Une cible ratée et toujours peu d’amendes pour l’insalubrité à Montréal

L’administration de Valérie Plante, qui a fait de la lutte contre l’insalubrité des logements un de ses chevaux de bataille dans le secteur de l’habitation, a raté sa cible en matière d’inspections, tandis qu’à peine quelques dizaines de constats d’infraction par année ont été remis à une poignée de propriétaires pour des « cas lourds » d’appartements en piètre état dans la métropole.
Le Devoir a obtenu le bilan des inspections en matière d’insalubrité de logements réalisées par le Service de l’habitation de la Ville de Montréal au cours des trois dernières années ainsi que des trois premiers mois de l’année en cours. Ses inspecteurs traitent les « cas lourds » en matière de propreté et d’entretien de logements qui lui sont transmis par les arrondissements, a rappelé mardi en entrevue le responsable de l’habitation au comité exécutif, Benoit Dorais. Il s’agit généralement d’immeubles comportant des dizaines de logements locatifs qui présentent divers problèmes, comme la présence de moisissures, de vermines ou de débris reliés à des travaux inachevés.
Après une hausse des inspections réalisées par ce service entre 2018 et 2019, leur nombre a chuté de plus de moitié en 2020, dans le contexte de la pandémie, pour s’élever à 1298. Et il a continué de baisser en 2021, pour atteindre 1227 logements inspectés, selon les données fournies par la Ville. Les arrondissements ont pour leur part effectué environ 1000 inspections de moins en 2020 que l’année précédente, a indiqué M. Dorais.
L’élu de Projet Montréal explique cette baisse par la pandémie, qui a limité la possibilité de déployer plusieurs inspecteurs pour visiter plusieurs logements insalubres dans un même immeuble, pour des raisons sanitaires.
Cible ratée
Ainsi, la Ville n’a pu atteindre son objectif de réaliser 31 200 inspections entre 2018 et 2021, comme cela est inscrit dans un plan d’action datant du début du premier mandat de la mairesse Valérie Plante, a confirmé M. Dorais. « À compter de juin, on sera capables d’être vraiment sur le mode rattrapage », a-t-il toutefois assuré.
Les locataires ont aussi été moins nombreux à signaler des cas d’insalubrité dans les dernières années, a relevé la Ville par courriel. En entrevue, plusieurs organisateurs communautaires de comités de logement de Montréal ont associé cette situation au manque criant de logements abordables dans la métropole.
« Les gens sont très craintifs. Ils ne veulent pas perdre leur toit, donc ils ne veulent pas en parler […] Ils ne devraient pas accepter leurs conditions d’insalubrité, mais ils le font quand même », de peur de perdre leur logement, explique notamment Gaétan Roberge, du Comité logement Ville-Marie.
Ce ne sont d’ailleurs qu’un mince fragment de ces inspections qui mènent à la remise de constats d’infraction. À peine 17 amendes ont été remises en 2019, totalisant 13 800 $. Ce montant a grimpé à 37 500 $ en 2020 et à 66 075 $ l’an dernier, dans un contexte pandémique où la Ville s’est concentrée sur les cas d’insalubrité les plus « urgents », pour lesquels des sanctions plus élevées s’appliquent.
Le nombre de constats remis annuellement ne dépasse pas quelques dizaines, et le montant moyen de ceux-ci a oscillé entre 681 $ et 1500 $ au cours des trois dernières années. Des sommes dérisoires pour de grands propriétaires qui reçoivent plusieurs constats d’infraction sans pour autant changer leurs comportements, ont déploré plusieurs organismes au Devoir.
« Ça donne l’impression qu’il n’y a pas d’espoir pour les locataires » qui demeurent dans des logements insalubres, dit l’organisatrice communautaire de Projet Genèse dans le quartier Côte-des-Neiges, Darby MacDonald. Selon elle, le montant des amendes données, « ce n’est vraiment rien » pour bien des propriétaires.
« Dans la majorité des cas, l’insalubrité, elle est causée par le comportement des locataires et non pas à cause de l’immeuble », a rétorqué mardi le directeur général de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Benoit Ste-Marie, qui voit là « une des raisons » pour lesquelles peu de constats sont délivrés par les inspecteurs de la Ville.
Aucune inspection menée au cours des trois dernières années par le Service de l’habitation n’a mené « à l’évacuation de logements devant être condamnés en raison de leur désuétude », a indiqué la Ville par courriel. Une trentaine d’avis de détérioration ont toutefois été envoyés à des propriétaires l’an dernier, a relevé M. Dorais.
«Avec seulement 44 constats d’infraction dans un parc immobilier en ruine en 2021, l’administration ne répond manifestement pas aux besoins des Montréalais », a pour sa part indiqué par écrit le porte-parole d’Ensemble Montréal en matière de lutte contre la pauvreté et l’itinérance, Benoît Langevin, qui estime que les données obtenues par Le Devoir « démontrent l’échec de l’administration de Projet Montréal en matière de lutte contre l’insalubrité ».
Lourdeur judiciaire
D’ailleurs, actuellement, dès qu’un constat d’infraction pour insalubrité est contesté devant la Cour municipale, les mesures prises par la Ville pour sécuriser le logement concerné doivent être mises sur pause jusqu’à ce qu’un jugement soit rendu, souvent un an plus tard. Et souvent, ces amendes sont annulées par des juges, reconnaît M. Dorais.
« En ce moment, ça ne marche pas », lâche l’élu, qui compte « travailler avec la Cour municipale » afin que la Ville soit en mesure de donner des amendes à répétition aux propriétaires qui tardent à régler un problème d’insalubrité dans un logement.
Jacynthe Morin, du Comité logement de Montréal-Nord, montre pour sa part du doigt le manque d’inspecteurs au Service d’habitation de la Ville. Ils sont une quinzaine actuellement, malgré une augmentation des cas dans les dernières années, a confirmé M. Dorais.
« On a un bon règlement à Montréal, mais encore faut-il le faire appliquer. Il y a manifestement un manque de ressources », estime l’organisatrice communautaire. Un problème que reconnaît Benoit Dorais, qui évoque une possible augmentation des effectifs, notamment afin de faire respecter la future certification pour « propriétaire responsable » de la Ville, qui fera l’objet d’une consultation publique la semaine prochaine.