Le Livre vert sur la police tarde à être mis en oeuvre

Près d’un an après le dépôt du livre vert sur la réalité policière au Québec, les principales recommandations du rapport demeurent en veilleuse, et l’unique projet de loi qui en a découlé, paralysé à l’Assemblée nationale. Mais il n’y a pas de quoi perdre espoir, affirment ceux qui ont produit le document.
« Si les précédents gouvernements se sont confortés dans l’indifférence, le nôtre a plutôt choisi d’agir », lançait en décembre 2019 la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. Un an plus tard, en mai 2021, les membres du Comité consultatif sur la réalité policière (CCRP) déposaient un rapport de 500 pages, qui contenait 138 recommandations pour moderniser les services policiers au Québec.
Sitôt le rapport déposé, la ministre Guilbault en écartait les deux principales recommandations. « Pour l’instant, il n’y a rien qui va bouger à court, moyen terme », disait-elle au sujet de la refonte de la carte policière et de la révision du mandat de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).
L’élue a finalement présenté, le 8 décembre 2021, le projet de loi 18 « modifiant diverses dispositions en matière de sécurité publique et édictant la Loi visant à aider à retrouver des personnes disparues ». Cinq mois plus tard, le texte législatif en est resté là, à l’étape de présentation.
« Il faut qu’il soit appelé par le leader du gouvernement », a répondu l’attaché de presse de la ministre Guilbault, Louis-Julien Dufresne, quand Le Devoir lui a demandé pourquoi le projet de loi n’avait pas cheminé.
La Commission des institutions, chargée d’étudier le projet de loi 18, a siégé deux fois moins souvent que la Commission de la santé et des services sociaux, ou celle de la culture et de l’éducation, depuis janvier. Elle ne s’est, par exemple, pas réunie une seule fois en mars. M. Dufresne évoque néanmoins sa congestion. « Il y a beaucoup, beaucoup de projets de loi en ce moment. Il y a un embouteillage », a-t-il déclaré, non sans mentionner que « ce n’est pas uniquement par le projet de loi qu’on fait des avancées ».
Patience pour les disparues
Au dépôt du projet de loi 18, la ministre Guilbault avait évoqué les problèmes de communication qui ont nui à la recherche des sœurs Norah et de Romy Carpentier en juillet 2020 à Saint-Apollinaire. « Et avec ce qu’on met [dans le projet de loi], plus d’information va être disponible plus rapidement », avait-elle souligné.
D’ici à ce que le texte législatif devienne loi, le ministère de la Sécurité publique assure avoir agi pour répondre à une recommandation du livre vert voulant qu’une « unité de coordination consacrée aux disparitions » soit créée et maintenue à la Sûreté du Québec.
« Les détails seront annoncés en temps opportun », a écrit la relationniste Louise Quintin, en précisant que le plus récent budget « est venu confirmer l’augmentation significative du soutien aux efforts dans la coordination des recherches consacrés aux disparitions et aux enlèvements ».
Le coordonnateur du CCRP, Bernard Sévigny, prône quant à lui la patience avant l’arrivée de changements dans ce domaine. « Est-ce que j’ai à m’indigner à ce moment-ci parce qu’il y a une personne disparue et qu’on ne fait pas ce qu’on propose ? Je ne me rends pas là à ce moment-ci », dit-il. « On savait très bien que ça allait prendre quelques années. »
De « l’espoir » de changement
« Il y a de l’espoir ! » lance-t-il d’ailleurs en entrevue, lorsque Le Devoir lui demande quel bilan il fait de cet exercice, un an plus tard. À son avis, le seul dépôt du projet de loi 18 prouve que « la volonté est là », au gouvernement, de changer les choses. « Pour le reste, il faudrait bien que ça se fasse rapidement. Mais c’est le bout qu’on ne contrôle pas », dit-il.
M. Sévigny ajoute avoir déposé le rapport et être « passé à autre chose ». De l’extérieur, donc, il se garde de « porter un jugement » sur le travail effectué depuis le dépôt du livre vert, ne sachant pas si le ministère de la Sécurité publique a lancé des chantiers à l’interne.
Son ex-collègue Louis Côté dit quant à lui avoir « confiance [dans le fait] que les choses vont se produire ». Il souligne que les élections municipales à l’automne, puis la pandémie, ont pu retarder la mise en œuvre des recommandations. « Il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit réglé demain matin », dit-il par exemple au sujet de la refonte de la carte policière.
Le CCRP, dont il était membre à titre d’ex-officier de la Sûreté du Québec, recommandait de faire passer le nombre de corps policiers de 31 à 13. La proposition demandait d’être « documentée et chiffrée » et n’allait pas se concrétiser « à court terme », avait déclaré Mme Guilbault lors du dépôt du livre vert. Un an plus tard, le ministère de la Sécurité publique dit avoir l’intention de « poursuivre ces travaux sur un échéancier à plus long terme », a fait savoir la relationniste Louise Quintin.
Statu quo sur l’UPAC ?
Le livre vert sur la police recommandait aussi l’intégration de l’UPAC à une escouade spécialisée en cybercriminalité et en crimes économiques, pour mettre fin au travail en vase clos et favoriser la mise en commun d’expertises. À ce sujet, la réflexion « demeure la même », écrit Mme Quintin.
« Le gouvernement considère que [l’UPAC a] en main les outils nécessaires pour mener à bien sa mission. Il n’y a donc pas d’intention de modifier la forme actuelle de ce dernier présentement », écrit-elle.
Le directeur général de l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ), Didier Deramond, juge néanmoins que la ministre Guilbault n’a pas écarté la recommandation visant l’UPAC. « Elle nous a donné le feu vert pour travailler la question », assure-t-il.
L’ADPQ cherche à établir un partenariat avec des acteurs privés pour mieux lutter contre la cybercriminalité ou la fraude financière de haut niveau. Ce dossier « pas simple », qu’elle pilote de concert avec la Sûreté du Québec, est « une priorité », souligne M. Deramond. « Ça avance, je peux vous dire que ça avance », souligne-t-il, en précisant que ses équipes travaillent « dans l’ombre ».
Son association avait aussi réclamé la création d’un programme national pour protéger la santé mentale des policiers. Celle-ci s’est retrouvée dans le livre vert, qui a accordé, au total, sept recommandations au dossier de la santé mentale.
À ce jour, Québec a réservé 2,9 millions de dollars sur cinq ans pour « soutenir les policiers en détresse psychologique », confirme le ministère de la Sécurité publique.
Interpellations
Le CCRP avait en outre relevé l’importance de « colliger des données raciales » sur les personnes interpellées par les policiers. Le ministère dit y travailler et « soutenir financièrement » les corps de police qui souhaitent documenter leurs pratiques.
Le projet de loi 18 prévoyait d’ailleurs d’élargir le pouvoir de la ministre afin qu’elle puisse établir des lignes directrices « pour encadrer l’interpellation policière de manière plus rigoureuse », note Mme Quintin.
En août 2020, la ministre Guilbault a proposé des balises pour encadrer les interpellations policières — balises auxquelles les policiers n’étaient pas contraints de se conformer. Celles-ci, intégrées au Guide des pratiques policières, ont-elles bel et bien été appliquées par les corps policiers ? « Le [ministère] n’a pas de données précises à ce sujet », a répondu Mme Quintin.