Née de l'opposition à la tenue du Sommet des Amériques - Les différents visages de la CLAQ
«C'est limitatif de dire que nous sommes un groupe antimondialisation. Je ne connais pas un seul groupe qui soit uniquement antimondialisation. Nous sommes contre la pauvreté, contre la violence policière... En fait, nous sommes contre toute forme d'injustice. Nous sommes ancrés dans des luttes locales tout en ayant comme lutte commune la chute du capitalisme et l'ouverture des marchés.»
Ces paroles sont celles de Barbara Legault. Mais elles sont surtout celles de la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC). Si le groupe a bien voulu accorder une entrevue au Devoir afin d'expliquer ses positions sur une foule de sujets, il a voulu également bien faire comprendre que la CLAC n'a pas un seul visage, un seul porte-parole.Néanmoins, c'est Barbara Legault que Le Devoir a recontrée pour converser librement et, surtout, pour mieux comprendre la fougue qui anime ce mouvement. Vive et éloquente, l'étudiante à la maîtrise en travail social de 26 ans ne mâche pas ses mots. Elle n'en manque pas non plus pour formuler un argumentaire poignant contre ce qu'il est convenu d'appeler «la gouvernance mondiale».
La CLAC est née il y a trois ans dans le but de s'opposer à la tenue du Sommet des Amériques de Québec et plus particulièrement à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Le mouvement regroupe aujourd'hui quelque 500 membres actifs. Le noyau de son argumentaire est le rejet des «fondements du système capitaliste économique et social reposant sur la propriété privée des moyens de production et d'échange; qui véhicule une logique selon laquelle les êtres humains ne sont considérés qu'en fonction de leur potentiel capitalisable; où l'environnement est représenté en termes de ressources naturelles propices à l'exploitation; et où la culture est transformée en biens de consommation comptabilisés selon des critères de rentabilité, de compétitivité et d'efficacité», peut-on lire sur le site Internet de la CLAC.
Sur plusieurs fronts
«Depuis notre création, on a élargi notre champ d'action pour attaquer le capitalisme sur plusieurs fronts, souligne Barbara Legault. Nous voulons lutter aux côtés des gens qui vivent directement les conséquences de ce système économique, que ce soit une personne qui se fait expulser de son logement, un Algérien qui est extradé du Canada, ou en organisant des squats pour dénoncer la crise du logement. Nous menons des luttes concrètes. [...] Et les luttes locales permettent d'enrichir notre analyse de fond en établissant le lien avec le quotidien.»
Quand on lui parle des scandales financiers aux États-Unis, Barbara Legault prend un air désinvolte. «Ce n'est pas un effet pervers du capitalisme, car le capitalisme est pervers en soi puisqu'il est basé sur l'accumulation du capital et la propriété privée. Que quelques-uns s'en mettent plein les poches, c'est normal. Pour moi, ce qui est scandaleux, c'est de déplacer tout un village pour installer une mine de cuivre ou pour construire un barrage hydroélectrique. Pour moi, un scandale c'est de ne pas fournir de médicaments aux Africains qui souffrent du sida parce qu'ils n'ont pas assez d'argent pour se les payer.»
À travers l'oeil des caméras, les mouvements antimondialisation sont en général montrés comme des regroupements de jeunes adultes idéalistes en manque de sensations fortes. Il faut en effet admettre que les nombreuses manifestations qui ont eu lieu lors des réunions de l'Organisation mondiale du commerce, du G8 ou du dernier Sommet des Amériques ont donné le ton. Vandalisme et arrestations ont fait les manchettes.
Des alliances
Oui, le mouvement est jeune, mais pas tant que cela, réplique Barbara Legault, qui situe la moyenne d'âge des militants de la CLAC à 32 ans. «Pour une manif, c'est sûr que c'est plus facile de mobiliser les jeunes, mais notre base est beaucoup plus large. En juin à Ottawa, par exemple, nous avons manifesté pendant deux jours de semaine; c'est alors plus difficile de s'y rendre lorsqu'on a des enfants ou un emploi. Je crois que ça fait l'affaire des autorités de nous marginaliser, de nous discréditer en disant que nous sommes une gang de jeunes radicaux tatoués avec des piercings. Ce n'est pas vrai. Nous avons l'appui de bien des gens dans la population.»
Selon elle, une grande partie du travail de la CLAC demeure cachée. «À longueur d'année, nous créons des alliances stratégiques avec d'autres groupes qui luttent contre les injustices, comme les comités de logement. On mène des débats d'idées. On donne également une foule d'ateliers d'éducation populaire pour mobiliser les gens et pour parler des enjeux quotidiens de la mondialisation. Ce qu'on voit à la télé et dans les journaux, ce n'est que les deux ou trois jours où on se mobilise dans une lutte commune. Mais la manifestation n'est pas une fin en soi.»
Et les relations entre les médias et la CLAC ne sont pas toujours roses. «Il y a deux catégories de médias: les grands médias corporatistes bourgeois et les médias alternatifs et indépendants. Les premiers ne font que perpétuer le système capitaliste dans leur sélection et le traitement de l'information et dans leurs politiques éditoriales», tranche-t-elle. Barbara Legault se montre également inquiète à propos de la concentration et de la propriété croisée. «C'est hallucinant! Il y a uniformisation de l'information bout pour bout.»
La jeune femme est également sceptique quant au sort que les journaux et les médias électroniques réservent à des mouvements comme le sien. «Je n'aime pas le fait qu'on ne se pointe que si l'événement que nous organisons est sensationnel. Mais, bon, ça fait partie du jeu. Ce qui me plaît moins, c'est qu'en conférence de presse on essaie toujours de dévier notre discours des questions aux enjeux politiques que nous défendons. On a des arguments qui se tiennent, mais on dirait que plusieurs médias réussissent à ne faire ressortir que la phrase nounoune ou le commentaire un peu con. C'est très réducteur parce que nous avons des choses à dire.»
Mais il n'y a pas que les médias, reprend Barbara Legault. «Nous ne les invitons pas à toutes nos activités. Nous, nous sommes pour et avec les gens. Notre but est d'être subversifs sur le terrain et d'exercer une pression sur le système de façon à s'en débarrasser un jour. Nous voulons que le mouvement de contestation se propage.»
Et si le capitalisme tombait, avec quoi la CLAC le remplacerait-elle? «Nous n'avons pas de manifeste en 400 pages pour décrire notre stratégie en quinze points, dit-elle avec ironie. C'est un plan qui se construit au fur et à mesure. À la base, nous croyons aux réponses collectives à des problèmes collectifs. On ne va pas commencer à distribuer des pamphlets de Lénine, de Trotski ou de Staline. Nous n'avons pas de modèle idéal. Cela dit, nous favorisons l'autogestion, la décentralisation et les actions autonomes. On se dit: organisons-nous!»
La liberté
Côté politique, que pense la CLAC de la souveraineté? «No borders, no nations», répond immédiatement Barbara Legault avec un large sourire. «Nous sommes contre tout ce qui peut entraver la liberté de mouvement, d'action et de pensée. Vous savez, les frontières sont de plus en plus militarisées pour régulariser les mouvements de la population pendant que les capitaux et la marchandise se déplacent librement. En fait, le but est de maintenir les gens des pays pauvres dans leur état d'exploitation. C'est le même principe pour la guerre. Le capitalisme a besoin de la guerre. Celle en Afghanistan a créé des milliers de réfugiés mais ils sont coincés dans leur propre pays.»
Et la montée de mouvements plus à droite, comme l'Action démocratique du Québec (ADQ)? «C'est une belle niaiserie... La majorité des membres de la CLAC sont contre l'appartenance à des partis politiques. Nous ne croyons pas au système électoral et nous croyons encore moins que les partis offrent de véritables alternatives. Pour nous, c'est du pareil au même. Fondamentalement, nous avons une perspective anarchiste dans le sens où nous rejetons la centralisation du pouvoir, l'idée d'avoir des chefs et une hiérarchie. C'est pour cela que personne n'occupe de poste à la CLAC. Nous passons toujours d'un comité à l'autre.»
Que dire du système de santé et d'éducation québécois? Barbara Legault soupire. «Nous ne sommes pas un groupe réformateur. On ne lutte pas pour améliorer le système mais pour le remplacer par quelque chose d'autre. Mais en même temps, on est pour que tout le monde se fasse soigner gratuitement et contre un système de santé à deux vitesses. [...] Ces deux sujets ne font pas partie de nos revendications, mais on peut s'allier à des groupes qui se battent pour améliorer les conditions des gens. On peut s'allier par exemple à un groupe qui réclame une hausse du salaire minimum.»
De l'espoir
La CLAC analyse d'ailleurs les attentats du 11 septembre d'un oeil critique. «Depuis, les pays occidentaux se sont donné les outils législatifs leur permettant de montrer du doigt tous ceux qui les menacent. Ceux qui se battent contre le système — dont les militants antimondialisation — deviennent ainsi des ennemis plus facilement identifiables. [...] Il y a de plus en plus criminalisation des activistes politiques.»
La manifestation contre la brutalité policière à Montréal tenue le 26 avril est un bon exemple, ajoute-t-elle. «Les policiers ont encerclé 300 personnes pendant de longues heures. En tout, 25 personnes ont été arrêtées et 148 ont reçu une contravention de 147 $ pour attroupement illégal. Tout ça pour avoir manifesté dans un parc. Si on est dans un système où on ne peut plus dénoncer les abus de pouvoir, ce n'est plus un système démocratique», tranche Barbara Legault.
Reste-t-il de l'espoir alors? «La seule solution est de s'organiser et de combattre le système ensemble. Il faut faire des alliances et attaquer de tous les côtés. On doit combattre le capitalisme au Québec mais aussi ailleurs dans le monde.» Et la lutte continue. Une conférence de trois jours sur les solutions de rechange politiques au capitalisme se tiendra en octobre à Montréal.