La génération d'adolescents «hypothéquée» par la pandémie

La Maison des jeunes du Plateau est en rénovation depuis trois ans. Faute de financement, les travaux avancent au compte-goutte.
Adil Boukind Le Devoir La Maison des jeunes du Plateau est en rénovation depuis trois ans. Faute de financement, les travaux avancent au compte-goutte.

« La pandémie a vraiment hypothéqué notre génération d’ados, et ça nous inquiète parce qu’on voit qu’on n’aura pas les moyens de les accompagner », lance, enflammé, Nicholas Legault, directeur général du Regroupement des maisons des jeunes du Québec. Il dénonce le « sous-financement chronique » des maisons des jeunes, qui ne reçoivent que le tiers des sommes dont elles auraient besoin.

Installé sur une chaise pliante dans le « coin détente » de la Maison des jeunes du Plateau, le directeur général soupire en pointant le divan recouvert d’une couverte brune élimée et le plancher taché de peinture. « Je n’enlève rien à nos maisons des jeunes, mais c’est ça, la réalité : on est tout le temps à la cenne. »

Son hôte, le coordonnateur de la Maison des jeunes du Plateau, Simon Gagné, ne s’offense pas de la remarque. Au contraire, il renchérit avec aplomb : « Nos bâtiments tombent en ruine ! » Depuis trois ans, le local est en rénovation, explique-t-il. Les travaux n’avancent pas vite. Et pour cause. « Tout ce qui n’est pas plomberie ou électricité, c’est moi qui le fais avec l’aide de bénévoles. »

Ce n’est pas pour la décoration intérieure que les jeunes fréquentent l’endroit, ni même pour la table de billard ou la salle de musique, bien que celles-ci aient un certain pouvoir d’attraction. Mais le lieu physique a tout de même son effet, comme en témoigne Marc-André Boisjoly, 17 ans, qui siège au conseil d’administration de la maison RadoActif, située à Ville-Émard.

L’adolescent ne se sent pas aussi à l’aise dans sa « deuxième maison » depuis que celle-ci a été contrainte de déménager. Il évoque sans cesse l’ancien local et son grand comptoir où il pouvait s’assoir avec ses amis et discuter avec les intervenants. S’il avait une baguette magique — ou de l’argent —, c’est là qu’il retournerait.

Se décrivant comme un « éternel optimiste », l’adolescent continue pourtant de fréquenter la maison des jeunes pour discuter avec les intervenants. « Ils ne font pas semblant d’être quelqu’un d’autre, ils sont vrais. Et ils s’intéressent vraiment à nous, à ce qu’on leur raconte, raconte Marc-André. Je sais que ce sont des intervenants, mais j’ai l’impression que ce sont mes amis. »

L’adolescent aime tellement ce lien unique qui le lie aux intervenants de RadoActif qu’il a entamé des études en éducation spécialisée dans l’espoir d’y travailler plus tard.

Quand les liens se brisent

 

La relation de confiance entre l’intervenant et le jeune est au cœur même de la mission des maisons des jeunes. Mais faute d’argent, celles-ci ne sont pas en mesure d’offrir des salaires et des conditions de travail compétitifs.

Cela se traduit par un très haut taux de roulement du personnel, évalué à 37 % l’an dernier, selon le Regroupement. « Les intervenants qui arrivent chez nous nous disent qu’ils adorent ça, mais au bout de deux ou trois ans, ils partent pour obtenir de meilleures conditions. C’est toujours une question d’argent », relate Joëlle Dorion, coordonnatrice de la Maison des jeunes Le Squatt d’Ahuntsic.

Ce qui a des répercussions sur les jeunes. Elle-même a dû consoler des adolescents bouleversés par le départ de leur intervenant. « Le jeune ne voit que le moment présent et sa douleur. On lui dit de ne pas s’en faire, qu’on va trouver un autre intervenant, mais pour lui, son intervenant est irremplaçable. »

À RadoActif, aucun des intervenants ayant accueilli le jeune Marc-André il y a quatre ans n’est encore en poste. « C’est plate de dire adieu à ceux que tu aimes. Ça laisse une marque sur le cœur. Moi, je m’attache vite aux nouveaux, mais pour d’autres jeunes, c’est un choc. Certains ne viennent plus après le départ de leur intervenant. »

Moins de services

 

Le manque d’argent et de personnel a également une incidence sur l’offre de services, soutient le directeur général du Regroupement des maisons des jeunes du Québec. Nicholas Legault dit que près de la moitié de ses 216 membres à travers le Québec ont dû fermer leurs portes partiellement ou réduire leurs heures d’ouverture au cours de la dernière année.

Certains [jeunes] ne viennent plus après le départ de leur intervenant

 

Plusieurs n’ouvrent leurs portes que trois ou quatre jours par semaine, alors qu’il y a une demande pour ouvrir sept jours par semaine. À la Maison des jeunes d’Ahuntsic, par exemple, la coordonnatrice doit fermer à 19 h parce qu’elle ouvre sur l’heure du midi pour accueillir les jeunes qui n’ont pas d’endroit où dîner. Elle aimerait prolonger les heures d’ouverture en soirée, mais c’est impossible. Et il n’est pas rare qu’elle doive fermer si un membre de l’équipe est malade.

Le besoin est criant, estime Joëlle Dorion, surtout en contexte pandémique. En effet, l’isolement a fait des ravages sur la santé mentale des jeunes et les a privés d’apprentissages cruciaux, surtout ceux qui ont fait leur première année de secondaire en ligne. « Les jeunes n’ont pas développé leurs capacités sociales : ils vont s’insulter ou se pousser pour entrer en contact avec les autres plutôt qu’interagir de façon positive. On fait beaucoup d’ateliers pour leur apprendre à créer des liens. »

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