Peu d'options pour les réfugiés ukrainiens espérant venir au Canada

Des réfugiés d’Ukraine attendaient un transport au poste de contrôle de la frontière moldavo-ukrainienne, près de la ville de Palanca, mardi.
Nikolay Doychinov Agence France-Presse Des réfugiés d’Ukraine attendaient un transport au poste de contrôle de la frontière moldavo-ukrainienne, près de la ville de Palanca, mardi.

Une semaine après le début de l’invasion russe, le ministère canadien de l’Immigration n’a que très peu à offrir aux Ukrainiens qui souhaitent venir au pays, constatent des acteurs et experts du milieu de l’immigration. Malgré la promesse d’un traitement prioritaire de leurs dossiers, les Ukrainiens auront fort à faire pour échapper à la guerre.

Depuis le premier jour de l’assaut lancé par la Russie en Ukraine, le téléphone de Marina Negrivoda n’arrête pas de sonner. « Je reçois 15 à 20 appels, courriels ou messages par jour », dit cette consultante en immigration de Montréal. Des Ukrainiens qui veulent savoir comment immigrer au Canada, des Ukrainiens d’ici qui veulent savoir comment faire venir leur famille… « J’essaie d’aider les gens et de leur expliquer comment ça fonctionne. »

Elle constate qu’une certaine confusion règne au sujet des mesures d’immigration annoncées par Ottawa et des possibilités d’immigration. « Il y a beaucoup de désinformation. » Certaines personnes croyaient qu’il suffisait de se présenter à l’ambassade canadienne en Pologne pour être admis comme réfugiés. D’autres ont cru à tort que le gouvernement canadien procéderait à leur évacuation. « J’ai dû leur expliquer que ça ne marchait pas comme ça. »

Bien qu’il dise envisager d’autres solutions, le gouvernement fédéral n’a pas pour le moment annoncé de programme spécial d’accueil de réfugiés, comme lors de la crise afghane en août dernier. Il a plutôt fait état d’une série de mesures visant essentiellement à renforcer les ressources consulaires pour traiter en priorité les demandes venant des Ukrainiens et à alléger la procédure, non pas en levant l’exigence de fournir certains documents, mais en abolissant certains frais et en facilitant les échanges en ligne.

« Beaucoup de gens m’appellent, car leur enfant ou leur bébé n’a pas de passeport, ou le visa est expiré… Que faire ? Le Canada dit qu’il délivrerait des documents de voyage, mais il n’a pas donné d’instructions plus précises », constate Marina Negrivoda.

Peu d’options

Pour Christina Clark-Kazak, professeure à l’Université d’Ottawa et spécialiste des politiques relatives aux réfugiés, le gouvernement fédéral est demeuré en réserve. « Il a fait des gestes politiques immédiats, mais il n’y a pas de programmes spéciaux ni de grandes mesures », a-t-elle souligné. « Très peu a changé, sauf ce numéro de téléphone et le mot-clé permettant de signaler sur le portail Web que c’est une demande qui vient d’Ukraine. »

Elle rappelle que l’obligation du visa n’a toujours pas été levée, malgré les demandes répétées de plusieurs organisations civiles et politiques, y compris le Parti conservateur. « Le gouvernement ne veut pas créer de précédent », croit-elle. Elle estime néanmoins qu’il devrait « en faire plus et réagir avec plus de souplesse, justement parce que ce sont des contextes de conflit. »

Car le visa exige des documents pratiquement impossibles à obtenir en temps de guerre, comme des certificats de naissance et d’état civil ou encore des attestations d’emploi ou bancaires. La prise d’empreintes biométriques est également obligatoire et ne peut s’effectuer que dans certains bureaux consulaires, ce qui implique de sortir du pays.

« Je dis aux gens d’essayer quand même de demander un visa, même s’ils n’ont pas tous les documents nécessaires avec la traduction. En expliquant bien la situation, on espère que l’agent d’immigration va comprendre », dit Marina Negrivoda, indiquant toutefois n’avoir aucune garantie.

Selon la présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), remplacer l’obligation du visa par la délivrance d’une Autorisation de voyage électronique (AVE) permettrait aux Ukrainiens d’être rapidement en sécurité. « Il y a urgence de sortir les gens de là, et la Pologne ne peut pas tout absorber. Ici, il y a une grande communauté ukrainienne qui pourrait accueillir ses proches en attendant de voir ce qui se passe là-bas », avance Me Stéphanie Valois.

Entre Montréal et Kiev

 

C’est ce que souhaite de tout cœur la Montréalaise Maria-Alexandra Rudenko, qui angoisse pour sa famille restée à Kiev. « C’est sûr que j’aimerais ça, les faire venir ici », a dit l’étudiante dans la vingtaine qui est arrivée au Canada il y a quatre ans comme résidente permanente. « Ce sont les personnes qui me sont les plus chères. »

Ses parents et sa sœur avaient obtenu la résidence permanente en même temps qu’elle, mais pour diverses raisons, ils n’avaient pas pu venir. Son père, qui a travaillé comme ingénieur à l’international, parle plusieurs langues, dont le français. Aujourd’hui, Maria-Alexandra regrette qu’ils n’aient pas pris l’avion en même temps qu’elle. « Je me sens coupable d’être ici », laisse-t-elle tomber, la voix brisée.

Elle, qui devait retourner en Ukraine au mois d’août, sait que le rêve d’avoir sa famille auprès d’elle n’est pas réaliste pour le moment. « Mon père et le mari de ma sœur ont moins de 60 ans, alors même s’ils pouvaient sortir de Kiev, ils ne seraient pas autorisés à traverser la frontière, car tous les civils de leur âge doivent rejoindre les forces armées », explique-t-elle.

Selon Marina Negrivoda, il n’est pas possible pour un résident permanent de parrainer ses parents, puisque le programme n’est actuellement pas ouvert. Il est toutefois permis pour un résident de parrainer son conjoint de fait ou ses enfants. « Mais il faut faire un examen médical et tous les papiers, et ça demande de sortir du pays. Techniquement, c’est difficile de faire tout ça pour un Ukrainien », observe-t-elle, ajoutant que cela implique des délais. « [Le gouvernement] dit que ça va être traité en priorité, mais ce n’est écrit nulle part. Il faut avoir confiance. »

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