De crise sanitaire à «crise de sécurité publique» au Québec

Les policiers du Québec ont délivré plus de 46 500 constats d’infraction accompagnés d’amendes salées sur une période d’un peu plus d’un an pour non-respect des règles sanitaires, montre une compilation exhaustive de l’Observatoire des profilages.
Les quatre autrices de ce rapport de 60 pages, dévoilé jeudi après-midi, déplorent ainsi que le Québec ait opté pour la « répression policière » — et donc une approche « punitive » — pour faire respecter les règles sanitaires visant à limiter la propagation de la COVID-19 dans la province.
« Notre rapport démontre sans équivoque que durant la période étudiée, le Québec a choisi de faire de la crise de santé publique une crise de sécurité publique », écrivent les expertes universitaires. Elles estiment ainsi que le gouvernement Legault a préféré miser sur la « coercition » et une « logique guerrière » dans le contexte de la pandémie, « au détriment de celle visant l’éducation, la promotion et la prévention », sur laquelle a misé davantage la Colombie-Britannique, entre autres.
Le document, réalisé en partenariat avec plusieurs organismes communautaires, se base sur une demande d’accès à l’information effectuée auprès du ministère de la Sécurité publique. L’analyse des tableaux ainsi obtenus révèle que 46 563 rapports et constats d’infraction ont été émis en vertu de la Loi sur la santé publique au cours d’une période de 54 semaines, entre le 21 septembre 2020 et le 3 octobre 2021, pour une moyenne quotidienne de 123 amendes. Le montant de celles-ci était généralement de 1546 $, avec les frais.
Le nombre de constats délivrés n’a toutefois pas suivi une courbe « aplatie », pour paraphraser l’ancien directeur national de santé publique du Québec, Horacio Arruda. Le nombre d’amendes distribuées aux citoyens a plutôt « bondi » pendant les trois premiers mois de l’année 2021 « pour osciller entre 1093 et 1951 » constats par semaine, contre une moyenne hebdomadaire de 206 amendes pendant les mois précédents, indique le rapport.
Le Québec, explique au Devoir Céline Bellot, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages, a en d’autres mots opté pour « une logique d’escalade » des contraintes sanitaires et de la répression auprès des récalcitrants, entre la deuxième et la quatrième vague de cas de COVID-19. « Et là, on voit vraiment en particulier la discrimination » et la judiciarisation de personnes vulnérables que cela peut entraîner, ajoute-t-elle.
Le couvre-feu au cœur des sanctions
Cette explosion des constats émis pendant la période étudiée concorde avec la mise en place d’un couvre-feu pendant près de quatre mois et demi, à partir du 9 janvier 2021. Près de la moitié (48,4 %) des constats d’infraction analysés par les expertes universitaires concernent ainsi le non-respect de cette interdiction de se trouver à l’extérieur de sa résidence pendant certaines heures la nuit. Cela représente 22 544 amendes, soit 162 par jour pendant la durée de ce couvre-feu.
L’efficacité de cette mesure d’un point de vue de gestion de la pandémie a d’ailleurs été remise en question par plusieurs épidémiologistes. La Santé publique de Montréal avait elle-même publié un avis défavorable à la mise en place d’un couvre-feu, craignant entre autres ses effets disproportionnés à l’endroit des personnes à faible revenu ou en situation d’itinérance. Celle-ci a alors proposé des solutions de rechange pour limiter la montée des cas de COVID-19, comme une meilleure ventilation des lieux fermés et le recours aux tests de dépistage rapide. Un avis qui n’a pas empêché le Dr Arruda de recommander tout de même la mise en place d’un couvre-feu dans toute la province.

Or, « quand on choisit l’approche punitive, ça a des conséquences. Et celles qui en paient encore plus le prix, ce sont les communautés marginalisées et racisées », insiste la professeure à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke Véronique Fortin, qui a pris part à la rédaction de ce rapport.
Montréal ciblée
La métropole québécoise, qui compte une majorité de locataires et une population itinérante importante, est d’ailleurs la région où le plus grand nombre de constats d’infraction pour non-respect des règles sanitaires ont été délivrés, toutes proportions gardées. Le rapport fait ainsi état de 813,3 amendes pour 100 000 habitants à Montréal, un nombre nettement au-dessus de la moyenne provinciale, qui est de 470 constats pour 100 000 habitants.
En deuxième position des règles sanitaires ayant suscité le plus de sanctions, après le non-respect du couvre-feu, figure l’interdiction de se rassembler dans une résidence privée, qui est à l’origine de 31,9 % des constats d’infraction analysés dans la province. Les autres constats d’infraction distribués concernaient notamment des rassemblements dans des lieux publics ainsi que la participation et le fait d’avoir participé à une manifestation sans respecter les règles sanitaires de base.
Le ministère de la Sécurité publique n’avait pas commenté ce rapport, au moment où ces lignes étaient écrites.