Le Québec, au cœur de la Francophonie institutionnelle

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Le Québec recèle de nombreux instituts, agences, centres et observatoires à vocation francophone. 
Illustration: Tiffet Le Québec recèle de nombreux instituts, agences, centres et observatoires à vocation francophone. 

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie

Brahim Boudarbat peut se vanter d’être le premier après avoir été le dernier. C’est que l’Observatoire de la Francophonie économique (OFE), dont il est le directeur, avait tenu en mars 2020 le dernier congrès en présentiel du monde francophone à Rabat. Deux ans plus tard, il a organisé le premier événement du genre en francophonie, la troisième conférence internationale de la francophonie économique, qui réunissait 300 participants à Dakar du 16 au 18 mars dernier.

L’OFE, qui a pignon sur rue à l’Université de Montréal, n’est qu’un exemple parmi la douzaine d’agences, associations, instituts, observatoires et autres centres québécois qui ont pour vocation de développer la francophonie mondiale. Ce club compte une géante comme l’Agence universitaire de la francophonie, qui réunit 1007 établissements dans 119 pays. On y trouve aussi une centenaire, l’Acfas, qui compte 4200 scientifiques membres dans 32 pays.

Mais la plupart de ces organismes sont en fait de petites structures de 2 à 20 employés qui creusent leur sillon dans leur spécialité, parfois très pointue. C’est le cas du petit dernier, l’Observatoire francophone pour le développement inclusif, inauguré le 8 mars dernier à Montréal.

Un environnement favorable

 

Mais on peut en dire tout autant de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), créé à l’initiative du premier ministre du Québec et du président de la Côte d’Ivoire en 1988.

Cet organisme subsidiaire de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), basé rue Saint-Pierre à Québec, réalise une vingtaine de projets pilotes par an dans le domaine de l’eau, de l’énergie et de l’environnement, que ce soit pour l’introduction du transport électrique au Maroc ou la gestion des mangroves des îles du Saloum au Sénégal.

Photo: IFDD Dans le cadre d’un projet pour la protection des forêts de mangroves, des résidentes des îles du Saloum, au Sénégal, préparent la distribution de foyers de cuisson améliorés permettant de réduire les besoins en bois.

Il ne s’agit en réalité que de la partie la plus apparente de son action, car l’IFDD est hyperactif dans le champ de la formation et de la diplomatie environnementale. « Je n’en reviens toujours pas, de ce que nous arrivons à faire avec 20 employés », dit Cécile Martin Phipps, la nouvelle directrice qui a pris ses fonctions fin octobre 2021, quatre jours avant la COP26 de Glasgow, et qui a dû se familiariser en catastrophe avec une programmation très complexe. « J’en ai eu des sueurs froides. »

« Depuis trois ans, nous avons donné des formations à plus de 350 000 personnes sur des questions techniques et de diplomatie environnementale. Il s’agit de formations certifiantes sur les métiers ou le droit de l’environnement, les énergies renouvelables, l’économie circulaire ou le tourisme durable. Ce ne sont pas de simples présentations PowerPoint. » Ainsi, la formation sur la tarification en électricité durait plus d’une semaine. Et plus de 10 000 personnes ont suivi le cours Introduction à la gestion durable des espaces marins et littoraux, dont 7000 ont obtenu l’attestation.

Une des spécificités de cet institut concerne le soutien en diplomatie environnementale et énergétique. « Le travail consiste à améliorer les capacités des États dans les forums de négociations, indique Mme Martin Phipps. On produit des notes de décryptage, de la concertation ministérielle et des formations aux négociateurs avec une spécialité en désertification et en climat. »

La francophonie hors Francophonie

 

« Nous, notre mandat, c’est la francophonie petit f », dit Chantal Houdet, directrice générale de l’Association internationale des études québécoises (AIEQ), qui anime les travaux de milliers de québécistes dans plus de 25 pays.

L’organisme, qui célèbre ses 25 ans cette année, vient de sortir une carte interactive qui représente tout ce qui se fait en études québécoises à travers le monde. On y découvre des activités variées dans des pays qui n’appartiennent pas forcément à la francophonie officielle, comme le Centre interuniversitaire italien d’études québécoises (CISQ), qui réunit 10 établissements, mais aussi les associations japonaise, coréenne, américaine ou britannique d’études québécoises, et d’autres centres d’études où le Québec tient une place de choix comme la Gesellschaft für Kanada-Studien en Allemagne ou l’Association indienne des professeurs de français, qui a tenu un colloque en l’honneur des études québécoises en 2017.

« Nos membres sont des passionnés du Québec qui sont de véritables ambassadeurs », mentionne Chantal Houdet, qui est détachée par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie. « Ça donne aux Québécois des facilités incroyables pour trouver des conseillers qui les connaissent bien dans toutes sortes de pays. »

Un observatoire qui veut agir

 

La plupart de ces organismes ont dû faire évoluer leur mission pour tenir compte des réalités. C’est le cas de l’Observatoire de la Francophonie économique (OFE), créé en 2017 à l’initiative de gouvernement du Québec, de l’OIF et de l’AUF (Agence universitaire de la Francophonie). Au départ, il devait créer une base de statistiques économiques, mais son activité s’est vite réorientée vers la liaison et le transfert de connaissances.

« Parmi nos missions, nous donnons priorité à l’Afrique, et c’est pourquoi tous nos événements se déroulent sur ce continent », dit le directeur Brahim Boudarbat, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

Le chercheur est particulièrement fier de son programme Formation à la recherche pour jeunes économistes francophones (FORJE), qui a contribué à la formation de 53 jeunes chercheurs, dont 28 femmes. « C’est un programme Afrique-Afrique qui réunit 12 universités partenaires et qui vise à améliorer les compétences en recherche, la publication et la production rapide de la thèse. »

Le petit observatoire veut faire sa part pour relever les deux gros défis de la francophonie africaine : la place des femmes et le manque de différence entre les économies de ces pays, qui produisent tous la même chose ou presque, ce qui les empêche de commercer. Brahim Boudarbat voit poindre néanmoins plusieurs lueurs d’espoir.

« Les femmes et les jeunes sont très nombreux à tous nos événements, leur réponse est fantastique, dit-il. Par ailleurs, trois pays francophones, le Maroc, l’Île Maurice et la Côte d’Ivoire, ont fortement diversifié leur production locale et créent des opportunités pour créer des échanges commerciaux. »

Les spécialistes de la langue

 

Il fallait bien que cette grande spécialité québécoise et canadienne, la démographie linguistique, éveille quelques ambitions. Et en 2009, dans la foulée du Sommet de la Francophonie de Québec de 2008, le gouvernement du Québec, l’OIF et l’AUF ont accouché de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), installé à l’Université Laval.

Bras démographique de l’Observatoire de la langue française à Paris, l’ODSEF est avant tout un réseau de quelques centaines de chercheurs. « Au Québec, il y a moi, un professionnel de recherche et 5-6 étudiants, mais nous avons établi des ententes formelles avec 15 institutions nationales de statistiques en Afrique et avec Eurostat », précise Richard Marcoux, son directeur et professeur titulaire au Département de sociologie de l’Université Laval.

« C’est peu connu, mais notre première mission, à laquelle nous tenons beaucoup, est la sauvegarde du patrimoine démographique en Afrique francophone, dit-il. Avec l’aide de l’UNESCO, on a sauvé tous les recensements du Mali depuis 1976 et l’unique recensement de la République démocratique du Congo en 1984. À Nouakchott et à Kinshasa, nous avons numérisé des entrepôts complets de formulaire. Grâce à la reconnaissance optique, les chercheurs vont pouvoir faire parler ces données. »

En matière de démographie linguistique, l’ODSEF s’intéresse au problème du dénombrement et aux dynamiques sociolinguistiques. « Un gros travail a été de recenser les questionnaires des pays africains pour identifier que 90 % d’entre eux avaient une question au recensement sur la compétence en lecture et en écriture en français. Ça nous assure un point de référence solide. »

Richard Marcoux se fascine depuis longtemps pour la dynamique linguistique, essentielle pour comprendre des problèmes complexes. Comme d’expliquer pourquoi certains parents au Congo choisissent de parler français à leurs enfants ; ou comment l’attitude face au français chez les immigrants joue dans leur intégration ; ou pourquoi les langues autochtones survivent mieux au Québec qu’ailleurs au Canada ; ou pourquoi les Grecs de Montréal parlent plus et mieux grec que les Grecs de Toronto ou de Philadelphie. « Élucider ces questions demande une compréhension fine des statistiques. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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