Manifestation de peluches et de contrastes à Québec

Malgré l’étau policier qui se resserre à Ottawa et une considérable bordée de neige qui souffle sur Québec, des milliers d’opposants aux mesures sanitaires ont convergé sur la colline du Parlement, samedi dans la capitale québécoise, pour exprimer leur ras-le-bol à grand renfort de peluches et de pancartes.
Un concert de klaxons perceptible jusqu’en basse-ville a commencé à résonner sur le coup de 11 h, samedi matin. Dans les rues qui louvoient jusqu’à la colline parlementaire, une noria de véhicules — des pick-ups à gogo, quelques Mercedes et Cadillac ici et là — participaient au tintamarre. Dans ce convoi singulier, l’unifolié flottait aux côtés du drapeau des Patriotes, le fleur-de-lysé côtoyait la bannière étoilée de l’Oncle Sam.
La police de Québec et les organisateurs de la manifestation ont convenu d’embarquer dans le même manège qu’il y a deux semaines pour ce « Woodstock de la liberté ». Une dizaine de camions ont l’autorisation de bivouaquer en bordure du Parlement, mais hors de question de les laisser camper devant le siège du pouvoir, où l’accès se restreint aux piétons.

En fin de journée, les autorités faisaient état de quatre arrestations, dont deux en vertu du Code criminel pour voies de fait et action indécente. Elles ont également remis 99 contraventions pendant la journée. La police de Québec félicitait dans le même souffle « la majorité des manifestants [qui] respectent et honorent leur entente de vouloir manifester pacifiquement. »
Plus tôt en après-midi, du haut d’une scène érigée en face du Parlement, l’organisateur Bernard « Rambo » Gauthier saluait à son tour la coopération des manifestants venus l’entendre.
« Ce dont je suis le plus fier, c’est que ça fait deux week-ends qu’on manifeste pacifiquement, pis pas à peu près, a souligné le Nord-Côtier. On ferme la gueule à nos détracteurs […] malgré que les médias nous plantent et nous rentrent dedans. »
Devant lui s’étalait une foule aussi bigarrée que les drapeaux sous lesquels elle se rallie. Les poussettes étaient nombreuses, les têtes grises aussi, toutes unies dans une exaspération qui dépasse, bien souvent, le contour précis des mesures sanitaires pour s’orienter vers le « système ».
Méfiance
Après une vie de travail à petit salaire, Sylvie Gagnon, 62 ans, est découragée de voir le gouvernement « écoeuré les p’tits gars » qui risquent de perdre leur emploi de camionneurs à défaut d’obtenir le passeport vaccinal. Sa méfiance des vaccins éclabousse l’ensemble des institutions. Médias, pouvoir, pharmaceutiques : tous mangent à l’auge des millionnaires, selon Mme Gagnon, à laquelle les gens comme elle n’ont jamais eu droit.
Son vote, au dernier scrutin fédéral, est allé au Parti libre du Canada, qui prêche la démocratie directe et exige la suspension immédiate de « l’injection expérimentale Covid-19. »

André Gosselin, lui, a opté pour la CAQ il y a quatre ans. « Plus jamais ! » jure maintenant le Beauceron. Les volte-face du gouvernement et les approximations de la santé publique ont érodé sa confiance déjà mince envers les vaccins contre la COVID. Pour lui, ce n’est pas à la collectivité de payer pour l’incurie des gouvernements à soulager le système de santé.
Sa conjointe, Nathalie Marcoux, est infirmière. « La pandémie existe », règle-t-elle d’emblée. Elle n’accepte toutefois pas de ne plus pouvoir visiter ses beaux-parents dans leur CHSLD en raison de son statut vaccinal. « Nous sommes proches aidants, ça n’a pas de bon sens. »
Drapé dans une peau de loup, le Gaspésien Daniel Leblanc, 48 ans, croit que les mesures causent plus de torts que de bien aujourd’hui. Sa fille, à l’université, connaît la dépression ; son fils, hockeyeur, a perdu toute motivation. Lui ne parle plus à sa sœur depuis deux mois à cause de sa réticence envers le vaccin.
« J’ai toujours voté pour le PQ, je pensais peut-être aller avec les solidaires cet automne », explique le père de famille qui dit camper à gauche.
Peluches et mascotte
Le rassemblement de la fin de semaine affiche un visage familial sans économiser les peluches ni les mascottes. Les « toutous » ont la cote : sur les lampadaires qui ceinturent la fontaine de Tourny, sur les clôtures qui protègent les jardins du Parlement et dans les mains d’à peu près tous les enfants présents, les peluches apparaissent avec leurs grands yeux, symbole enfantin au milieu des nombreux « Fuck Legault ».

Des milliers d’opposants aux mesures sanitaires ont convergé sur la colline du Parlement pour exprimer leur ras-le-bol à grand renfort de peluches et de pancartes.
Certains protestataires ont mis des costumes de la Pat’Patrouille ou de la Reine des neiges pour amuser les plus jeunes. D’un côté, des vedettes de la petite enfance distribuent les poignées de main. De l’autre, des policiers patrouillent, prêts à intervenir en cas de débordement. La scène a des accents surréalistes : Disney rencontre l’antiémeute à l’ombre du Parlement, à côté d’imposants tracteurs venus depuis la Beauce stationnés sur Grande-Allée. Le tout sous les flocons et dans une foi généralisée envers des théories glanées sur Internet.
Les organisateurs prévoient une deuxième journée de manifestation, dimanche, et somment les participants de rentrer à la maison sur le coup de 17 h. Bernard « Rambo » Gauthier a levé son chapeau « aux guerriers qui étaient à Ottawa » pendant son allocution, samedi, mais l’issue de son rassemblement s’annonce différente que dans la capitale fédérale.
« Là-bas, c’est un siège. Ici, c’est une manifestation pacifique, a souligné l’organisateur. J’espère qu’on va avoir un retour d’ascenseur du gouvernement. »