Étude - Aux poids lourds de payer la note des routes endommagées

Qui doit-on blâmer pour l'état «chaotique» de nos routes? Et surtout où trouver le financement pour assurer leur réfection et étendre le réseau? Un rapport commandé par l'Association des chemins de fer du Canada et rassemblant les données d'études sur la question des coûts associés à la circulation des poids lourds accuse, avec statistiques à l'appui, ces mastodontes chargés de marchandises qui sillonnent nos chemins.
Il critique également le mode utilisé pour subventionner le réseau routier et propose de le rendre plus équitable en adoptant un modèle de plus en plus répandu en Europe qui tient davantage compte des dommages qu'occasionne chaque type de véhicule à la chaussée. Dommages qui sont généralement proportionnels au poids et à la charge du camion ainsi qu'à la distance qu'il a parcourue.Actuellement, au Canada comme aux États-Unis, les taxes sur le carburant et les droits annuels d'immatriculation constituent l'essentiel des revenus que tirent les gouvernements des usagers de la route pour entretenir et développer le réseau routier. Selon ce régime tarifaire, les poids lourds n'assument pas vraiment les coûts associés à l'usure des routes qu'ils engendrent.
Une étude effectuée en 2000 par le Department of Transportation des États-Unis révèle qu'un camion de 62 790 kg a un impact sur la chaussée équivalent à celui de 20 000 automobiles. Il engendre des coûts routiers 25 fois plus élevés que ceux d'un véhicule de promenade alors que son utilisateur ne paie que 11 fois plus que l'automobiliste. Un semi-remorque n'assume donc que 40 à 50 % des frais qu'il occasionne.
«Selon ce modèle de financement, les véhicules légers en viennent à subventionner les coûts routiers des poids lourds», conclut-on dans le rapport.
Les associations du camionnage n'interprètent toutefois pas les chiffres de cette manière et s'opposent férocement à la réforme de tarification proposée. Sur la foi d'une recherche conduite pour le compte du Comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada, elles affirment que «les pouvoirs publics touchent des utilisateurs du réseau routier, des revenus supérieurs aux sommes consacrées aux routes».
D'autres études menées par Transports Canada précisent par ailleurs que ce calcul effectué selon la méthode de la comptabilité de caisse ne tient toutefois pas compte du coût économique total, qui comprend quant à lui l'intérêt qu'aurait généré le capital consacré aux routes s'il avait été investi dans un autre secteur. Or, selon cette autre perspective, le gouvernement canadien doit plutôt faire face à un déficit annuel évalué à près de 3,5 milliards $.
Pour éponger ce manque à gagner et assurer un partage plus équitable des coûts liés au réseau routier entre les usagers de la route suivant la taille de leur véhicule, on propose de remplacer les taxes sur le carburant par une tarification basée à la fois sur le poids du camion et la distance parcourue.
À l'instar de la Nouvelle-Zélande, la Suisse a instauré en 2001 une tarification au kilomètre et au poids. Par cette mesure fondée sur le principe du pollueur-payeur, les Helvètes espéraient ainsi dévier le trafic de la route vers les rails. Durant les sept premiers mois de l'entrée en vigueur de la nouvelle tarification, le transport ferroviaire s'est accru de 8 %. Mais plus intéressant encore, la circulation routière a fléchi de 8 % grâce à une réduction du nombre de kilomètres parcourus par des camions à vide, par l'emprunt d'itinéraires plus courts, somme toute par une meilleure gestion du parc et du transport des marchandises.
La réforme adoptée par ces deux pays prévoit également que si les recettes générées par ce nouveau régime tarifaire dépassent les dépenses encourues par l'entretien de la chaussée, l'excédent sera destiné à réduire la pollution et à subventionner les transports en commun.
L'Allemagne et l'Autriche ont annoncé qu'elles emboîteraient le pas à la Suisse en 2003 et 2004 en appliquant ce modèle tarifaire aux poids lourds qui circulent sur leurs autoroutes.
À quand donc une tarification au poids et à la distance au Canada? Les réticences des associations de camionnage freinent le processus. Dans l'État américain de l'Idaho, elles ont réussi à renverser l'adoption de la nouvelle tarification en invoquant qu'elle nuisait au commerce entre les États. L'argument économique joue ici aussi à plein régime.