Airbnb au coeur de reprises de logement, malgré la pandémie
Malgré la chute du tourisme dans le contexte de la pandémie, des dizaines de décisions concernant des reprises de possession en lien avec des locations à court terme sur la plateforme Airbnb ont été rendues dans la dernière année par le Tribunal administratif du logement (TAL). Signe d’un phénomène qui persiste et affecte autant des locataires que des propriétaires.
Le Devoir a épluché les 45 décisions du TAL qui comprennent les termes « reprise » et « Airbnb » ayant été mises en ligne sur le site de la Société québécoise d’information juridique entre la fin mars 2021 et la fin mars 2022. Leur nombre a d’ailleurs continué d’augmenter dans les dernières années, malgré la crise sanitaire. Le TAL associe entre autres cette situation à ses « activités de sensibilisation accrues » auprès de la population.
« Mieux les citoyens sont informés de leurs droits, plus ils sont à même de les exercer », indique par courriel un porte-parole du Tribunal, Denis Miron. L’avocat en droit du logement Manuel Johnson note toutefois que ces décisions ne représentent que « la pointe de l’iceberg », puisque de nombreuses reprises de logement ne se rendent jamais devant les tribunaux.
Les jugements que nous avons consultés portent notamment sur des locataires qui se sont fait évincer de leur logement afin que celui-ci se retrouve sur Airbnb, tandis que d’autres ont été punis par le TAL pour avoir sous-loué sans autorisation leur appartement sur cette plateforme de location à court terme.
Du lot, on compte Christian. Le Montréalais, qui a demandé au Devoir de taire son nom de famille pour protéger sa vie privée, a obtenu plus de 25 000 $ de la part du Tribunal en février dernier après avoir dénoncé une éviction frauduleuse.
Le locataire avait d’abord accepté en août 2019 de quitter son appartement de la rue Saint-Jacques, dans le Vieux-Montréal, à la demande de la propriétaire qui affirmait vouloir emménager à cet endroit. « Il a eu tôt fait, toutefois, de se rendre compte qu’une fois le logis libéré, celui-là était rénové, comme il s’y attendait, puis reloué pour de courts séjours sur la plateforme d’hébergement touristique Airbnb », mentionne la décision d’une dizaine de pages.
Le locataire a ainsi réussi à convaincre le Tribunal qu’il a été victime d’une éviction obtenue de mauvaise foi, ce qui lui a permis d’obtenir une généreuse compensation financière. Cette somme demeure toutefois négligeable en comparaison à l’augmentation des profits de location de la propriétaire, qui propose désormais ce logement aux touristes de passage à un tarif quotidien de plusieurs centaines de dollars, relève l’avocat du locataire, Daniel Crespo-Villarreal.
Les montants octroyés dans cette affaire n’accomplissent donc pas « leur fonction dissuasive », évoque l’avocat, qui estime que le TAL devrait « rembourser la totalité des profits qui ont été réalisés » par la propriétaire grâce à cette éviction. Une autre avenue possible serait d’accorder un pourcentage de la valeur de la propriété au locataire évincé, ajoute-t-il. « Ça m’apparaît un critère objectif. »
Le locataire, pour sa part, débourse désormais 1500 $ de plus par mois pour un logement d’une taille légèrement plus grande que son précédent appartement, dont le loyer mensuel était de 1750 $. « J’ai trouvé un appartement semblable, mais tout de même beaucoup plus dispendieux », souligne Christian, qui garde « un goût amer » de cette bataille judiciaire.
Dissuasion
Dans une décision similaire rendue le 25 octobre dernier, une locataire de Montréal a obtenu 13 600 $ à titre de dédommagement après avoir été évincée en 2019 sous un faux prétexte. Le propriétaire avait alors dit vouloir récupérer ce logement pour y loger sa mère et son père. Or, il a plutôt « tiré profit du départ de la locataire » en louant cet appartement sur la plateforme Airbnb, où il était toujours affiché au moment où cette décision a été rendue.
Dans les dernières années, le gouvernement du Québec a revu l’encadrement concernant l’hébergement touristique. Il faut désormais obtenir un numéro d’enregistrement afin de pouvoir louer pour de courts séjours sa résidence principale sur des plateformes comme Airbnb. Une attestation de la Corporation de l’industrie touristique du Québec est en outre requise lorsqu’il s’agit d’une résidence secondaire. À Montréal, plusieurs arrondissements ont également limité les zones où les logements de type Airbnb sont permis.
Les inspecteurs déployés sur le terrain sont toutefois peu nombreux, estime Me Johnson. « Même avec les nouvelles règles qu’ils ont mises en place pour encadrer Airbnb, je pense qu’ils n’ont toujours pas assez d’effectifs pour vérifier ça », relève l’avocat, qui compare cette situation au manque d’agents pour assurer la salubrité des logements dans la métropole.
Joint par Le Devoir, le ministère du Tourisme a souligné que la nouvelle Loi sur l’hébergement touristique, dont l’entrée en vigueur officielle est prévue « au cours des prochains mois », prévoit « des amendes plus élevées que celles actuellement en vigueur ainsi que des pouvoirs accrus aux municipalités quant aux demandes de suspension et d’annulation d’un enregistrement d’un établissement d’hébergement touristique ». Les villes disposent d’ailleurs déjà de pouvoirs suffisants pour « limiter », voire « interdire », ce type d’hébergement de courte durée sur leur territoire, note le ministère.
Des locataires fautifs
Plusieurs des jugements rendus dans la période d’un an analysée par Le Devoir portaient d’autre part sur des locataires ayant sous-loué leur logement sur Airbnb sans avoir obtenu l’autorisation de leur propriétaire, ce qui est illégal. Plusieurs d’entre eux ont ainsi été expulsés au terme de démarches entamées devant le TAL par des propriétaires.
« Quand des locataires font ça, ça entraîne de gros inconvénients pour les propriétaires », qui risquent de se retrouver avec des logements insalubres et des nuisances sonores, rappelle le directeur général de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Benoit Ste-Marie. « Il faudrait que ce soit pris beaucoup plus au sérieux », insiste M. Ste-Marie.
« Les locataires qui sous-louent un logement sans détenir d’attestation de classification effectuent de l’hébergement touristique illégal, et les efforts pour contrer la problématique sont soutenus », assure le ministère du Tourisme, qui rappelle que les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant aller à 25 000 $ pour une personne physique et à 50 000 $ pour une entreprise.
Avec Isabelle Porter