Réfugiés dans la maison de Dieu

Pour éviter l’expulsion, la famille Rodriguez-Flores est cloîtrée depuis trois mois dans une église sanctuaire de Sherbrooke.
Photo: Myriam Leblond Le Devoir Pour éviter l’expulsion, la famille Rodriguez-Flores est cloîtrée depuis trois mois dans une église sanctuaire de Sherbrooke.

C’est l’histoire d’une famille mexicaine qui a demandé refuge dans l’un des plus grands pays du monde, mais qui vit plutôt cloîtrée dans une église de Sherbrooke depuis maintenant plus de trois mois. Après avoir défié un avis d’expulsion parce qu’ils craignent pour leur vie, les Rodriguez-Flores implorent le ministre de l’Immigration du Canada de leur donner une seconde chance.

Depuis le 8 novembre dernier, la chapelle au sous-sol de l’église unie Plymouth-Trinity à Sherbrooke est devenue une chambre à coucher. C’est ici, en ces murs ornés de boiseries et de vitraux et sous le regard bienveillant d’une Sainte Vierge, que Georgina Flores, Manuel Rodriguez et leur fils de 18 ans,Manolo, s’endorment tous les soirs — lorsqu’ils arrivent à fermer l’œil.

« On est dans l’incertitude. On ne sait pas du tout combien de temps on va être ici », soupire Georgina Flores, bien calée dans un fauteuil rouge à l’allure d’un trône.

À présent si près de Dieu, et pourtant, la famille Rodriguez-Flores n’a pas moins vécu l’enfer.

Photo: Myriam Leblond Le Devoir La famille Rodriguez-Flores

Un enfer qui a commencé dans une ville mexicaine de l’État de Coahuila contrôlée par les cartels de la drogue, où les séquestrations et les meurtres sont monnaie courante. Georgina Flores, une ingénieure passionnée de cuisine, avait délaissé sa carrière pour ouvrir un restaurant. « [Les trafiquants] nous ont offert d’y vendre de la drogue, mais on a refusé », explique-t-elle, en racontant avoir été victime de plusieurs tentatives d’extorsion, dont des appels clamant faussement l’enlèvement de sa fille contre rançon. « Ils ont brûlé une partie de mon local. »

C’était en 2018. Georgina, son mari et son fils — sa fille, majeure, a voulu rester au Mexique avec son mari et son enfant — ont pris un aller simple pour le Canada. Après l’obtention des permis de travail en mai 2019, le couple a enchaîné les emplois, principalement dans l’entretien ménager, à Sherbrooke, où il s’était installé. Canac, Canadian Tire, Super C. « Le matin, on étudiait le français, et en après-midi, on faisait le ménage », explique la mère de famille, qui a aussi été femme de chambre dans un hôtel.

Des anges à la rescousse

En novembre 2019, alors que la famille s’attendait à obtenir une réponse positive à sa demande d’asile, une convocation au bureau sherbrookois de l’Agence des services frontaliers du Canada a laissé présager le pire. Des agents l’ont en effet informée que la demande d’asile était irrecevable et qu’elle serait renvoyée au Mexique. Il ne leur restait plus qu’un dernier recours, soit l’examen des risques avant renvoi (ERAR), un processus ayant un très faible taux de succès.

Deux ans plus tard, soit le 7 octobre 2021, les Rodriguez-Flores ont reçu une autre mauvaise nouvelle : l’ERAR était refusé, et ils seraient expulsés un mois plus tard. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, ils ont aussi appris que leur avocate ne pouvait plus s’occuper d’eux. « C’est là qu’a commencé notre film », raconte Georgina Flores. Un film qui met en scène une communauté d’anges qui s’est lancée dans un branle-bas de combat pour que la famille puisse rester.

Il y a eu Adriana, la travailleuse sociale qui a trouvé un avocat acceptant de s’embarquer dans cette course contre la montre pour contester l’ERAR, Marie-Claude, des ressources humaines de l’entreprise où les parents travaillaient, qui a collaboré à la préparation des documents, et Anne St-Pierre, leur infirmière bienveillante, qui a contacté les responsables de l’Église unie. « Je voulais bien garder espoir, mais ça nous prenait un plan B », explique l’infirmière.

La fin de semaine précédant le lundi fatidique du renvoi, le conseil d’administration de l’Église unie s’est mis d’accord pour offrir le gîte à la famille, comme le droit au sanctuaire est généralement respecté par les services frontaliers, même s’il ne repose sur aucune assise légale.

Fervente catholique, Georgina Flores a été touchée de voir que ce cadeau du ciel venait d’une église protestante. « Ici, nous sommes tous des fils de Dieu », lui a dit le pasteur Samuel Dansokho, rassurant. Ne perdant toutefois pas espoir de voir annuler son expulsion, elle a multiplié les prières, tandis que son mari a travaillé jusqu’à la dernière minute. « Je me disais : “ça va marcher”. »

Trois mois en « prison »

Le suspense aura duré jusqu’à la fin. Le matin du 8 novembre, la famille a appris que ni ses derniers recours — ni ses prières — n’avaient fonctionné. S’enfermer dans cette église sans pouvoir mettre le nez dehors devenait leur unique salut.

Après plus de trois mois d’isolement, les Rodriguez-Flores ne cachent pas qu’ils vivent des moments dépressifs. Manuel trompe l’ennui avec le dessin et les casse-tête, et Georgina passe beaucoup de temps aux fourneaux. « Je me sens triste parce que je ne peux pas sortir avec mes amis, ni aller à l’école », explique pour sa part leur fils, Manolo, affalé sur une causeuse.

Photo: Myriam Leblond Le Devoir

Mais encore une fois, les anges sont au rendez-vous. Il y a Sylvie qui leur donne des cours de français, trois psychologues qui viennent les écouter, les enseignants de l’école Le Goéland, qui préparent des devoirs pour Manolo, et plusieurs bénévoles et amis qui leur apportent des épiceries et du réconfort.

En plus d’avoir mis sur pied une campagne de financement visant à subvenir aux besoins de la famille, ce réseau d’entraide fa lancé une pétition et a organisé des conférences de presse et des vigiles pour attirer l’attention, surtout des élus. Au bureau de la députée libérale fédérale, Élisabeth Brière, on assure que « des suivis réguliers » sont faits auprès des ministres concernés.

Au désarroi de la famille s’ajoute la culpabilité d’avoir « désobéi », explique Georgina, qui ne cesse de demander « pardon au Canada ». C’est lorsqu’on commet un crime qu’on va en prison, intervient pour sa part son mari. « Mais là, je me sens en prison, alors que tout ce qu’on a fait, c’est sauver notre vie. »

En attendant, les Rodriguez-Flores misent tout sur l’obtention d’un permis de séjour temporaire, qui autoriserait la famille à rester au pays en attendant le résultat de sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires, qui sera déposée incessamment. Car bien qu’il s’agisse de la maison de Dieu, Georgina Flores ne se voit pas rester dans l’église encore longtemps. Elle a des projets, une vie à rebâtir. « On veut juste une seconde chance, dit-elle. J’ai bon espoir que le ministre nous écoute. » Même si cela demande de croire aux miracles.

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