Des fondations s’unissent pour combattre la pauvreté

Catherine Couturier
Collaboration spéciale
Un homme en situation d'itinérance près de la place Émilie-Gamelin, en plein cœur de Montréal
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Un homme en situation d'itinérance près de la place Émilie-Gamelin, en plein cœur de Montréal

Ce texte fait partie du cahier spécial Philanthropie

Dans le but de ne plus travailler en vase clos, Centraide du Grand Montréal et ses partenaires ont lancé une grande initiative pour s’attaquer aux effets comme aux causes de la pauvreté à Montréal.

« C’est une petite révolution », affirme Rotem Ayalon, directrice adjointe du Projet impact collectif (PIC). Lancé en 2015 à l’initiative de Centraide du Grand Montréal et de la Fondation Lucie et André Chagnon, le projet rassemble neuf fondations.

« La réflexion, c’était de voir comment on pouvait, au-delà des efforts individuels, se mettre collectivement au travail pour s’attaquer aux problèmes », dit Claude Pinard, président-directeur général de Centraide du Grand Montréal, l’organisation qui agit comme opérateur du PIC. L’ensemble des fondations ont mis sur la table 23 millions de dollars sur six ans.

Trois partenaires stratégiques collaborent par ailleurs au projet, soit la Ville de Montréal, la Direction régionale de santé publique de Montréal et la Coalition montréalaise des tables de quartier. « C’est une collaboration inédite, par le type de travail qui a été fait, l’étendue des partenaires autour de la table, les montants investis, mais aussi parce qu’on invitait les quartiers à expérimenter, à innover, pour accélérer le changement », souligne M. Pinard.

Une approche ascendante

 

Contrairement aux approches morcelées, par lesquelles chaque fondation finance un projet ou un autre, le PIC voulait favoriser une vision commune et une cohérence pour lutter contre la pauvreté. « Nous voulions nous assurer que tous les acteurs travaillent de façon concertée, et non pas en vase clos, pour augmenter l’impact du travail de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale », indique Mme Ayalon.

Dans une véritable approche « bottom up », la vision adoptée remet en question les relations de pouvoir traditionnelles : « Les fondations trouvent leur pertinence lorsqu’elles participent aux solutions, sans s’attendre à ce que leur impact soit entièrement sur les épaules des organismes communautaires », croit M. Pinard.

Mais surtout, ce sont les quartiers qui définissaient leurs priorités d’actions et leurs stratégies. « Certains quartiers souhaitaient avoir accès à des fonds purs et libres, qui ne sont pas orientés », explique Isabel Heck, conseillère en impact collectif et chercheuse associée au Centre de recherche sur les innovations sociales. « C’est vraiment un changement de posture », ajoute l’anthropologue.

Au-delà de l’argent, le PIC mise sur un accompagnement des milieux et le renforcement des capacités locales. Des conseillers de milieux de Centraide du Grand Montréal accompagnaient ainsi les quartiers, entre autres dans l’implantation d’une culture de l’autoévaluation. Presque tous les quartiers ont déployé des démarches d’évaluation durant les six dernières années.

À chaque quartier ses défis

 

Des projets ont été déployés dans 17 quartiers. Chaque quartier décidait sur quel dossier travailler : alimentation, habitation, logement, amélioration des infrastructures, réussite éducative, emploi, etc.

Mais même en s’attaquant à un même dossier, les approches étaient très différentes. Dans l’Ouest-de-l’Île, le PIC a appuyé le projet « Un toit pour tous et toutes : les ateliers de l’Ouest-de-l’Île », qui vise à faire reconnaître le manque de logements abordables dans ce quartier. « Ça a contribué à ce que la ville de Pointe-Claire crée un fonds pour le logement social et mette l’enjeu sur la table », explique Mme Heck.

Dans le quartier de Côte-des-Neiges, où la problématique de l’insalubrité des logements est criante, les acteurs ont plutôt décidé de mobiliser les locataires pour leur faire connaître leurs droits, tandis qu’à Pointe-aux-Trembles, on a choisi de fournir du soutien communautaire aux résidents des coopératives. « C’est la beauté d’un fonds non orienté : on travaille sur ce qui est le plus important à régler dans le quartier », résume Mme Heck.

Continuer de tisser des liens

 

La pandémie a bien entendu bouleversé tous les milieux, et plusieurs projets ont dû être remodelés. Heureusement, tout le travail fait en amont a porté ses fruits. La Concertation en développement social de Verdun souhaitait par exemple renforcer la capacité du milieu à travailler collectivement. « Grâce au travail du PIC, les acteurs ont pu, pendant la pandémie, prendre des décisions rapidement et répondre aux besoins criants, surtout en alimentation », raconte Mme Ayalon.

Devant le succès de cette approche, une deuxième phase du PIC sera lancée le 27 avril prochain. Les relations entre les acteurs communautaires et de la Ville continueront à se tisser, mais la prochaine étape est d’amener le gouvernement provincial à la table. « Il y a maintenant cette volonté et cette conscience collective en philanthropie qu’on va y arriver ensemble », soutient Claude Pinard.

Parce que le travail est loin d’être terminé ; après la pandémie de COVID-19, c’est l’inflation galopante qui éprouvera les communautés. « Ça va être une année spéciale », termine-t-il.

Un collectif de fondations pour lutter contre les inégalités sociales

Depuis quelques années, les changements dans le milieu philanthropique s’observent sur tous les plans. En 2014, plusieurs fondations ont décidé de signer une lettre ouverte pour interpeller le gouvernement au sujet des conséquences inégalitaires des nombreuses politiques d’austérité mises en place ; un geste peu commun pour le secteur philanthropique, peu enclin à se mettre en vitrine.

Rassemblant aujourd’hui 17 fondations publiques et privées, Le collectif québécois des fondations sur les inégalités sociales est un espace collectif pour réfléchir à ses propres pratiques. « Est-ce que comme fondation, nos pratiques contribuent à réduire les inégalités, ou fait-on partie du problème ? Si on veut être cohérents, on doit regarder notre propre façon de faire les choses », résume Jacques Bordeleau, directeur général de la Fondation Béati, à l’origine du Collectif. Le Collectif a depuis déposé plusieurs mémoires et participé à des démarches consultatives.

Quinze des membres du collectif ont par ailleurs signé en novembre 2021 la Déclaration d’engagement de la philanthropie pour combattre les inégalités, prenant ainsi des engagements clairs pour adapter leurs pratiques et réduire les inégalités, non seulement par leurs dons et leurs programmes, mais également par l’entremise de leurs investissements, de leurs pratiques de gouvernance et de leurs relations avec les partenaires.

Pendant longtemps au Québec, on avait peu de pratiques réflexives, constate M. Bordeleau : « On se limitait à ramasser de l’argent, avec l’espoir que ce qu’on faisait avait de l’impact. » La Déclaration reconnaît entre autres le rôle essentiel de l’État, auquel les fondations ne prétendent pas se substituer.

Le collectif se veut donc l’expression d’une philanthropie qui cherche à réfléchir autrement. « On aimerait faire mouvement autour de cette déclaration, pour que d’autres fondations, ici comme à l’étranger, soient interpellées », indique M. Bordeleau.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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