Du primaire au cégep, un programme probant de mentorat scolaire

Alisha Wissanji est une sorte d’ange gardien qui a transformé la vie de centaines d’élèves depuis des années. Cette professeure de cégep a commencé à l’âge de 8 ans à faire de l’aide aux devoirs auprès de 250 réfugiés afghans dans sa ville natale de Granby ; 30 ans plus tard, elle aidera cet automne 1000 enfants du primaire et presque autant de collégiens.
Cette championne d’aviron, qui a un doctorat en physique et un postdoctorat en mathématiques, a créé une fondation qui se consacre à garder les jeunes sur les bancs de l’école. Tous les samedis matin, des centaines d’enfants se dirigent en autobus jaune vers le cégep le plus près de chez eux, où des cégépiens les aident à faire des maths, du français, des sciences et de l’informatique. Ils sont accueillis avec un petit-déjeuner. Ils s’amusent. Tout cela se fait dans la bonne humeur. Et c’est gratuit.
« Aussi loin que je me souvienne, l’aide aux enfants vulnérables a toujours fait partie de ma vie », raconte Alisha Wissanji entre deux événements dans son agenda aussi chargé que celui d’une ministre.
« Je suis convaincue qu’on peut prévenir et réduire la pauvreté par l’éducation », ajoute-t-elle.
Au début des années 1990, sa famille à Granby a accueilli des réfugiés afghans qui avaient fui le régime des talibans. À 8 ans, la petite Alisha, qui apprenait rapidement, a commencé à aider les enfants afghans. « Je trouvais injuste qu’un enfant de mon âge n’ait pas les mêmes chances que moi juste parce qu’il était né ailleurs », dit-elle.
Les enfants vulnérables ne se projettent pas nécessairement dans les études. On les prend par la main, accompagnés par des cégépiens qui leur ressemblent, qui viennent de leur quartier, et qui persévèrent à l’école.
Elle a même appris la langue de ses amis afghans. Et elle les a aidés à apprendre le français avec l’accent québécois. De fil en aiguille, la mission d’Alisha a pris de l’ampleur : 250 réfugiés afghans sont arrivés à Granby. Puis des Pakistanais. Elle a aidé à ouvrir un centre d’aide aux devoirs pour tout ce monde. De fil en aiguille, des rencontres d’aide pour les élèves ont eu lieu dans des sous-sols d’église, des écoles, des cégeps.
Prendre un enfant par la main
Devenue professeure de mathématiques au cégep Marie-Victorin, dans le nord de Montréal, Alisha Wissanji a compris que le meilleur endroit pour accueillir les jeunes est un cégep.
« C’est impressionnant, pour un enfant du primaire, de se faire transporter dans un cégep le samedi matin. Waouh ! Les enfants vulnérables ne se projettent pas nécessairement dans les études. On les prend par la main, accompagnés par des cégépiens qui leur ressemblent, qui viennent de leur quartier, et qui persévèrent à l’école. Les mentors du cégep deviennent des modèles, des grands frères et des grandes sœurs », raconte Alisha Wissanji.
Le plus beau dans cette affaire, c’est que tout le monde sort gagnant de l’aventure : les résultats scolaires des petits du primaire s’améliorent de façon importante. Et les mentors sont plus motivés, ont une meilleure estime d’eux-mêmes et se considèrent comme plus autonomes que la moyenne des autres étudiants du cégep.
Ce n’est pas Alisha Wissanji elle-même qui l’affirme, mais Isabelle Archambault, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. Cette spécialiste de l’adaptation scolaire des jeunes vulnérables accompagne le projet, appelé L’École des grands, qui cherche à s’inspirer des données issues de la science. Et à en mesurer l’effet sur les participants.
« C’est un projet vraiment novateur, qui mérite d’être déployé à plus grande échelle », dit Isabelle Archambault. Le mentorat est beaucoup plus qu’une simple façon d’aider les jeunes à faire leurs devoirs. Une relation de confiance se crée entre les mentors et les élèves. Ce type de mesure est d’une « très grande efficacité pour prévenir le décrochage scolaire », explique la professeure Archambault.
Le fait d’emmener les enfants dans un autre lieu que l’école, hors des heures habituelles de présence en classe, et sur une base volontaire, ajoute à l’intérêt du programme, selon elle.
« Les jeunes ont envie d’être là », dit la professeure.
Sylvie Giroux confirme que sa fillette de 6 ans, Mara-Rose, est enthousiaste. « Elle a hâte d’y aller et elle a toujours plein de choses à me raconter quand elle revient de là. En tant que parent, c’est rassurant de savoir que notre enfant est encouragée à aimer l’école », dit la mère qui habite dans le centre-ville de Trois-Rivières.
Sa fille de première année réussit très bien à l’école. Les enfants choisis pour prendre part au projet ont généralement des résultats moyens, explique Alisha Wissanji : s’ils sont trop forts, ils n’ont peut-être pas besoin de mentorat. Ça démotive les mentors. S’ils sont trop faibles, ils ont plutôt besoin d’aide en orthopédagogie ou d’autres services professionnels.
Le programme choisit les élèves parmi les 30 % d’écoles les plus défavorisées (d’après un indice tenant compte de la sous-scolarisation des mères et du sous-emploi des parents du quartier).
Tout le monde est content
Laurianne Lavallée, étudiante de deuxième année au collégial en sciences, lettres et arts, fait partie des mentors. Elle adore ça.
« On crée des liens avec les enfants. On sent qu’on a un impact sur leur réussite. Et ça développe notre créativité », dit la cégépienne. Elle voit son engagement bénévole auprès des jeunes comme une façon d’accumuler de l’expérience en vue de ses études universitaires en psychologie.
Environ 1000 élèves de six régions du Québec, issus de 8 à 12 écoles primaires (des discussions ont toujours lieu à ce sujet) doivent participer au programme à l’automne 2022. Entre 6 et 9 cégeps accueilleront les enfants. Pour amasser des fonds (pour le transport des élèves, pour le matériel scolaire, pour les centaines de petits-déjeuners, et ainsi de suite), Alisha Wissanji a mis sur pied la Fondation W en 2019.
« On essaie juste de répondre à la demande », dit-elle avant de filer vers le cégep pour donner ses cours. Après, ce sera l’entraînement d’aviron.