La police d’Ottawa hausse le ton face aux manifestants anti-mesures sanitaires

Le Service de police d’Ottawa a enjoint mercredi aux protestataires paralysant le centre-ville de la capitale fédérale depuis près de trois semaines de lever le camp.

« Vous devez quitter les lieux maintenant », « Vous devez cesser immédiatement vos activités illégales », martèle-t-il dans des « avis » distribués aux « participants de la manifestation » mercredi avant-midi.

La police y souligne à gros traits que toute personne « bloquant les voies de circulation, ou aidant d’autres à le faire, commet une infraction criminelle », peut notamment être arrêtée, ne pas être libérée sous caution et, si elle fait face à des accusations ou des condamnations, être frappée d’une interdiction de voyager aux États-Unis. « Les gens d’Ottawa se voient privés de l’emploi, de la jouissance et de l’exploitation légitimes de leur bien, et vous êtes responsables de la fermeture de commerces, ce qui constitue un méfait, en vertu du Code criminel », rappelle le Service de police d’Ottawa dans sa note d’information diffusée également en ligne.

Les protestataires n’avaient toujours pas mercredi après-midi obtempéré à l’ordre de la police. L’un d’eux croisé par Le Devoir a dit vouloir occuper le centre-ville quitte à purger par la suite une peine d’emprisonnement. « Je reviendrai ici », a-t-il lancé derrière le volant de son automobile bleue coiffée de deux boîtes « Pizza Pizza ». Il s’est moqué de l’avis de la police. « Ce papier, c’est de la vidange, ce n’est pas un document légal, ce n’est pas signé… Gaspillez du papier, les gars, on ne s’en va nulle part ! »

« Outils supplémentaires »

La Loi fédérale sur les mesures d’urgence, citée par le premier ministre Justin Trudeau lundi soir, et sa suite de règlements, publiés dans la Gazette du Canada mardi, permettent à la police de notamment limiter voire d’interdire « des déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée », comme celle de la colline Parlementaire, et de « saisir les véhicules » s’y trouvant, explique le Service de police d’Ottawa.

Par ailleurs, celui-ci dissuadait mercredi toute personne à joindre les rangs des manifestants opposés aux mesures sanitaires qui font la pluie et le beau temps au cœur de la capitale. « Quiconque venant à Ottawa dans le but de se joindre à la manifestation en cours enfreint la loi », indique-t-il.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, s’en remet aux forces policières, qui sont dotées de « nouveaux outils », pour en finir avec l’occupation du centre-ville d’Ottawa, qui est, selon lui, noyautée par des individus ayant « des liens solides avec des groupes d’extrême droite ». « Ça suffit. Ça suffit. Mais en même temps, il faut laisser ce job aux forces policières. C’est comme ça que notre démocratie fonctionne : ce n’est pas le job du gouvernement d’appliquer les lois, c’est le job des policiers », a-t-il affirmé à la presse mercredi après-midi.

Néanmoins, le ministre Mendicino « espère » que les protestataires auront plié bagage d’ici la fin de la semaine. Si rien n’est fait, il appréhende de voir les habitants d’Ottawa « prendre les choses en main » et tenter de couper court au tintamarre.

Débats acrimonieux sur les mesures d’urgence

À l’intérieur du parlement, les libéraux et néo-démocrates ont défendu le recours à la Loi sur les mesures d’urgence tandis que les conservateurs et les bloquistes l’ont vertement critiqué.

La cheffe intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen, a dénoncé l’emploi de ce « marteau » dans le coffre à outils du gouvernement fédéral par un premier ministre, qui cherche, selon elle, à « sauver sa carrière politique ». Elle y voit une dérive autoritaire.

Justin Trudeau a dénoncé les accointances entre les conservateurs et les camionneurs dressés derrière les « barricades illégales » à Ottawa. « Les membres du Parti conservateur peuvent se tenir avec des personnes brandissant des croix gammées, se tenir avec des personnes agitant le drapeau confédéré, nous avons choisi de nous tenir aux côtés des Canadiens qui veulent se rendre au travail, reprendre leur vie. Ces manifestations illégales doivent cesser. Elles vont [cesser] », a-t-il déclaré suscitant des cris de protestation de l’opposition officielle.

Le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, a dit lui aussi soupçonner M. Trudeau de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence dans le cadre d’« une opération de camouflage de l’échec [de son] gouvernement » à mater la rébellion des camionneurs. Il lui a rappelé la « sensibilité particulière, au Québec », lorsqu’on évoque « ce rejeton maquillé de la Loi sur les mesures de guerre ».

La députée bloquiste Christina Michaud a demandé au gouvernement Trudeau de lui garantir qu’il n’appliquera pas la Loi sur les mesures d’urgence sur le territoire québécois — comme les membres de l’Assemblée nationale du Québec l’ont réclamé d’une seule voix  mardi — mais en vain.

Justin Trudeau a rétorqué que son « job, c’est de protéger les Canadiens » et de démanteler les « barricades illégales » restantes après la réouverture des postes frontaliers d’Emerson, au Manitoba, de Coutts, en Alberta, de Pacific Highway, en Colombie-Britannique, et du pont Ambassador, en Ontario. « Nous allons donner les outils nécessaires pour garder l’ordre, la sécurité et la liberté de tous les Canadiens », a-t-il déclaré, tout en rappelant que les protections de la Charte des droits et libertés s’appliquent toujours d’une rive à l’autre. « [La loi] donne aux polices de juridiction locale plus d’outils si elles en ont besoin. Si elles n’en ont pas besoin, elles n’auront pas à les utiliser », a-t-il par la suite nuancé.

Les forces policières fédérales, dont la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ont l’« intention » de « collaborer » avec les services de police provinciaux et municipaux pour déterminer où les mesures d’exception prévue dans la loi controversée sont de mise, ont insisté des hauts fonctionnaires à Ottawa mercredi.

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