Occuper Ottawa jusqu’au bout

Encouragée par la sortie du député libéral Joël Lighbound, mardi, la « capitaine » des camionneurs québécois présents à Ottawa depuis bientôt deux semaines croit que son mouvement gagne en popularité, même auprès des personnes vaccinées. Pas question pour elle de quitter la capitale fédérale tant que la preuve vaccinale du Québec ne sera pas abandonnée.
Une chose est claire : la levée de certaines mesures sanitaires annoncée par le gouvernement Legault pour la mi-mars n’a pas satisfait les attentes de l’organisatrice québécoise du « convoi de la liberté » à Ottawa, Joanie Pelchat.
« Si le passeport sanitaire demeure, non. On va rester [à Ottawa] jusqu’à temps que toutes les mesures cessent. Un citoyen libre n’a pas de numéro attitré pour se déplacer, a un libre choix sur son corps », scande la femme de 39 ans, qui loge dans un hôtel d’Ottawa avec son conjoint, sa petite fille d’un an et son chien Mika.
Le Devoir l’a rencontrée dans une salle de conférences qui a été réservée, dit-elle, pour la tenue de négociations avec le gouvernement, mardi. Malgré l’invitation lancée la veille lors d’un point de presse diffusé sur le Web, aucun politicien ne s’est présenté au rendez-vous. Ce n’est que partie remise, croit l’organisatrice, convaincue que le départ des camions devra être négocié.

« J’ai été approchée par le Parti libéral, certains ministres du Québec, affirme-t-elle. Il y a le Parti conservateur qui nous a contactés aussi. » Durant l’entretien, elle a incorrectement affirmé que les conservateurs détenaient des « sièges au gouvernement », et dit avoir l’ambition d’« aller chercher les personnes qu’il faut, les pays qu’il faut, pour avoir l’aide, les appuis nécessaires » à sa cause. Elle insiste : « Le monde entier se lève ! »
Le bureau du premier ministre a confirmé qu’aucun ministre n’avait pris contact avec l’organisation du convoi. Un porte-parole du Parti conservateur a indiqué « n’avoir aucune information à ce sujet ». Le maire d’Ottawa, Jim Watson, a rejeté mercredi toute proposition de rencontre.
Organisation québécoise
Joanie Pelchat a coordonné l’arrivée de convois québécois le 29 janvier à Ottawa, dont le noyau dur occupe toujours les rues devant le Parlement, au grand malheur du voisinage. C’est elle qui répond aux demandes des camionneurs francophones, ou qui traduit en français la numéro un du mouvement, Tamara Lich.
La femme de Saint-Denis-sur-Richelieu n’est pas elle-même camionneuse. Diplômée en gestion internationale, elle a fait carrière dans le domaine des technologies médicales. Ce n’est qu’en janvier, durant son congé parental, qu’elle a décidé de s’investir dans l’organisation du convoi canadien qui n’avait alors pas d’antenne au Québec. Sa principale motivation : les mesures sanitaires québécoises qu’elle juge liberticides.
« Quand j’ai vu ça aller, c’est la peur qui m’habitait. La peur pour l’avenir de ma fille, la peur, vraiment sincèrement […]. Quand j’ai vu qu’il y avait le “Freedom convoy” qui partait de l’Ouest, j’ai appelé tout de suite ! »
Après avoir tenté de joindre « tout le monde au Québec », comme les groupes d’infirmières opposées à la vaccination obligatoire, Mme Pelchat s’est hissée dans l’organisation nationale du convoi. Elle partage la prise de décisions du groupe avec d’autres « capitaines » de différentes provinces, explique-t-elle, comme celle de faire taire les klaxons lundi à la suite de conseils d’avocats.
« Un de mes chefs d’équipe a perdu son emploi hier », illustre-t-elle pour démontrer ce que sont prêts à faire les camionneurs pour être toujours présents dans la capitale. Malgré le remboursement des donateurs d’une première campagne de financement sur GoFundMe, une nouvelle cagnotte a été constituée sur un site concurrent, GiveSendGo. Au moment où ces lignes étaient écrites, elle atteignait près de huit millions de dollars américains.
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L’organisatrice se dissocie du méli-mélo de causes observé lors des rassemblements. Elle confirme toutefois que Keven Bilodeau, une personne associée au groupe des Farfadaas, mené par un ex-organisateur du groupe identitaire La Meute, l’a « beaucoup aidée » à mettre en marche le convoi. Elle dit ne pas être responsable des injures omniprésentes à l’endroit du premier ministre Justin Trudeau.
« On n’a jamais dit qu’on allait renverser le gouvernement. Nous ne sommes pas non plus des terroristes », assure-t-elle, questionnée sur le document pseudo légal publié sur le site Web de l’organisation jusqu’à mardi et qui prétendait faussement que le Sénat et la Gouverneure générale pouvaient forcer le gouvernement à mettre fin aux mesures sanitaires ou à démissionner. Un responsable des manifestations a aussi évoqué lundi vouloir rencontrer les partis d’opposition pour former une coalition.
Mme Pelchat croit que les vaccins contre la COVID-19 sont « expérimentaux », même si Santé Canada précise l’inverse en indiquant par exemple qu’ils « doivent satisfaire aux exigences réglementaires en matière d’innocuité, d’efficacité et de qualité avant de pouvoir être vendus au Canada ». Mme Pelchat soutient que les médias « mentent », et « pas juste depuis la pandémie ». Elle ne croit aucune estimation policière sur la taille de son mouvement. « On parle de millions de personnes », évoque-t-elle. La police a chiffré à 418 les camions encore présents au centre-ville mardi.
Étonnamment, elle assure ne jamais avoir reçu de consigne policière de dégager les camions des rues. « [Les policiers] sont très coopératifs. Ils nous aident vraiment beaucoup. » Le maire d’Ottawa l’a contredite, mercredi, rappelant que plus de 1300 contraventions ont été délivrées et que plusieurs arrestations ont été effectuées. La police d’Ottawa, qui parle désormais d’« occupation illégale », a mêmeprécisé mercredi que bloquer la rue constitue une infraction criminelle.
Le pont Ambassador paralysé
Windsor — Une manifestation contre les mesures sanitaires en solidarité avec celle d’Ottawa a empêché les véhicules à destination du Canada de traverser le pont Ambassador entre Detroit, au Michigan, et Windsor, en Ontario, pendant une autre journée, tandis qu’un autre groupe de manifestants a bloqué une autoroute menant à un autre poste frontalier situé à environ une heure de route. La cheffe de la police de Windsor, Pamela Mizuno, a déclaré qu’il y avait 50 à 75 véhicules et environ 100 manifestants bloquant la circulation sur la rue Huron Church, qui mène au pont. Les véhicules à destination des États-Unis peuvent toujours accéder au passage via l’entrée de la rue Wyandotte Ouest. La police de Windsor affirme adopter une « approche diplomatique » pour négocier une solution sûre et durable avec les manifestants. Plus de 450 millions de dollars de marchandises traversent ce pont chaque jour.La Presse canadienne