Désert immobilier à Rimouski

Gabriel Proulx travaille, près des jouets de ses enfants, à son bureau aménagé dans son trop petit appartement de Rimouski.
Photo: Francis Vachon Le Devoir Gabriel Proulx travaille, près des jouets de ses enfants, à son bureau aménagé dans son trop petit appartement de Rimouski.

À Rimouski, des étudiants doivent commencer leur session au motel, des femmes, se résigner à se prostituer pour se loger, d’autres, retourner vivre avec le conjoint violent qu’elles ont fui, faute d’avoir su trouver un foyer pour elles et leurs enfants. La pénurie de logements frappe de plein fouet l’est du Québec. Plusieurs tirent la sonnette d’alarme.

Il y a bien, ici et là, quelques pancartes « À louer » accrochées aux façades et aux balcons de Rimouski. Autant de mirages dans un désert immobilier. « Ce n’est pas compliqué : des appartements, il n’y en a pas », résume Guy Labonté, coordonnateur du Comité logement Bas-Saint-Laurent.

Les plus récentes données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), lui donnent raison. À Rimouski, le taux d’inoccupation, déjà critique l’an dernier à 0,9 %, vient de dégringoler à 0,2 % — le quatrième plus bas au Québec.

Les fléaux sociaux prolifèrent à l’ombre de cette statistique et Le Devoir a recueilli, sur le terrain, tout un chapelet d’exemples à réciter.  « Crise », « vent de panique », « spirale qui ne s’arrête pas » : à Rimouski, des mots souvent accolés aux krachs boursiers servent à qualifier la pénurie de logements, qui affecte tout l’écosystème économique et social de la ville. « Nous avons des opportunités que nous ne pourrons pas réaliser, déplore le maire Guy Caron, tant que nous ne résoudrons pas le problème principal : la pénurie de logements. »

Photo: Francis Vachon Le Devoir Guy Labonté du Comité logement Bas-St-Laurent

Explosion des prix

 

« C’est petit », déplore Audrey Barriault en parcourant son quatre et demie du regard avec, dans les bras, son petit Lucas, quatre mois. Entre les bottes, les jouets et le matou dans l’entrée s’entasse une pile de caisses pleines d’objets à donner. L’espace manque : il faut sacrifier des possessions pour ne pas se marcher sur les pieds.

Audrey, 26 ans, habite avec son conjoint, Gabriel Proulx, un an plus vieux, et leurs deux enfants. Le jeune couple a déménagé en juillet à Rimouski pour se rapprocher de l’UQAR, où Gabriel entame des études de génie civil.

Ils ont trouvé leur quatre et demie de peine et de misère. Un peu par dépit, aussi : à leur arrivée, il leur a d’abord fallu se débarrasser des fourmis. Depuis, ils cherchent un logement plus grand et ne trouvent rien.

« J’ai vu un six et demie disponible », raconte Gabriel. « Pour nous autres, ce serait vraiment le fun, renchérit Audrey. On a deux enfants en bas âge, on n’a jamais de place. »

Leur rêve s’arrête là où le prix commence. « C’était 1800 $ », soupire le père aux études. « Qui paye ça dans la vie pour louer ? À Rimouski ? » demande Audrey, interloquée — et résignée à vivre encore une année dans un logement où sa famille est à l’étroit.

La rareté, à Rimouski, a fait exploser le prix des loyers. « J’ai vu, la semaine passée, un trois et demie pas chauffé, pas éclairé, à 850 $. Si tu n’es pas un couple avec deux salaires, tu ne t’en sors pas », déplore Véronique Collin, intervenante depuis 14 ans au Répit du passant.

Dans ce centre d’hébergement temporaire pour les hommes, les séjours de la clientèle s’éternisent. « La durée d’hébergement atteint souvent deux, trois, voire quatre mois. En temps normal, c’est entre deux semaines et 30 jours. »

Les hommes demeurent au Répit, faute de trouver un toit ailleurs. Les moins chanceux sont contraints de dormir dehors.

 

« Il y avait cinq messieurs qui vivaient dans des parcs parce qu’il n’y avait pas de places l’été dernier, raconte Mme Collin. Nous recevons cinq ou six demandes d’hébergement de la Ville par semaine, mais nous n’avons pas de lits. Je ne vais pas héberger des gens dans mon cabanon à -25 juste pour faire plaisir à la Ville », déplore l’intervenante.

La réalité est tout aussi difficile à l’Auberge du cœur Le Transit, qui reçoit des jeunes se remettant en selle après une période difficile. « Depuis deux ans, les jeunes ont de la difficulté à trouver du logement », explique la directrice générale, Lynda Lepage. « Ils se retrouvent souvent dans des logements mal entretenus, insalubres, avec des punaises de lit. »

« Parfois, ils n’ont pas le choix de se loger dans des édifices fréquentés par des consommateurs de drogue, au moment où ils sortent eux-mêmes de thérapie et essaient d’arrêter de consommer », ajoute la coordonnatrice du Transit, Sophie Groleau.

Femmes sans toit

 

La pénurie de logements frappe de façon particulièrement cruelle les femmes les plus vulnérables. Sans toit à la portée de leur bourse, certaines se retrouvent contraintes à faire des choix tragiques.

« Quand un logement est affiché sur les réseaux sociaux, en une heure il y a une file d’attente pour visiter », remarque Geneviève Lévesque, directrice générale de La Débrouille, un organisme offrant un toit provisoire aux femmes qui quittent un conjoint violent.

Celles qui arrivent seules à La Débrouille peuvent encore trouver un deux et demie abordable. Les mères, elles, n’ont souvent pas cette chance. « Des grands logements pour les femmes avec des enfants, il n’y en a quasiment pas », explique Mme Lévesque. Dans un tel contexte, certaines retournent vivre avec le conjoint violent qu’elles fuyaient.

« Ça brise le cœur, certaines fois. Surtout quand elles y retournent sans vraiment avoir envie de le revoir », regrette la directrice générale.

Autre triste corollaire du manque de logements à Rimouski : l’émergence d’une forme particulière de prostitution où des femmes acceptent des relations intimes avec des hommes pour qui elles n’éprouvent aucune affection, juste pour obtenir un endroit où dormir.

« Ce n’est pas un choix, clarifie Luc Jobin, directeur général d’En tout C.A.S, un organisme qui réalise du travail de rue. Confier son enfant à la DPJ parce que tu n’as pas de toit, est-ce un choix ? »

Pour remédier à la misère, le tissu communautaire de Rimouski a mis en place des solutions de dernier recours. Par exemple, payer des chambres d’hôtel à celles et à ceux qui n’ont nulle part où se loger.

« C’est du rapiéçage », déplore M. Jobin. Au moment où il s’est entretenu avec Le Devoir, son organisme avait « placé quatre femmes dans des hôtels, des auberges, partout où on peut » — en trois jours. « Une fois qu’elles ont passé la nuit là, qu’est-ce qu’on fait ? C’est un sparadrap sur une jambe de bois. On soulage. C’est tout. »



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