Quelle est la valeur d’un bien immobilier ?
Valeur marchande, valeur émotive et valeur d’usage : dans cette course effrénée qu’est devenu l’accès à la propriété, acheteurs comme vendeurs se grattent la tête au moment d’accoler une étiquette à un bien immobilier. Devant la frénésie des offres multiples, plusieurs misent très haut — et pourraient faire face à une correction de marché —, tandis que d’autres tentent de limiter leur éventuel endettement, au risque de perdre à répétition. Comment trancher ?
Les courtiers immobiliers se tournent normalement vers les comparables, soit les propriétés similaires vendues dans le même quartier. « Mais chaque propriété est unique », explique Martin Desfossés, coach en immobilier chez DuProprio. C’est pourquoi il détermine ensuite ce qui la distingue : son emplacement, le type de propriété (copropriété, bungalow, maison à deux étages), sa dimension, sa finition, son état, etc. « Ce sont toutes des caractéristiques qui vont affecter la valeur marchande », ajoute-t-il.
Cette technique permet aux vendeurs d’avoir l’heure juste, selon lui. Pourtant, avec la surchauffe actuelle, les coups de cœur entraînent des offres qui peuvent sembler déraisonnables.
Valeur subjective
« On a tous besoin de se loger, mais on a aussi des désirs : habiter dans du beau, avoir de grandes pièces, un stationnement… C’est pour ça qu’on voit des ventes se conclure à des montants bien au-delà des prix affichés. C’est la valeur que la personne attribue de façon subjective à cette propriété. »
Devant la tendance des courtiers à afficher plus bas pour stimuler l’intérêt des acheteurs potentiels, plusieurs se retrouvent dans le noir face à la valeur réelle du produit. C’est pourquoi Mathieu Lagarde, président chez Christine Gauthier Immobilier, propose qu’on se base sur l’évaluation municipale. Non pas pour s’y coller (en règle générale, les villes évaluent bien en deçà de la valeur marchande), mais plutôt à titre de référence, puisque cet indicateur est selon lui plus fiable qu’un prix déterminé arbitrairement par un courtier.
« Quand je dois évaluer la valeur d’une maison, je regarde l’écart moyen entre l’évaluation municipale et les prix de vente de son quartier et je calcule cette même proportion pour la propriété », explique-t-il.
Au Québec, les propriétés résidentielles ont été vendues en moyenne 47 % au-dessus de l’évaluation municipale, selon une analyse du Devoir de quelque 135 000 transactions effectuées entre janvier et mars 2022 et colligées par Centris. Pour connaître cet écart dans votre municipalité, consultez notre tableau ci-dessous.
Le courtier conclut d’ailleurs, après analyse, que les propriétés qui se vendent en surenchère sont généralement inscrites « beaucoup plus bas » que ses comparables par rapport à l’évaluation municipale. « Ces maisons sont souvent inscrites 10 % plus bas que la moyenne du quartier, donc mathématiquement, elles sont mises sur le marché moins cher que leur vraie valeur. » La boussole des acheteurs serait donc assez fiable.
Une approche faillible
Ces calculs sont remis en question par la professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM Hélène Bélanger. « Je sais que c’est utopique, fixer un prix, on devrait plutôt s’attarder à la capacité de payer des ménages et à leurs besoins, estime la professeure. C’est un peu la vision derrière le logement social, dont le prix est établi à 25 % du revenu. »
Face au discours ambiant de l’offre et de la demande, elle rétorque que cette approche comporte des faiblesses. « Ça implique que le marché s’équilibre par lui-même, mais ça met de côté les modes de vie, les attentes et les aspirations des individus. Ça devrait être la valeur d’usage qui importe, celle liée à notre attachement, à notre identité et à notre appropriation des lieux, et non la valeur marchande. »
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Cette vision économique a d’ailleurs des conséquences graves sur l’accès à la propriété, selon elle. Elle permet à de gros investisseurs d’acquérir des logements locatifs et de gentrifier les quartiers bien en vue, et fait en sorte que les jeunes ménages doivent rester locataires.
« La classe moyenne a de moins en moins les moyens d’acheter, il y a vraiment une inégalité croissante, affirme Hélène Bélanger. Des jeunes adultes qui gagnent bien leur vie ne peuvent plus acquérir le “bungalow” de leurs parents, par exemple. On a donc toute une génération qui ne pourra pas accéder à la propriété si elle n’a pas d’aide familiale. »
Résultat : les « flips » sont devenus monnaie courante pour ceux qui détiennent le capital, tandis que de l’autre côté du spectre, soit les ménages à faible revenu, on doit s’éloigner des centres, devenus hors de prix. « Il y a toujours eu des spéculateurs. Mais vu qu’il y a peu d’interventions du gouvernement sur le marché locatif, le logement est devenu un bien marchand et la plus-value spéculative de ces investissements est démesurée. »