Le Plateau Mont-Royal - Entre «Platopithèques» et «Platobobos»

Bruno Blanchet rend presque quotidiennement visite à Ping Fai Chow, propriétaire du dépanneur Marie-Anne, au coin des rues Marie-Anne et Berri, mais surtout fidèle collaborateur des émissions La fin du monde est à 7 heures et N’ajustez pas votre
Photo: Bruno Blanchet rend presque quotidiennement visite à Ping Fai Chow, propriétaire du dépanneur Marie-Anne, au coin des rues Marie-Anne et Berri, mais surtout fidèle collaborateur des émissions La fin du monde est à 7 heures et N’ajustez pas votre

Jadis villes ou quartiers, ce sont aujourd'hui les arrondissements d'une cité plus vaste mais qui a toujours pour nom Montréal. Ces entités conservent bien sûr leur histoire et leurs charmes propres. Des journalistes du Devoir sont allés revisiter cette île devenue ville unique, au hasard de promenades en compagnie de personnalités qui l'habitent. Aujourd'hui, le comédien Bruno Blanchet et l'arrondissement du Plateau Mont-Royal.

Il y a les «Platopithèques». Et il y a les «Platobobos». Les uns ont pignon sur le Plateau depuis Matusalem, sont locataires, se rendent presque quotidiennement dans les mêmes indécrottables institutions et répètent à qui veut bien l'entendre qu'ils ont toujours habité le quartier — comprendre qu'ils y étaient avant que la micro-brasserie bon chic bon genre et le café-qui-ne-sert-que-du-latte-à-cinq-dollars-le-verre fassent leur apparition dans le coin.

Les autres sont propriétaires dans «le quartier le plus in au monde» depuis... que les Américains l'ont consacré «quartier le plus in au monde», en fait. Débarqués au cours de la dernière décennie avec décorateur et jardinier, ces bourgeois-bohémiens ont fait souffler sur le Platô un vent, disons, très XXIe siècle. Sushis pour emporter, meubles des années 80 (sic!) et chaï latte glacé ont ainsi remplacé les vulgaires beignes fourrés à la gelée rouge, les magasins de meubles usagés et les cafés filtre servis dans des verres en styromousse.

Dans la télésérie Le Plateau, qui débute à la SRC à l'automne, Bruno Blanchet est un Platopithèque, un vrai. «Je suis de l'ancienne sorte, confie celui qui s'est fait connaître avec les émissions La fin du monde est à 7 heures et N'ajustez pas votre sécheuse. Je suis un peu parasite dans ce quartier que j'habite depuis toujours!» Sans lui enlever du mérite, on peut penser que ce ne sera pas le rôle le plus difficile à incarner puisque Platopithèque il est, dans la vraie de vraie vie. Depuis 12 ans qu'il trimballe ses pénates d'un appartement à l'autre, jamais il n'est sorti du quartier, ce qui lui a valu, de la part d'un de ses amis, le fabuleux sobriquet de Platopithèque. «Tout ce que je veux est ici, dit-il. Je suis bien enraciné. Mais les gens comme moi, on est un peu les dinosaures de la place.»

Son vis-à-vis dans la série télévisée sera Benoît Brière, qui lui, avec un poste de journaliste à temps très plein, interprète le Platobobo, ce nouvel énergumène plein de fric qui a contribué à la gentrification du quartier. Il est de ces personnes qui ont fait grimper de 44 %, de 1991 à 1996, le nombre de personnes ayant un revenu supérieur à 30 000 $ sur le Plateau. Ces personnes, également, qui ont chassé par leur seule présence les moins fortunés, faisant diminuer sans cesse le nombre de chaises sur les galeries.

Mais curieusement, Platopithèques et Platobobos semblent avoir trouvé un modus vivendi dans le quartier. «On se retrouve dans les bars le soir comme de vieux amis», constate Bruno Blanchet. C'est que, l'argent excepté, les résidants du Plateau se ressemblent beaucoup. La réputation de quartier branché plaît à une strate d'âge très précise, les 25-34 ans, qui se retrouvent plus nombreux sur le Plateau que partout ailleurs sur l'île. La population est donc très homogène, une situation qui est renforcée par les départs, de plus en plus fréquents depuis le début des années 90, des personnes de plus de 65 ans. La hausse des loyers et le manque de services adaptés expliquent cet exode des aînés.

Cela aidant, les entreprises qui accueillaient jadis «les p'tits vieux du Plateau» ont pris leurs cliques et leurs claques et sont parties afficher leur raison sociale ailleurs, comme en témoigne par exemple le récent départ du Dunkin Donuts qui logeait au coin Mont-Royal et Rivard. Un café branché a pris la place. Idem pour la taverne Boussole et ses bocks de bière qui étaient présents sur l'avenue du Mont-Royal depuis 1934. Ils ont été remplacés il y a peu par une «Hyper-Taverne» et ses dry martinis.

Mais un bref tour du quartier avec Bruno Blanchet prouve qu'il n'y a pas que des commerces forts en «branchitude» sur le Plateau. Des entreprises dont la taille est inversement proportionnelle à leur réputation peuplent également ce quartier où les secteurs des nouvelles technologies, du multimédia et de l'industrie culturelle sont rois et maîtres.

La Boîte Noire, par exemple, ce magasin spécialisé dans la location de vidéocassettes importées et de répertoire, compte ainsi sur une clientèle d'irréductibles qui ne poussent jamais la porte des concurrents aux tonnes de copies, tels Blockbuster et le SuperClub Vidéotron. «Les employés sont tannés de me voir tellement je viens souvent, lance-t-il. J'ai dû écouter une centaine de films dans la dernière année. J'en loue jusqu'à trois par jour!»

Même chose pour le disquaire L'Oblique, au coin de Marie-Anne et Rivard. Cette modeste boutique «vend tout ce que l'on ne retrouve pas ailleurs», selon Bruno Blanchet, au grand plaisir des mélomanes aux goûts particuliers. Yoshimi Battles The Pink Robots (The Flaming Lips) et Let Us Prey (Electric Wizard) sont les dernières acquisitions du comédien. On est loin de HMV et de ses rangées de disques à la mode!

Et les problèmes immobiliers?

Il serait facile de conclure que les Platopithèques ont en sainte aversion les Platobobos et leur style chic. Erreur. «Il y a plusieurs coins du Plateau qui changent pour le mieux, fait remarquer Bruno Blanchet. Le restaurant L'Avenue, par exemple, a pris la place d'un resto de BBQ aux serveuses sexy. Le Bíly Kun aussi a délogé une espèce de bar sordide avec des machines à poker. C'était une place damnée jusqu'à ce que le Bíly Kun ouvre ses portes et donne une seconde vie à ce lieu. On ne peut quand même pas se plaindre de ça.»

Mais lorsque vient le temps de parler immobilier, Bruno Blanchet fronce les sourcils. «De ce côté-là, trop de gens en profitent. Puis depuis un certain temps, les Américains et les Japonais viennent investir ici. Il y a une réelle perte d'identité pour le quartier.»

La crise du logement qui frappe la métropole semble avoir pris son origine sur le Plateau tant elle sévit fortement dans le secteur. Le taux d'inoccupation des logements locatifs de la zone Plateau Mont-Royal-Villeray est constamment revu à la baisse (1,1 % en novembre 2000) et frôle le 0 % pour ce qui est des logements de deux ou trois chambres à coucher.

Le quartier étant développé sur presque toute sa superficie, il reste très peu d'espace pour de nouvelles habitations. La demande étant plus importante que l'offre, la pression est forte pour que le locatif soit transformé en copropriétés divises. Pour preuve, alors que le nombre de ventes de condominiums a augmenté au fil des ans dans l'arrondissement, il ne s'est pratiquement pas bâti de logements locatifs. Résultat: les loyers ont augmenté sans cesse depuis le milieu des années 90. Et cela est sans compter sur la hausse de l'évaluation foncière en septembre 2000. Le Plateau y a goûté plus que les autres, connaissant une augmentation de 7,2 % comparativement à une baisse de 2,3 % pour les autres quartiers de Montréal.

«Plateau bashing»

Mais une telle popularité n'entraîne pas que du bon, comme l'a constaté Bruno Blanchet. «À chaque fois que quelqu'un sort sa tête de l'eau, on a envie de le caler au fond. Le réflexe est québécois», croit-il. Ainsi est né le «Plateau bashing», cette tendance qui gagne en popularité aussi vite que le quartier qu'il vise. Combien de fois a-t-on entendu dire que «le Plateau, ce n'est plus ce que c'était» ou que «le Plateau, c'est juste pour les snobs» ou encore que «le Plateau est bourré de 450»? «Ce n'est qu'un snobisme mal placé», croit Bruno Blanchet.

Mais on peut aussi rapprocher cette attitude d'un comportement jadis expliqué par Freud: l'envie du pénis que l'on pourrait rebaptiser l'envie du Plateau. Pour le paraphraser, disons que certains Montréalais, plutôt que de se définir par le quartier qu'ils habitent, se définissent par le fait qu'ils habitent, ou non, le Plateau. D'où l'envie. D'où la frustration, exacerbée par la crise du logement et les loyers exorbitants. Ils en viennent donc à haïr ces privilégiés au gros logement.

Pour pallier ce problème, certains ont donc pensé donner un peu de Plateau à tout le monde. Depuis quelques années, les pages des petites annonces témoignent de ce phénomène. Comme le faisait remarquer récemment le collègue Jean Dion, Rosemont s'appelle désormais Nouveau Plateau, Villeray a été renommé Néo-Nouveau Plateau, Ahuntsic est Néo-Nouveau Plateau adjacent et Rivière-des-Prairies quelque chose comme Grand Plateau Métro.

Reste donc à voir combien de temps durera le phénomène. Mais les villes étant ce qu'elles sont, c'est-à-dire hautement mobiles, il est à parier que le Plateau atteindra son point de saturation d'ici quelques années, après quoi un autre coin de l'île prendra la relève comme «quartier le plus in au monde». Et l'histoire se répétera: les irréductibles, qui laisseront place aux plus fortunés, migreront vers des cieux moins branchésÉ qui le deviendront éventuellement.

L'arrondissement du Plateau Mont-Royal en quelques lignes

-Limites. Le Plateau Mont-Royal se trouve au coeur de Montréal, lové entre les arrondissements de Rosemont-Petite-Patrie (au nord et à l 'est), de Ville-Marie (au sud) et d'Outremont (à l'ouest). La délimitation de l'arrondissement est la suivante: au nord et au nord-est, les voies ferrées du Canadien Pacifique (CP), à l'ouest, la rue Hutchison, l'avenue du Parc jusqu'à l'échangeur des Pins et la rue Université et, au sud, la rue Sherbrooke.

-Population. L'arrondissement du Plateau Mont-Royal affiche la densité de population la plus importante de Montréal. Beaucoup de jeunes viennent y vivre ou y travailler. Bien que le niveau socioéconomique des résidants augmente, la pauvreté fait partie de la réalité. L'arrondissement se distingue par le nombre élevé de familles monoparentales, de ménages non familiaux et de personnes vivant seules.

-Histoire. Jusqu'en 1909, le Plateau est une succession de villages dont la croissance est rythmée par l'expansion de certaines entreprises et le prolongement du chemin de fer et des lignes de tramways. Ces villages sont ensuite annexés par la Ville et deviennent des quartiers populaires caractérisés par des rues étroites et une forte densité de population. La diversité culturelle est particulièrement présente dans la partie ouest de l'arrondissement, qui fut le lieu de première résidence de nombreux immigrants européens aux XIXe et XXe siècles. La plus importante phase de construction dans l'arrondissement s'est déroulée avant 1946; plus de 52 % des logements ont été construits au cours de cette période.

-Économie. L'arrondissement jouit d'une activité économique très dynamique. Une majorité de petites entreprises occupent les différents secteurs d 'activité. Plus spécifiquement, les secteurs des nouvelles technologies, du multimédia et de l'industrie culturelle y sont particulièrement en croissance.

-Loisirs et communauté. L'arrondissement foisonne d'activités culturelles diversifiées à rayonnement régional ou international pour tous. Il jouit également de plus d'une centaine de parcs et d'installations extérieures, d'une dizaine de centres d'activités, de deux bibliothèques et de nombreux théâtres. Le réseau de pistes cyclables y est bien développé.

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