Le masque encore populaire à Toronto, même s’il n’est pas obligatoire

Les masques ont encore la cote dans les espaces intérieurs à Toronto, une semaine après la levée du règlement provincial sur le port obligatoire dans plusieurs lieux publics. Certaines entreprises ont même décidé de continuer de l’imposer à leurs clients, qui n’y voient pas d’inconvénient pour l’instant.
Sur la rue Bloor, une artère commerciale qui traverse la Ville Reine d’est en ouest, une forte proportion des clients sont masqués, témoignent des commerçants. « 90 % des gens les portent », observe Liza Lukashevsky, la propriétaire de l’épicerie Nut House. Certaines personnes ne le portent pas, mais s’assurent de donner assez d’espace aux autres, dit l’entrepreneuse. « Je suis fière de voir comment les gens se comportent », poursuit-elle.
Depuis le 21 mars, en Ontario, le masque n’est obligatoire que dans les hôpitaux, les transports en commun et les établissements de soins de longue durée, alors qu’il l’est toujours au Québec. Le nombre de patients atteints de la COVID-19 et actuellement hospitalisés a augmenté de près de 20 % entre le 21 et le 28 mars, passant de 551 à 655. Aux soins intensifs, ce nombre a toutefois diminué d’environ 12 % en une semaine.
Au bar Neon, environ 95 % des clients sont masqués en entrant dans le bar, explique le barman Eric Bates-Mcleod. De l’autre côté de la rue, Bart Harnett se masque en voyant le journaliste du Devoir ouvrir la porte de son commerce, la librairie Zoinks Music & Books. « Ça ne me dérange pas si les clients le portent ou non », mentionne le libraire. Huit personnes sur dix le font, estime-t-il.
Lundi après-midi, au centre commercial Dufferin, environ 60 % des clients avaient le visage couvert en faisant leurs emplettes. À l’extérieur, Elsa Enes s’apprêtait à entrer, masque sur le nez. « J’ai été très malade à cause de la COVID il y a deux mois », témoigne-t-elle pour justifier sa décision. « Je n’aime pas que les autres ne le portent pas à l’intérieur », dit-elle. Il y a quelques mois, Bruna Neves oubliait souvent son masque dans la voiture avant d’entrer dans un lieu public intérieur. Depuis une semaine, c’est le scénario inverse. « J’oublie que je n’ai plus besoin de le porter », explique la Torontoise à la sortie du centre commercial.
Interprétation des règles
Le professeur de l’Université York Eric Kennedy analyse les effets sociaux de la COVID-19 depuis 2020 en sondant la population canadienne. L’une des plus récentes questions posées aux Canadiens par l’universitaire et son équipe en 2022 concernait la décision de porter le masque. Bien que lancé en mars, avant la levée du règlement sur le masque obligatoire en Ontario, le sondage a donné des pistes de réflexion au professeur.
« La perception de plusieurs personnes, c’est que rien n’a vraiment changé magiquement le 21 mars, lorsque le règlement a été levé », explique M. Kennedy. « Plusieurs personnes regardent ces changements et pensent que cela a été motivé par la politique », dit-il. Au moment d’annoncer sa décision de lever le règlement, le 9 mars, le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, le Dr Kieran Moore, a assuré que la décision n’était pas politique.
D’après Eric Kennedy, l’opinion publique sur la pertinence des règlements a évolué au cours des derniers mois. La population interprétait auparavant les directives de santé publique comme l’avis des experts en la matière, « mais il y a maintenant une déconnexion » avec cette interprétation, suggère le sociologue. « De nombreuses personnes reconnaissent encore qu’il y a des raisons importantes de porter un masque », pense la Dre Susy Hota, spécialiste des maladies infectieuses au Réseau de santé universitaire de Toronto.
Libre choix
Règlement provincial ou pas, certaines entreprises imposent leurs propres mesures aux clients ou à leurs employés. Inspirée par les plages horaires réservées aux personnes vulnérables au début de la pandémie, Liza Lukashevsky requiert le port du masque au magasin Nut House entre 10 h et 11 h, du lundi au vendredi. Aux deux succursales du café Red Rocket, le propriétaire Billy Dertilis oblige les baristas et la clientèle à être masqués. « La grande majorité des gens sont plus à l’aise comme ça », explique le propriétaire.
D’après des spécialistes en droit des affaires, les petites entreprises ont l’autorisation d’agir ainsi. « Je n’y vois pas de problème, à moins que la personne ait un handicap », commente l’avocat torontois Jonathan Kleiman. « Les entreprises ont le droit d’adopter des règlements de façon à créer un environnement sécuritaire pour leur équipe et leurs clients », évalue le professeur de gestion de l’Université de Toronto Richard Powers. De telles mesures seront peut-être contestées en cour, mais ces initiatives se solderont par des échecs, prévoit-il.
D’ici là, par contre, la présence du masque pourrait s’être estompée davantage. « Si on ne voit pas une grande augmentation du nombre de cas et que les personnes ne reconnaissent pas les risques associés [à leurs activités quotidiennes], elles pourraient se sentir à l’aise de délaisser le masque », affirme la Dre Susy Hota. La pression exercée par les pairs — « comme celle sur le terrain de jeu à l’école primaire », illustre Eric Kennedy — pourrait faire en sorte que de plus en plus de gens le retirent.
Ce scénario se déroule justement dans les écoles secondaires de la province, confirme Karen Littlewood, présidente de Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario. Dans les journées qui ont suivi la levée du règlement, « les élèves sont venus avec l’intention de porter leur masque, mais lorsqu’ils voient que les autres ne le portent pas, ils le retirent, dit-elle. Ça prend de la force pour dire : “Je vais continuer de le porter.” »
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.