L’UPAC met fin à l’enquête Mâchurer sur le financement du PLQ
Près de huit ans après l’avoir ouverte, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) tire un trait sur « Mâchurer ». L’enquête sur le financement du Parti libéral, devenue « insensée » selon l’ex-premier ministre Jean Charest, n’aura mené à aucune accusation.
Le commissaire à la lutte contre la corruption, Frédérick Gaudreau, en a fait l’annonce lundi dans un communiqué de presse. Les procédures, qui visaient à faire la lumière sur le système de financement du Parti libéral du Québec (PLQ) de 2001 à 2012, n’auront donc pas donné de résultat.
Après avoir rencontré « plus de 300 témoins » et « à la suite de nombreuses démarches d’enquête », l’UPAC s’est tournée vers le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui a mandaté une équipe pilotée par le juge à la retraite André Rochon pour faire l’examen de la preuve. Une méthode régulièrement employée par les corps policiers, selon le DPCP.
Les démarches, qui ont duré près de deux ans, ont abouti au dépôt d’un avis final en décembre 2021, a indiqué auDevoir une source bien au fait du dossier. « Considérant l’avis juridique obtenu ainsi que toute la rigueur et les ressources déjà investies dans cette enquête, le commissaire estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre cette dernière et y met donc fin », a affirmé l’UPAC lundi.
Depuis son arrivée à la tête de l’organisation en 2019, Frédérick Gaudreau affirme trimer dur pour que les enquêtes de son corps de police s’éternisent le moins possible. « C’est effectivement une enquête qui est longue », a-t-il déjà dit de Mâchurer.
« Une injustice »
Dans les dernières années, plusieurs personnalités publiques exaspérées par les délais ont pressé l’UPAC de mettre un terme à l’enquête. C’est le cas notamment de l’ex-premier ministre Jean Charest, chef du PLQ de 1998 à 2012 et désormais pressenti comme candidat dans la course à la direction du Parti conservateur du Canada.
En 2020, l’ex-élu intentait une poursuite en dommages punitifs et moraux contre le gouvernement du Québec, qui, selon lui, a failli à son devoir de protéger les informations recueillies dans le cadre de Mâchurer. Il accuse l’État et l’UPAC d’avoir violé sa vie privée — plusieurs éléments de l’enquête ont fait l’objet de fuites médiatiques à travers les années.
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Aux dernières nouvelles, le montant de la poursuite s’élevait à plus de 2 millions de dollars. M. Charest n’a pas précisé lundi s’il comptait abandonner les procédures judiciaires. Dans un bref communiqué diffusé en milieu d’après-midi, il s’est contenté de prendre acte de la décision de l’UPAC.
« Cette enquête a pesé lourdement sur ma vie personnelle, sur la vie de ma famille, de mes collègues de ma vie politique et de mes collègues actuels, a déclaré le politicien, qui pratique désormais comme avocat au cabinet McCarthy Tétrault. La poursuite de cette enquête était devenue insensée et a été pour moi et pour ma famille une injustice qui nous a été imposée pendant presque huit ans de notre vie. »
Dans l’entourage de Jean Charest, on a parlé d’un « cadeau du ciel, qu’on n’attendait pas ». Le député conservateur québécois Alain Rayes, qui milite fort pour que M. Charest brigue la chefferie, a parlé d’une « bonne nouvelle ». « On peut passer à autre chose. Ça fait huit ans. Et ceux qui ont encore des doutes sur son honnêteté, rendu là, je pense que ça devient de la mauvaise foi », a dit M. Rayes, en entrevue au Devoir.
À la mi-février, l’actuelle cheffe du PLQ, Dominique Anglade, sommait l’UPAC de fermer les livres de Mâchurer. Elle exige désormais que l’organisation policière présente des excuses, après « avoir mené une partie de pêche publiquement ». « Pour les membres, les bénévoles, les employé.e.s et les élu.e.s, c’est l’heure », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux.
D’après nos informations, et comme le rapportait l’Agence QMI lundi, le parti évalue d’ailleurs ses options juridiques contre l’UPAC et le gouvernement du Québec. Dans l’éventualité où l’UPAC ne s’excuserait pas, l’option d’une poursuite n’est pas écartée.
L’ex-député libéral Guy Ouellette a lui-même reçu des excuses de Frédérick Gaudreau, l’an dernier, pour les préjudices qu’il a subis après son arrestation en 2017 pour fuite alléguée de documents d’enquête. M. Ouellette n’a jamais été accusé.
« Crise existentielle »
Selon la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, l’UPAC doit désormais « expliquer sa décision ». « Notre gouvernement a pris tous les moyens nécessaires pour redresser l’UPAC et lui permettre de remplir adéquatement sa mission. Il revient désormais à la direction de l’organisation de mettre à profit ces changements », a indiqué son cabinet dans une réponse écrite.
L’UPAC a abandonné son lot d’investigations dans les dernières années. En 2019, le corps policier faisait une croix sur l’enquête Justesse, qui visait des collecteurs de fonds du PLQ soupçonnés de corruption à la Société immobilière du Québec. Puis, en 2020, il abandonnait le projet Modestie, qui impliquait l’ex-argentier libéral Marc Bibeau.
Depuis son entrée en scène, le commissaire Gaudreau a maintes fois répété son désir de sortir l’UPAC de ce qu’il qualifie de « crise existentielle ».
Lundi, le porte-parole de Québec solidaire en matière de justice, Alexandre Leduc, a exhorté Québec à réunir d’urgence les partis d’opposition pour évaluer la possibilité de modifier le cadre législatif entourant l’UPAC et « cesser d’échapper tous ces dossiers ». « Depuis quelque temps, nous étions plusieurs à nous demander si le prolongement indéfini de l’enquête Mâchurer ne servait finalement qu’à préserver la réputation de l’UPAC, déjà passablement amochée par un tableau de chasse peu garni », a-t-il dit dans une déclaration écrite.
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a dénoncé une décision « gênante » prise selon « un timing […] tellement curieux ». « Pour quiconque suit la politique et se souvient des constats de la [commission] Charbonneau, ce résultat est une aberration », a-t-il écrit sur Twitter.
Avec Marie Vastel