Justice - Les nouvelles règles sur les blâmes sont bien accueillies

Le Conseil canadien de la magistrature a pris «une sage décision» en modifiant ses règles pour éviter d'embarrasser les magistrats en plein procès comme cela a été le cas il y a deux semaines avec le juge Jean-Guy Boilard, soutient le bâtonnier du Québec, Me Pierre G. Leduc.

Le magistrat connu pour son franc-parler avait appris de la bouche d'une journaliste qu'il était réprimandé par un comité du Conseil. Jugeant que son «autorité morale» était entachée, il s'était par la suite estimé incapable de mener à bien le mégaprocès des 17 motards entamé en janvier dernier.

Son successeur désigné, le juge Pierre Béliveau a préféré jeter l'éponge — forçant la tenue d'un nouveau procès — plutôt que de poursuivre la présentation de la preuve.

L'avortement des procédures — qui ont coûté près de 2,5 millions en pure perte — a dominé le débat lors de la réunion annuelle du Conseil qui se tenait dimanche à London (Ontario). Dans une entrevue publiée hier par le Globe and Mail, le juge en chef du Manitoba Richard Scott, qui préside le comité de déontologie judiciaire du Conseil, a reconnu que plusieurs juges avaient été choqués de voir leur confrère Boilard placé devant un fait accompli.

Selon M. Scott, la grogne a atteint son apogée lors d'une rencontre au cours de laquelle le juge Boilard a longuement été interrogé par un groupe de juges en chef de la Cour supérieure. En réponse aux préoccupations de ses membres, l'organisme qui rassemble les juges canadiens a aussitôt annoncé des modifications à sa façon de traiter les plaintes.

Dorénavant, la divulgation d'un blâme pourra être repoussée à plus tard pour éviter de nuire à l'administration de la justice. Le juge en chef de la cour concernée sera informé à l'avance si un ou une de ses juges est sur le point d'être blâmé. «Si ce blâme peut avoir une influence sur la conduite de la justice, le juge en chef pourra alors intervenir en demandant que la divulgation du blâme soit reportée à plus tard», a expliqué M. Scott.

Jusqu'à maintenant, les décisions du comité étaient transmises aux parties dès que possible, sans égard aux conséquences. Les juges en chef n'étaient prévenus qu'exceptionnellement, dans les cas les plus médiatisés. Étonnamment, cela n'a pas été fait pour le juge Boilard.

Une procédure controversée

La procédure de plainte du conseil a toujours été une question controversée aux yeux des juges. Toutefois, selon Me Leduc, la nouvelle façon de faire adoptée par l'organisme devrait bien servir la justice et le public. «Le juge en chef connaît bien ses juges et ses dossiers», souligne-t-il. «Dans le cas du Québec, Mme Lyse Lemieux y aurait sans doute pensé à deux fois avant de mettre en danger un procès comme celui des Hells.»

À son avis, le fait de retarder la divulgation d'un blâme ne minera pas la confiance du public envers le système judiciaire. «Dans les cas où il y aura une urgence — si un juge souffre de maladie mentale, par exemple — le juge en chef rendra sans doute le blâme public sur-le-champ, en plus de relever le juge de ses fonctions», croit-il. «En ce sens, rien n'a changé.»

En outre, le bâtonnier affirme que la nouvelle procédure ne fournira «pas vraiment» d'arguments aux avocats désireux d'en appeler d'une décision rendue par un juge ayant été l'objet d'un blâme «retardé». «Je fais confiance à la défense pour trouver des motifs d'appel. Dans ce domaine, les avocats sont très imaginatifs», reconnaît-il volontiers. «Mais si le juge n'a rien à se reprocher dans la cause qui les occupe, si le blâme n'a rien à voir avec la décision qu'il a rendue, ils seront déboutés par les cours supérieures.»

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