Ce qui se passe au chemin Roxham en six questions
Fermé pendant la pandémie, le chemin Roxham est redevenu très achalandé à sa réouverture, en novembre 2021. Depuis, plus de 2000 personnes par mois empruntent cette route menant au Québec pour demander l’asile au Canada. Explications 101 pour décrypter la situation et la mettre en perspective.
Est-ce que la situation est exceptionnelle sur le chemin Roxham ?
Durant les années prépandémie, environ 17 000 à 18 000 personnes par an passaient par le chemin Roxham. Bien que la première moitié de 2022 ne soit pas terminée, 10 000 personnes sont déjà passées par ce chemin, soit plus de la moitié de la moyenne des entrées annuelles. Le nombre actuel de passages est toutefois très semblable à celui observé durant les mois de l’été 2017, alors que beaucoup de demandeurs d’asile, notamment d’origine haïtienne, étaient entrés par le chemin Roxham. Selon Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), le problème n’est pas canadien ni québécois, il est mondial. « Il y a des centaines de milliers de réfugiés qui passent des frontières partout. En Europe, c’est encore plus dramatique », dit-il.
Est-ce que 35 000 personnes passeront par Roxham d’ici la fin de 2022 ?
Le ministre de l’Immigration, Jean Boulet, a estimé à 35 000 le nombre de personnes qui vont entrer au Québec par le chemin Roxham d’ici la fin de 2022. Pour Yanniv Waknine, quatrième vice-président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, la tendance est certes à la hausse, mais il demeure difficile de prédire quoi que ce soit. « Ça peut monter ou stagner, on est dans l’inconnu. » Pour Louis-Philippe Jannard, doctorant en droit à l’UQAM et spécialiste de l’immigration, ce chiffre est aléatoire. « Il y a beaucoup d’incertitude, car on ne connaît pas les raisons profondes qui ont incité les gens à traverser en grand nombre », dit-il. « J’ai l’impression qu’on a voulu produire un effet de crise », ajoute-t-il, rappelant que les élections auront lieu à l’automne.
Le Québec prend-il en charge tous les demandeurs d’asile qui passent par Roxham ?
Les demandeurs d’asile qui arrivent par ce chemin ne restent pas tous au Québec. Plusieurs s’en vont en Ontario ou dans les autres provinces canadiennes. Pour les quatre premiers mois de 2022, les données statistiques du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) montrent que la moitié des demandeurs d’asile entrés par le chemin Roxham ne se sont pas inscrits au Québec pour recevoir des services. Ceux-ci sont payés par Ottawa au moyen des transferts fédéraux annuels d’environ 700 millions, auxquels se sont ajoutés des montants substantiels au cours des dernières années.
Quels services reçoivent les demandeurs d’asile au Québec et qui paie la facture ?
Les demandeurs d’asile ont droit à une aide sociale de dernier recours, à de l’aide pour trouver du logement et inscrire leurs enfants à l’école et à une assurance maladie payée par le gouvernement fédéral. Stephan Reichhold, de la TCRI, rappelle que depuis l’arrivée du gouvernement de Justin Trudeau, c’est Ottawa qui paie pour les services offerts par le PRAIDA, par ses transferts annuels et les sommes ajoutées susmentionnés.
Ottawa peut-il fermer le chemin Roxham comme le lui demande le gouvernement Legault ?
Pendant la pandémie, ce chemin de campagne avait été « fermé » temporairement, c’est-à-dire que des agents de la GRC étaient en poste en permanence pour refouler quiconque vers les États-Unis. Cela n’a toutefois pas empêché 682 personnes d’entrer au Québec de manière irrégulière entre mars 2020 et octobre 2021. Or, qu’ils soient empêchés d’y circuler par des barbelés ou des blocs de béton, les demandeurs d’asile trouveront d’autres moyens d’entrer au Canada, croient bon nombre d’observateurs. « C’est comme penser que fermer les maisons d’hébergement pour victimes de violence conjugale va arrêter la violence conjugale », illustre Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration. « Ce n’est pas Roxham qui crée les demandeurs d’asile. C’est l’Entente sur les tiers pays sûrs, et il faut l’abolir. » Les quatre principaux partis à l’Assemblée nationale exigent d’ailleurs qu’Ottawa revoie l’Entente sur les tiers pays sûrs.
Quelle incidence a la forte affluence au chemin Roxham pour les demandeurs d’asile ?
À l’heure actuelle, avec environ 100 personnes qui arrivent par jour, les agents douaniers du poste frontalier de Lacolle ne parviennent pas à traiter la recevabilité des demandes d’asile. Cette première étape, qui se fait normalement en quelques jours ouvrables, selon la loi, prend maintenant un an. Les demandeurs d’asile peuvent quand même rester sur le territoire et obtenir des services, mais tant qu’Immigration Canada n’a pas statué sur la recevabilité d’une demande, ils n’ont pas accès au permis de travail délivré par le fédéral. « Mais la très grande majorité de mes clients veulent travailler et ne veulent pas de l’aide sociale, rapporte Me Valois. L’aide de dernier recours, ce n’est pas une solution à long terme. »