribuer à une meilleure adaptation à l’environnement. Ces chercheurs ont découvert qu’une mutation impliquée dans la résistance au paludisme serait apparue, il y a environ 25 000 ans, chez les ancêtres des populations bantoues de fermiers villageois d’Afrique. Or, quand ces agriculteurs ont entrepris la déforestation au cours des 5000 dernières années, ils ont par la même occasion introduit le paludisme chez les populations pygmées de chasseurs-cueilleurs vivant dans la forêt. Mais en se croisant avec ces Pygmées, ils leur auraient transmis la mutation qui permet d’y résister.

« Nous sommes tous, à différents degrés, des métis, puisque nos génomes sont faits de multitudes de segments d’ADN provenant de sources extrêmement variées. Un patchwork historique et géographique, où se mêlent les peuples et les générations », écrit-il.

La population européenne, par exemple, porte dans son génome les vestiges du métissage de quatre groupes différents : celui des premiers chasseurs-cueilleurs venus d’Afrique, celui des Néandertaliens, puis celui des agriculteurs du néolithique venus du Moyen-Orient il y a 10 000 ans et, finalement, celui des populations qui apportèrent les langues indo-européennes d’Europe de l’Est il y a 4000 ans.

Certaines mutations acquises lors de ces métissages se sont avérées avantageuses à l’époque de leur introduction, mais ont pu devenir délétères avec la métamorphose des modes de vie et l’émergence de nouvelles maladies, fait toutefois remarquer M. Quintana-Murci.

Par exemple, alors qu’une mutation héritée de l’homme de Néandertal nous protège de la forme grave de COVID-19, un autre variant génétique que nous a transmis cette lignée éteinte, et qui est présent chez 16 % des Européens et 65 % de la population sud-asiatique, accroît cette fois le risque de développer une forme grave de COVID-19.

En outre, « plusieurs mutations qui étaient jadis avantageuses pour se défendre contre les pathogènes infectieux sont aujourd’hui responsables d’un risque accru de développer des maladies auto-immunes, allergiques, ou inflammatoires », poursuit le généticien. Depuis son apparition, notre espèce a presque toujours vécu entourée de pathogènes et sans aucune aide médicale pour y faire face. Dans un tel contexte, elle a développé et sélectionné des mutations qui ont rendu notre système immunitaire extrêmement réactif et très combatif. Mais en diminuant le risque d’infections, la découverte des vaccins et des antibiotiques, ainsi que l’adoption d’une meilleure hygiène, au début du XXe siècle, a par la même occasion favorisé l’augmentation des maladies auto-immunes et inflammatoires chez les personnes dotées de ces mutations, explique-t-il.

« Nous sommes les descendants de ceux qui ont survécu aux grandes épidémies du passé. L’étude du génome des populations ne fait pas que nous renseigner sur leur histoire, elle nous permettra d’exercer une médecine de précision, une médecine mieux adaptée à chaque individu », souligne le chercheur.

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