Boom des entrées au chemin Roxham

Le contexte pandémique et l’important volume de demandeurs d’asile entrés par le chemin Roxham compliquent la tâche des agents d’immigration, qui ne peuvent plus traiter un dossier en une journée malgré des renforts venus des autres provinces canadiennes.
Photo: Ryan Remiorz Archives La Presse canadienne Le contexte pandémique et l’important volume de demandeurs d’asile entrés par le chemin Roxham compliquent la tâche des agents d’immigration, qui ne peuvent plus traiter un dossier en une journée malgré des renforts venus des autres provinces canadiennes.

La popularité du chemin Roxham ne se dément pas : sitôt rouverte, le 21 novembre dernier, après pratiquement deux ans de fermeture, cette voie de passage en marge du poste frontalier de Lacolle a été empruntée par un nombre record de demandeurs d’asile, ce qui occasionne d’importants retards dans les délais de traitement, a appris Le Devoir.

Selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), 835 personnes sont entrées au Québec de manière irrégulière durant la dernière semaine de novembre, lorsque le chemin a rouvert, et 2875 l’ont fait en décembre — ce seul mois de l’hiver concentrant 68 % des arrivées irrégulières de toute l’année 2021.

IRCC n’a pas encore communiqué les données pour janvier 2022, mais, selon nos sources, le flux migratoire serait à tout le moins équivalent. Certaines journées frôleraient même les 200 interceptions par jour, soit autant que certains jours de l’été 2017, où l’afflux massif d’Haïtiens avait déclenché une crise d’hébergement à Montréalqui avait amené les autorités à réquisitionner le Stade olympique.

Depuis cet été exceptionnel de 2017, où les mois de juillet et d’août avaient accueilli respectivement 3000 et 5500 demandeurs d’asile entrés par le chemin Roxham, c’est le mois de décembre 2021, avec ses 2875 interceptions, qui détient le record du mois le plus achalandé.

Selon l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), les personnes entrées de manière irrégulière depuis le 21 novembre dernier venaient principalement d’Haïti, de la Colombie, de la Turquie, du Chili et du Nigeria.

 

« On a eu une rencontre avec IRCC, qui nous a confirmé [la recrudescence]. Effectivement, les Haïtiens sont en grand nombre », a souligné Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti.

Selon elle, c’est la réouverture soudaine du chemin Roxham, fermé par le gouvernement Trudeau en mars 2020, qui provoque cette augmentation de la circulation des migrants, alors que d’ordinaire les mois de l’hiver ne sont pas les plus populaires. « Ils se disent probablement : “Dépêchons-nous avant que ça ne ferme à nouveau.” »

Mme Villefranche se garde toutefois de faire une comparaison avec l’été 2017. « Les chiffres sont importants, mais c’est le pic d’un seul mois. Pour l’instant, ça ne nous inquiète pas trop. »

Une fois que leur demande de statut de réfugié a été sommairement traitée par les douaniers de Lacolle, les nouveaux arrivants non vaccinés sont désormais envoyés dans des hôtels à Montréal et dans les couronnes pour y effectuer une quarantaine. Les autres peuvent continuer d’aller au YMCA de la rue Tupper, où sont généralement emmenés tous les demandeurs d’asile.

« Ce qui nous embête, c’est que la plupart sont envoyés dans des hôtels où il n’y a pas de services ni de structure pour les aider. Ils sont laissés à eux-mêmes, constate la directrice de la Maison d’Haïti. On voit des mamans arriver avec leurs enfants qui n’ont pas de vêtements [d’hiver]. Au YMCA, on leur donne des manteaux, mais dans les hôtels, ils n’ont rien. »

Une rencontre récente entre IRCC et la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) a eu lieu pour rassurer les parties en présence sur la façon dont allait être gérée cette recrudescence. Stephan Reichhold, le directeur de la TCRI, a semblé satisfait. « Globalement, c’est beaucoup mieux géré », a-t-il indiqué, en ajoutant que des leçons ont sans doute été tirées de l’été 2017.

Des délais de près de huit mois

 

Le contexte pandémique et l’important volume de demandeurs d’asile entrés par le chemin Roxham compliquent la tâche des agents d’immigration, qui ne peuvent plus traiter un dossier en une journée malgré des renforts venus des autres provinces canadiennes. Selon des informations obtenues par Le Devoir, à l’heure actuelle, les personnes qui demandent un statut de réfugié doivent attendre près de huit mois avant de savoir si leur dossier est jugé recevable, un délai qui s’apparente à celui de l’été 2017. À cela s’ajoute un délai de 14 mois avant qu’une demande soit entendue devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

« Ça prend un temps fou aux gens avant d’avoir leur papier brun », observe Marjorie Villefranche. Dans le jargon, ce « papier brun », ou « feuille brune », est le précieux document qui atteste qu’une personne a demandé l’asile et qui permet à cette dernière d’avoir accès à certains privilèges, dont un permis de travail.

Selon le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile, l’organisme public au Québec qui accueille et fournit des services aux personnes demandant le statut de réfugié, les personnes n’ont toutefois pas besoin de posséder ce document pour avoir accès à l’aide sociale et à une assurance maladie.

Le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, a dit souhaiter que les demandeurs d’asile s’intègrent au marché du travail « le plus rapidement possible », étant donné les besoins importants de main-d’œuvre. « Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit accélérer les démarches menant à l’octroi des permis de travail pour ces personnes », a-t-il déclaré. 

Il rappelle par ailleurs que la capacité d’accueil du Québec « n’est pas illimitée ». « On s’attend donc à ce que le gouvernement fédéral respecte son engagement de ne pas surcharger nos ressources qui sont nécessaires à l’accueil des réfugiés ».

M. Boulet insiste également sur le fait que le gouvernement du Québec n’a aucun contrôle sur la gestion des frontières et du chemin Roxham. Il a néanmoins indiqué que son gouvernement avait « collaboré avec Ottawa en maintenant les ressources nécessaires pour venir en aide aux demandeurs d’asile » malgré la cinquième vague de COVID-19.

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