Un organisme pour femmes en difficulté menacé de fermeture à Saint-Jérôme

La Maison de Sophia, qui héberge des femmes en difficulté à Saint-Jérôme, est sur le point de mettre la clé sous la porte, après avoir perdu 100 % de son financement, octroyé par le CISSS. Mais les responsables refusent de baisser les bras et multiplient les démarches pour sauver l’organisme.

Leurs efforts ont porté leurs fruits — en partie —, car elles viennent d’obtenir in extremis un sursis de l’Office municipal d’habitation de Saint-Jérôme pour rester dans les quatre logements qu’elles devaient quitter en juin. C’est un immense obstacle de surmonté, mais sans financement, à moins d’un miracle, qu’elles espèrent toujours, elles devront néanmoins se résoudre à annoncer à leurs neuf résidentes qu’elles n’ont plus de toit. Encore une fois.

Annie, 40 ans, a eu un parcours de vie difficile : violence conjugale, séjours en psychiatrie, drogue, itinérance… Ces dernières années, elle s’est souvent sentie « lancée comme une balle dans le système ».

Mais depuis un an, elle bénéficie d’un véritable répit à la Maison de Sophia, où elle est logée, nourrie et accompagnée. Cette pause lui a permis de reprendre pied. Elle a repris ses études pour terminer sa Ve secondaire dans l’espoir de devenir travailleuse de rue. Elle est en attente pour obtenir un supplément au loyer, qui lui permettra — si elle est admissible — de se reloger. Surtout, sa situation lui offre assez de stabilité pour que le tribunal lui permette de voir ses enfants.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir De gauche à droite, Jessica, Lou-Ann, et Nathalie.

Aujourd’hui, Annie se sent impuissante. « Si la Maison de Sophia ferme, je repars à zéro », se désole-t-elle. Elle a peur de « retomber », de se retrouver encore à la rue, de perdre à nouveau le droit de voir ses enfants faute de stabilité. « J’ai bûché fort pour me sortir de ça. Mais j’ai l’impression qu’on ne me laisse pas beaucoup de chances de réintégrer la société. »

Sa colocataire d’infortune, Nathalie, a elle aussi connu son lot de difficultés. Après une agression sexuelle l’an passé, elle a dû quitter en catastrophe la maison qu’elle louait. « Les logements sont durs à trouver, je n’avais pas de place où rester, je suis retombée dans la drogue », confie la femme de 51 ans. En sortant de thérapie, en janvier dernier, elle a trouvé une place à la Maison de Sophia. « J’en braille encore tellement je suis heureuse d’être ici. »

Depuis son arrivée, elle a reçu de l’aide pour transformer ses contraventions impayées en travaux communautaires, qui lui donnent un sentiment d’accomplissement. Elle a entamé des démarches pour trouver un nouveau logement, en HLM ou avec une subvention au logement.

Son intervenante était là aussi pour la soutenir lorsque le procureur lui a annoncé récemment qu’il n’y avait pas assez de preuves pour porter des accusations criminelles contre son agresseur. « J’ai braillé, j’ai crié après le procureur. Si [l’intervenante] n’avait pas été là, c’est sûr que je serais retombée avec cette nouvelle-là. J’en parle, là, et je viens le cœur gros », raconte-t-elle, visiblement submergée par les émotions. « Faut pas que ça ferme », lance-t-elle dans un ultime cri du cœur.

Une promesse

 

Dans la petite cour voisine, Noémie, 26 ans, et Jessica, 30 ans, s’improvisent un petit pique-nique sous le soleil d’avril. Elles aussi ont des parcours de vie difficile, des problèmes de santé physique et mentale. Elles vivent de l’anxiété depuis qu’elles ont appris que la Maison de Sophia risque de fermer, mais elles font confiance aux intervenantes, qui leur répètent qu’elles vont tout faire pour continuer à leur offrir un toit. « C’est la première fois que quelqu’un se bat pour moi… », affirme Jessica, tout émue.

Et c’est en effet pour elles que l’équipe de la Maison de Sophia se bat. « Je ne peux pas me résigner à laisser ces femmes à la rue, lance avec conviction Alexandra Soumain, présidente bénévole du conseil d’administration. Je suis prête à faire une grève de la faim, à faire une chaîne humaine, à faire des sit-in. Mais moi, j’ai promis à une petite fille… »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le CISSS des Laurentides a supprimé le financement de la Maison de Sophia, qui roulait l’an dernier sur un budget d’environ 230 000 $.

La voix de Mme Soumain se casse alors qu’elle revient sur cette promesse faite à la fille d’Annie. « La dernière fois que je l’ai vue, elle m’a demandé : « Penses-tu que je vais continuer à pouvoir voir ma maman ? » Je lui ai promis que oui, parce que je ne pouvais pas lui dire le contraire… Je ne peux juste pas abandonner, vous comprenez ? »

Alors, elle multiplie les appels à l’aide, contestant les décisions, interpellant les élus municipaux et provinciaux pour gagner du temps. La ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, est intervenue directement auprès de l’Office municipal de Saint-Jérôme pour éviter l’expulsion de la Maison de Sophia, qui était prévue pour la fin juin et renouveler le bail pour douze mois.

« C’est un soulagement — temporaire — pour nous, mais malheureusement, sans engagement de l’État à nous financer adéquatement, nous restons à risque de fermer dans les prochaines semaines », répond Alexandra Soumain.

« Choix déchirants »

Car à la base, son plus gros problème, c’est que le CISSS des Laurentides a supprimé le financement de la Maison de Sophia, qui roulait l’an dernier sur un budget d’environ 230 000 $.

« Disposant d’un budget de 3 329 105 $ et ayant reçu plus de 30 projets représentant près de 13 000 000 $ de demande, un nombre restreint de propositions ont été sélectionnées par le comité d’attribution. Malheureusement, malgré sa pertinence, votre projet n’a pas été retenu », explique le CISSS dans un courriel envoyé à l’organisme le 25 mars.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Une des résidentes, Lou-Ann, s'occupe des plantes.

Questionné par Le Devoir, le CISSS parle de « choix déchirants », ajoutant qu’il aurait été « souhaitable » d’avoir les moyens « d’accorder le financement demandé par l’ensemble des organismes demandeurs ».

Mais où se retrouveront Annie, Nathalie, Noémie, Jessica, Lou-Ann et les autres femmes de la Maison de Sophia si celle-ci ferme ? « Le CISSS a offert son soutien à l’organisme advenant ce besoin », peut-on lire dans la réponse envoyée par courriel.

Or, selon Mme Soumain, les autres ressources d’hébergement de la région débordent, une information que le CISSS n’est pas en mesure de valider, puisqu’un dénombrement des besoins et des ressources est en cours.

Et bien qu’elle reconnaisse toute l’importance des ressources d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale, qui bénéficient d’un plus grand soutien financier ces jours-ci, Alexandra Soumain dénonce le peu d’aide accordé à celles qui, malgré les années, restent marquées par cette violence, comme c’est le cas pour plusieurs des résidentes de la Maison de Sophia. Un avis partagé par Annie, qui lance d'un ton découragé: «C'est comme si on me disait: retourne te faire taper sur la gueule et on va t'aider.»

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