Des arnaques plus fréquentes sur fond de crise du logement

Les fraudeurs profitent de plus en plus de la crise du logement pour s’en mettre plein les poches, au moment où les escroqueries rapportées à la grandeur du pays sont en augmentation. Au Québec, des locataires de plusieurs régions font part d’un modus operandi similaire qui a fait perdre à certains des sommes importantes.

Julie Héon, une résidente de Val-Bélair, dans la ville de Québec, a appris au cours des derniers mois qu’elle devait déménager de son logement à loyer modique où elle habitait depuis huit ans parce que celui-ci était désormais jugé trop grand pour ses besoins par l’Office municipal d’habitation de Québec, a-t-elle raconté au Devoir. La dame, qui partage son logement avec sa fille, quelques proches et une chienne, a alors commencé à chercher sur les réseaux sociaux un logement de grande taille qui accepte les animaux.

Dans le contexte du marché locatif actuel, où les logements familiaux à un prix abordable se font de plus en plus rares un peu partout dans la province, les recherches de Mme Héon ont été longues et fastidieuses. « C’était très difficile », se remémore la locataire, qui craignait de ne rien trouver d’ici au 1er juillet.

La dame a finalement eu vent, par l’entremise d’une internaute, d’une maison à louer pour 1300 $ par mois à Val-Bélair « par son oncle ». C’est là que l’arnaque commence.

Le prétendu propriétaire de cette demeure se trouvant alors en Californie, il informe par courriel Mme Héon que c’est son fils qui s’occupera de lui faire visiter cette maison. Or, pour éviter que celui-ci, qui demeure à Rimouski, ne se déplace en vain, le prétendu propriétaire réclame un dépôt d’un mois de loyer à titre de caution en prévision de la visite des lieux. Après une valse-hésitation, Mme Héon accepte d’effectuer un virement bancaire à celui qu’elle croit alors être le propriétaire de cette maison.

« J’étais dans le désarroi, dans le trouble », se remémore Mme Héon, qui était ainsi prête à prendre des risques pour trouver un logement répondant à ses besoins.

La dame commence toutefois à se poser des questions lorsque le propriétaire lui demande de reporter au lendemain le moment de la visite des lieux en plus de lui demander le dépôt d’un deuxième mois de loyer, ce qu’elle refuse de lui donner. Julie Héon décide plutôt de se rendre à ladite maison, où elle apprend alors de la part de sa réelle propriétaire que celle-ci n’est pas à louer, mais à vendre, par le biais d’un courtier immobilier. Mme Héon a déposé le 12 avril une plainte au Service de police de la Ville de Québec, que nous avons pu consulter. Elle doute toutefois de revoir un jour la couleur de son argent.

« Ce n’est pas drôle de rire du monde de même, qui est en désarroi avec la COVID, en plus du fait qu’on manque d’argent, qu’on ne peut pas trouver d’appartements qui acceptent des animaux. C’est inhumain », déplore Mme Héon, qui a finalement trouvé un logement de taille suffisante en sous-location à Loretteville.

Des annonces « alléchantes »

Des locataires de plusieurs régions ont d’ailleurs confié au Devoir avoir été témoins de ce type d’arnaques, qui ont en commun une mécanique similaire. Un prétendu propriétaire, qui affirme se trouver à l’étranger ou dans une autre province, propose un logement à louer à un prix intéressant et exige le paiement d’un mois de loyer sous forme de virement bancaire avant de faire visiter les lieux par un proche.

« Ce sont vraiment des annonces alléchantes », constate Vicky Nolet, qui dit avoir fait face à quatre tentatives de fraude en l’espace d’un mois dans sa quête d’un logement à Saint-Jérôme. Heureusement, elle a réussi à déjouer ces escroqueries, qui prennent forme un peu partout dans la province.

« C’est certain qu’il y a des gens qui se sont fait prendre par ces histoires-là », raconte Katy Pageau, qui cherchait une maison dans les environs de Saint-André-de-Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent. À deux reprises, elle s’est fait approcher par des fraudeurs qui réclamaient un mois de loyer par virement bancaire avant la visite de leur prétendu logement. Une résidente de Longueuil, Andrée Bertrand, a aussi fait part d’une arnaque similaire à laquelle a failli succomber son fils. Le logement, qui était affiché à bon marché dans la ville de la Rive-Sud montréalaise, n’était pas réellement à louer, a-t-elle constaté.

Des fraudes payantes

La tendance est d’ailleurs lourde : à l’échelle du pays, les cas de fraude liés au logement et le total des montants volés sont en hausse depuis quelques années, selon des données fournies par le Centre antifraude du Canada. En 2017, l’organisme rapportait 293 victimes de ce type de fraude au pays, pour un montant total perdu d’environ 474 000 $. L’an dernier, ce sont plutôt 509 victimes qui ont perdu, ensemble, plus de 862 000 $, soit en moyenne plus de 1690 $ par personne fraudée.

« C’est un phénomène que je vois de plus en plus, que je voyais moins avant, et c’est malheureusement dû à la pénurie de logements », souligne une coordonnatrice de l’organisme Action-Logement Lanaudière, Amélie Pelland, qui a reçu des plaintes de plusieurs locataires ces derniers mois au sujet de potentielles arnaques. En entrevue, elle rappelle l’importance de ne jamais payer un mois de loyer avant d’avoir visité un logement en personne et signé un bail.

Or, « les locataires, les requérants de logements sont tellement aux abois, en particulier les ménages avec des enfants, que dès qu’ils trouvent une bonne occasion, ils vont se prêter à ces arnaques-là », souligne le coordonnateur de l’organisme Logemen’occupe, à Gatineau, François Roy.

Les fraudeurs, constate-t-il, « profitent du marché » et du « désarroi des locataires » dans cette ville de l’Outaouais où le taux d’inoccupation des logements locatifs a chuté à 0,4 % l’an dernier, selon le dernier rapport annuel de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

« Les arnaqueurs profitent de la détresse des gens », résume Mme Pelland.

À voir en vidéo