En prison, la descente aux enfers

« Aucune femme ne peut vivre dans cet enfer pendant longtemps sans devenir folle », écrit Louise Henry dans Délivrez-nous de la prison Leclerc !. Le livre de cette ex-détenue aurait bien pu s’intituler, tout simplement, Délivrez-nous de la prison. Car comme l’indique Lucie Lemonde, professeure en sciences juridiques, en introduction à ce livre qui vient de paraître, « il est temps de voir la prison pour ce qu’elle est, c’est-à-dire tout sauf une solution ».
La prison Leclerc était à l’origine un pénitencier pour hommes purgeant des peines de longue durée. Situé à Laval, il a été fermé par le gouvernement fédéral pour cause de vétusté. Pourtant, l’État québécois a décidé de l’utiliser pour incarcérer des femmes purgeant une courte peine. « Le Conseil du trésor du Québec compte faire des économies de 7,6 millions de dollars en transférant les femmes de [la prison] Tanguay à Leclerc », rappelle Louise Henry.
En entrevue au Devoir, elle constate que bien de l’argent a été mis dans ces lieux ces dernières années en pure perte. La situation globale des femmes ne s’y est guère améliorée. « Je veux que le gouvernement bouge, qu’il fasse preuve d’humanité. Les hommes ont été sortis de là. Mais ce serait un lieu acceptable pour des femmes ? Est-ce que ça a du bon sens de mettre dans des lieux pareils, conçus pour les longues peines pour hommes, des femmes qui ont des condamnations de quelques mois, des femmes qui ne sont pas dangereuses ? Voyons, il faut que ça arrête ! »
Les conditions en prison
En 2012, le transfert des prisonnières de la prison Tanguay à Leclerc devait être temporaire, « le temps de trouver une solution pour loger 150 à 200 femmes aux prises avec la justice pour des crimes mineurs ou, dans 62 % des cas, pour non-respect de conditions ». Les femmes ont été transférées là-bas en 2016. Six ans plus tard, elles y sont toujours. « C’est du temporaire qui commence à être long ! » lance Louise Henry, en rappelant que « le fédéral trouve que l’établissement Leclerc n’est pas assez bien pour les hommes, mais le provincial, lui, le juge assez bien pour les femmes ».
Louise Henry ne nie pas avoir fait des erreurs. Comptable, elle a mis les doigts dans le plat de bonbons… Elle se demande par contre comment l’incarcération qu’elle et d’autres femmes subissent est susceptible de les aider à devenir meilleures.
Souvent, les femmes qui sont derrière les barreaux « ont des troubles psychologiques qui remontent à l’enfance », a-t-elle observé derrière les barbelés. Plusieurs ont des « problèmes de consommation » qui les ont « conduites à la prostitution et à la dépendance ». D’autres connaissent des « difficultés familiales » majeures. « Beaucoup sont des mères dans le besoin. » Elle évoque le cas d’une septuagénaire dont les malheurs ne font que s’aggraver en prison. Et puis, il y a les femmes autochtones, surreprésentées derrière les barreaux, plus souvent fouillées que les autres parce que constamment déplacées et malmenées. Louise Henry évoque à ce titre le cas d’une Autochtone laissée en sevrage accompagnée d’une autre détenue avec qui, à l’évidence, il n’y a « aucune compatibilité possible », avec les éclats que l’on devine.
Normal ?
À l’Assemblée nationale, à la suite de la lecture en chambre d’une lettre de sœur Marguerite Rivard, une bénévole de très longue date auprès des prisonnières, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a affirmé que « c’est normal que la détention soit difficile ». Louise Henry n’en est pas revenue. « Venez donc passer une fin de semaine avec nous, Mme Guilbault ! On va voir si vous trouvez ça “normal” de vous laver les cheveux avec des drosophiles qui vous tournent autour de la tête », avec de petits vers blancs à vos pieds, de « vous faire traiter de “poubelle” par les gardiens », de vivre avec des rongeurs, de ne pas avoir « d’eau potable à votre portée ». L’invitation lancée par Louise Henry est valable pour l’été, tandis qu’« il n’y a pas de moustiquaire aux fenêtres et où la chaleur est terrible », ou encore l’hiver, alors que le « chauffage est déficient ». Dans cet univers, indique Louise Henry plus d’une fois, « la violence verbale est affolante », et même les soins de santé élémentaires ne sont pas pris au sérieux par le personnel.
Louise Henry, fin de la cinquantaine, volubile, énergique, a été condamnée pour fraude et blanchiment d’argent. Elle travaillait comme comptable. Dans Délivrez-nous de la prison Leclerc !, elle raconte les fouilles à nu, les menottes, la vie derrière les barbelés, les grilles qui s’ouvrent et se referment, la difficulté à obtenir les médicaments dont on a pourtant besoin. « Les femmes doivent sortir de là et, en attendant, il faut au moins qu’elles puissent recevoir des soins de santé, que le système médical fonctionne », dit-elle en entrevue.
Une cellule de trois mètres par sept, avec une toilette dans un coin, pour loger une douzaine de détenues ? Oui, cela existe, dit-elle. Les fouilles à nu sur ces femmes sont régulières. « Comme la majorité d’entre elles ont subi, au cours de leur vie, des violences sexuelles, physiques ou psychologiques, ces fouilles sont souvent vécues comme une agression et une humiliation supplémentaires », précise Lucie Lemonde en présentation. Les automutilations répétées et les tentatives de suicide sont évaluées à une trentaine par année, en ces lieux où souvent rien ne filtre, d’autant plus que les communications téléphoniques vers l’extérieur sont bridées. Et les visites souvent suspendues, faute de personnel.
L’isolement total, la mise au trou, est en principe interdit ? Pourtant cela continue, soutient Louise Henry. Elle raconte le cas d’une femme élégante menottée, aux mains et aux chevilles, par pas moins de six gardiens, qui l’affublent en plus d’« un genre de cache-cou qui remonte jusqu’au nez » pour l’empêcher de cracher au visage de ses geôliers.
Un traumatisme de plus
La société a-t-elle besoin de descendre si bas, se demande Louise Henry, pour se protéger de femmes condamnées pour des fautes mineures ? « Il n’y a pas de “Monica la mitraille” dans cette prison ! » Plutôt des prostituées, des droguées, des ivrognes, des vendeuses de drogue, des petites voleuses, des femmes sur le retour d’âge, des aînées, des éclopées de la vie qui vont plus vite à la mort que les autres parce que la société les met de côté. « Il n’y a pas d’aide ! » Jeudi matin, elle est allée chercher Marie Soleil, une jeune fille qui sortait de Leclerc. « Elle n’a pas de famille. Personne n’est là pour l’aider. On la relâche… Qu’est-ce qui va lui arriver, vous pensez ? » Louise Henry a décidé d’être là pour Marie Soleil comme pour d’autres ex-détenues. Elle entend consacrer les années qui lui restent à militer pour améliorer les conditions de vie de ces femmes.
« Nous priver de liberté, c’est une chose. Nous faire vivre psychologiquement une telle descente aux enfers, c’en est une autre. Je me sens comme un déchet de la société. Personne ne mérite d’être traité comme ça, peu importe le crime commis. Nous sommes des êtres humains, après tout ! »